Dossier paru dans Saût el Cha’b, organe central du Parti de l’avant-garde socialiste d’Algérie, n° 124, 14 novembre 1984
30 ans après le 1er Novembre 1954, les masses se souviennent. Ici ce sont des combattants de la liberté qui sont allés en groupe fleurir la tombe de leurs compagnons d’armes et rendre visite aux parents de chouhada. Là ils ont organisé une soirée et y ont invité des jeunes, en général des collègues de travail, à qui ils ont transmis quelques souvenirs des jours difficiles mais exaltants. Les enfants et jeunes ont été sensibilisés à la guerre de libération à l’école et chez eux.
En général les masses étaient d’accord pour accorder un éclat particulier à ce 30ème anniversaire. Elles ont bien accueilli le défilé de l’ANP et les manifestations sportives. Mais elles n’ont pas approuvé les grandes dépenses de prestige inutiles alors que les besoins élémentaires des masses ne sont pas encore satisfaits (eau, logement). Surtout, elles se sont senties mises à l’écart des cérémonies officielles où l’option socialiste et la Charte Nationale étaient absentes. D’ailleurs, malgré leur patriotisme, elles n’ont pas placé de drapeaux sur les balcons ou devant leurs demeures. Dans leur grande masse, les habitants de la Casbah d’Alger ont refusé d’allumer les flambeaux comme cela leur avait été demandé pour donner un beau spectacle aux … invités.
En fait la célébration du 1er Novembre, comme encore aujourd’hui la préparation des élections des APC et des APW, montrent avec plus de force une tendance qui s’accentue dans le pays : LA MISE A L’ECART DES MASSES ET LES RECULS DE LA DEMOCRATIE DANS TOUS LES DOMAINES.
une réalité inquiétante
Par contre les partisans algériens de la voie capitaliste et leurs amis bourgeois de l’Occident capitaliste n’ont jamais eu autant le droit à la parole en Algérie. Des patrons algériens dénigrent ouvertement dans la presse le secteur d’Etat. Ils osent même exiger la suppression du monopole d’Etat sur le commerce extérieur. On invite Raymond Barre, ancien premier ministre de la droite en France, qui a conduit son pays à la crise profonde dans laquelle il continue de se débattre. On a même cru bon de préciser lors de la conférence qu’il a donnée devant un grand nombre de cadres du pays qu’il a été de ceux qui ont élaboré le « Plan de Constantine », présenté comme ayant été « la première tentative de développement industriel en Algérie » ! On sait que ce n’était qu’un plan NEO-COLONIALISTE destiné à détacher le peuple de l’ALN et à faire émerger la fameuse « 3ème force » pour mettre sur la touche la révolution. Enfin on permet au criminel de guerre Bigeard de s’exprimer et de se donner le beau rôle à la veille … du 1er Novembre.
Mis bout à bout ces faits apparaissent comme faisant partie d’un même plan néo-colonialiste d’envergure. Ils nous amènent à nous interroger : n’y a-t-il pas actuellement des pressions internes et externes conjuguées pour accentuer le glissement à droite ?
secteur privé capitaliste : développer le pays ?
Question préoccupante et … réelle. Devant les difficultés du développement et certaines insuffisances du secteur d’Etat qui malgré tout a permis à l’Algérie d’en registrer des acquis considérables, que propose-t-on ? Certaines forces pensent qu’il faut accorder plus de privilèges au secteur privé capitaliste qui saura selon elles mieux gérer et développer le pays. Ce secteur peut en effet à cette étape jouer un rôle positif si, et seulement si, il agit dans le cadre d’une orientation progressiste avec un secteur d’Etat dominant. Car il ne cherche que son seul profit. Le peuple dit : si le privé capitaliste domine, ce sera un chômage plus grand et des prix plus élevés encore comme on le voit avec les fruits et légumes ou les mandataires font la loi. De plus le secteur privé capitaliste risque de nous lier plus encore au système capitaliste international. En fait dans les pays récemment libérés le secteur privé capitaliste est incapable d’assurer le développement du pays. L’exemple de l’Egypte et de la Tunisie où les masses ont manifesté contre les augmentations des prix le montrent. Quel développement y a-t-il eu en Arabie Séoudite et dans d’autres pays qui ont pourtant des richesses naturelles considérables mais où le secteur privé capitaliste fait la loi et met le secteur public à son service ? Ce sont les pays à orientation socialiste qui ont réussi à se développer et à renforcer leur indépendance avec un secteur d’Etat dominant. C’est le cas de Cuba qui pourtant n’a ni pétrole ni gaz et qui vit sous les pressions et menaces constantes de l’impérialisme américain.
Question préoccupante aussi car en plus de ces confusions entretenues par la réaction auprès de patriotes, il y a les pressions de l’impérialisme qui utilise à la fois, ou tour à tour, la carotte et le bâton.
L’impérialisme veut faire baisser le prix du pétrole et donc nos rentrées financières. Il fait tout pour diviser les forces et régimes patriotiques arabes et africains. Il accroît la tension dans la région par l’intermédiaire de ses valets. Que va faire le Maroc après son échec au 20ème sommet de l’OUA ?
Dans ces conditions il est plus que jamais nécessaire de s’unir dans l’action pour préserver et consolider l’indépendance du pays, et en premier lieu pour renforcer le secteur d’Etat. C’est un objectif autour duquel peuvent se rassembler le maximum de forces patriotiques.
démocratie et indépendance
Les travailleurs, les cadres et responsables patriotes disent :
« On veut agir mais on ne peut rien faire ! Il n’y a même plus d’assemblées générales régulières pour s’exprimer ! Si nous voulons faire des propositions pour améliorer la gestion et la production, si nous revendiquons nos droits légitimes, si nous faisons grève (car personne ne veut nous écouter) si nous voulons organiser la solidarité avec des frères de travail licenciés, on nous envoie les troupes anti-émeutes. On nous licencie. On nous juge. Et parfois nous sommes même condamnés à des peines de prison. Et nos familles sont obligées d’aller tendre la main pour vivre. La démocratie est étouffée ! »
En réalité la démocratie ne tombe pas du ciel. Elle se gagne et se construit chaque jour. Quand nous luttons pour la justice sociale, pour défendre notre emploi, ou pour une autre revendication juste, quand dans une cité nous organisons une action pour régler le problème de l’eau, quand nous organisons des cours d’alphabétisation ou des cours de rattrapage pour aider les fils du peuple à réussir à leurs examens, quand nous signons une pétition pour appuyer telle mesure positive ou pour nous opposer à telle initiative négative ou dangereuse, nous faisons avancer d’un pas la démocratie, nous contribuons à faire revivre l’UGTA et les autres organisations de masse.
Les reculs de la démocratie ont facilité le glissement à droite. Le glissement à droite a accentué les reculs de la démocratie. Cela s’est traduit par une dégradation du pouvoir d’achat des masses, par des atteintes aux acquis. Il faut donc à la fois lutter pour défendre l’indépendance et imposer la démocratie autour des tâches concrètes.
Démocratie et défense des acquis de l’indépendance vont ensemble. L’une et l’autre sont chères au cœur et à la raison des ouvriers, des fellahs, des travailleurs des cadres, de la majorité de notre peuple.
HASSIBA BEN BOUALI : AU COEUR DE LA CASBAH
Sous ce titre, « El Moudjahid » du 7 Avril publie un article dans lequel on peut lire : « les frères Timsit, étudiants en médecine et Giorgio ARBIB, ingénieur chimiste, font des essais pour la fabrication de bombes ». Précisons que les personnes citées étaient membres du PCA. Ils agissaient sur directive de leur parti.
DES ETROITESSES AU LIEU D’UNE LARGE UNION PATRIOTIQUE
Des étroitesses graves ont été commises au plan de l’évocation de l’histoire et en ce qui concerne l’hommage dû aux martyrs, à la masse des moudjahidine et résistants, aux larges masses populaires car sans les sacrifices inouïs qu’elles ont consentis l’indépendance n’aurait pas vu le jour. Ces étroitesses ont particulièrement touché les communistes. Leur participation à la guerre de libération a été ignorée ou déformée.
Un article paru dans « Algérie-Actualité » (n° 993 du 25 au 31 Octobre) classe « Alger-Républicain » parmi la presse française au même titre que « l’Echo d’Alger ». Il est vrai que les extraits cités montrent bien le contenu profondément anti-colonialiste d’Alger-Républicain ». Mais tout de même … Quelle méconnaissance de la réalité algérienne ! Ignore-t-on que dans les quartiers populaires, les villages, il y avait ici et là, l’un qui lisait « Alger Républicain », l’autre qui traduisait en arabe ou en berbère pendant que tous écoutaient attentivement, buvaient la moindre information ? Ignore-t-on que la réapparition d’ « Alger Républicain » à l’indépendance avait été accueillie avec enthousiasme par le peuple tout entier ? Et ignore-t-on qu’ « Alger Républicain » n’a cessé de paraître qu’au lendemain du 19 Juin 1965 ?
Mais le sommet a été atteint par la publication d’une interview de Bigeard dans « Algérie Actualité » sans même un commentaire ou un simple rappel des « exploits » de ce criminel de guerre. Là c’est l’indignation, qui s’exprime à travers les lettres nombreuses qui parviennent à l’hebdomadaire, y compris à travers des lettres collectives de filles de chahid, d’anciens condamnés à mort. Elle s’exprime aussi à travers des pétitions signées largement.
En effet comment ne pas être indignés quand on présente Bigeard sous un jour sympathique alors qu’il est un criminel de guerre qui a tué, torturé et fit torturer des hommes et des femmes qui n’avaient pour défense que leur cœur ouvert à la vie. Ses mains sont rouges du sang de nos frères et sœurs et des patriotes vietnamiens.
Comment ne pas être indignés quand on lui permet de salir la mémoire de notre frère Ben M’Hidi présenté comme l’ami potentiel de la France … de Bigeard (c’est-à-dire colonialiste). Quand on lui permet d’opposer deux révolutionnaires comme Ben M’Hidi et Boumédiene ? Quand on lui permet d’insulter l’URSS, notre amie des moments difficiles pendant que lui nous assassinait ? Quand on lui permet de s’ingérer ainsi dans nos affaires intérieures ? Où est donc cette fierté nationale dont on parle tant ?
Cette interview est ressentie comme une insulte inqualifiable à l’égard de notre peuple, en particulier à l’égard de ceux encore vivants qui ont été torturés et à la mémoire de ceux qui ont été tués par les paras de Bigeard.
Le 30ème anniversaire du 1er Novembre aurait dû permettre d’aller vers le peuple laborieux, de rapprocher et d’unir toutes les forces patriotiques pour défendre les acquis de l’indépendance. C’était l’occasion de rendre hommage aux forces et pays qui nous ont aidé, en premier lieu les pays socialistes. Ce que nous avons vécu à l’occasion de cet anniversaire nous amène à lutter avec ténacité et fermeté en vue d’UNIR et NON de DIVISER tous les patriotes, de recréer le formidable mouvement populaire qui a soutenu l’ALN. Et cela pour nous opposer ensemble aux visées néo-colonialistes annoncées par Barre, Bigeard et d’autres. Pour construire l’Algérie progressiste et fraternelle pour laquelle tant d’hommes et de femmes sont morts ou ont souffert.
TRISTESSE ET ESPOIR
Réflexions suscitées par la commémoration du 1er Novembre à un ancien membre de l’ALN :
« Cette période autour du 1er Novembre a été difficile. Les images qui ont défilé m’ont rappelé tant de choses, tant de douleurs, mais aussi la joie immense de servir la patrie. Elle m’ont rappelé des visages et des pleurs, des souffrances et des blessures incurables. Que de tristesse j’ai ressenti au fond de moi !
« Devant mon écran de télé, j’ai vu défiler l’ANP et je n’ai pu empêcher un sentiment de fierté de m’envahir. Que les chouhada seraient fiers de la voir cette ANP, eux qui souvent sont morts avec un fusil de chasse, eux qui enrageaient à cause de leur impuissance face à l’aviation de l’OTAN et le napalm américain.
« Mais pourquoi diable, le speaker ne souffle à aucun moment, même timidement que tout cet armement moderne nous vient de l’Union Soviétique amie comme les premières armes modernes de la libération.
« Et modestement je veux à cette occasion rendre hommage à tous ceux qui nous ont aidés et qui nous aident encore. Car je n’aime pas l’ingratitude et la falsification. Cette falsification qui introduit une discrimination, y compris dans les rangs des chouhada. Car il y a des chouhada « interdits de séjour » dans la presse officielle. On ne lit pas leurs noms dans les journaux. On ne voit pas leur visage à la Télé. Et certains osent même insulter leur mémoire. Le seul crime est d’avoir été des patriotes communistes. D’avoir été pour l’indépendance et pour le socialisme.
« Ce sectarisme me fait mal. Car ma Patrie méritait mieux que cela, elle dont la terre est fertilisée par le sang de Ben Boulaïd et de Hamma Lakhdar, de Ben M’Hidi et de Tahar Ghomri, de Zabana et d’Yveton, de Bounaâma et de Maillot, des Hassiba, des Ourida et des milliers d’hommes et de femmes anonymes. Oui ma patrie est née par le sang mêlé de Boumendjel et d’Audin torturés et assassinés par les colonialistes. Oui ma patrie méritait d’être cette terre chaude et fraternelle loin des sectarismes, des fanatismes, des étroitesses. »
L’AMNISTIE POUR TOUS LES PATRIOTES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI VICTIMES DE L’INJUSTICE
Des anciens moudjahidine impliqués dans des affaires politiques avant et après l’indépendance ont été amnistiés. Tout ce qui peut pousser à l’apaisement et à la sérénité est le bienvenu.
30 ans après le 1er Novembre 1954, il est logique d’effacer les erreurs, parfois tragiques de la guerre de libération et de réhabiliter ceux qui ont été les victimes des luttes intestines, des préjuges et des sectarismes. Mais toutes les victimes sont concernées et pas seulement quelques responsables connus. Il faut aller plus en profondeur et réhabiliter tous les moudjahidine moins connus ou sans grade, tous les hommes et les femmes du peuple qui ont été injustement exécutés. Nous pensons notamment aux victimes innocentes des purges dans les différentes Wilayate, aux centaines de militants liquidés parce que intellectuels, communistes, etc.
Quant à ceux décédés après l’indépendance, il faut faire nettement la différence entre l’activité patriotique de ces gens avant l’indépendance et leur rôle après. Nul ne peut nier l’action patriotique d’un Krim Belkacem, d’un Khider ou d’un Kaïd Ahmed. Et à ce titre ils n’ont besoin d’aucune réhabilitation. Que l’on rapatrie les dépouilles de ces hommes pour les enterrer dans la terre de leurs ancêtres qu’ils ont contribué à libérer, nul ne peut s’y opposer.
Mais notre peuple n’accepte aucune réhabilitation, pour ceux – anciens moudjahidine ou pas – qui ont trahi le pays et notre peuple, durant la guerre de libération et après l’indépendance, en se mettant au service des intérêts de l’impérialisme.
Le contenu précis du décret d’amnistie n’est pas encore connu dans les détails, mais nous aurions aimé que cette amnistie concerne toutes les affaires politiques depuis l’indépendance dans lesquelles des patriotes honnêtes et des progressistes, jeunes ou âgés, ont été impliqués.
Le 30ème anniversaire du 1er Novembre était en particulier l’occasion pour libérer et amnistier tous les travailleurs injustement condamnés pour fait de grève ou tout conflit de travail et pour leur permettre de réintégrer leur emploi.
PRENONS ACTE !
Dans un article d’ « Algérie-Actualité » (Nº 993 du 25 au 31 octobre 1984) le colonel Ouamrane affirme que l’ALN-FLN a organisé « … deux ou trois actions armées pour dissoudre les maquis communistes. »
Cela se passait au début 1956 avant la conclusion des accords entre le FLN et le PCA. Et le maquis dont parle le colonel a été organisé par le PCA aux environs d’El-Asnam, fief du bachagha Boualem où l’ALN n’avait pas pu encore s’implanter. Les combattants de la liberté du PCA combattaient avec les armes montées au maquis par le camarade Henri Maillot. Aspirant au sein de l’armée française, il avait déserté en emportant un camion rempli d’armes. Une partie de cet armement avait été remise au FLN au moment où celui-ci en manquait cruellement. Par la suite, la délégation du FLN dirigée par Abane Ramdane et Benkhedda et celle du PCA dirigée par Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjeres se sont rencontrées et se sont mises d’accord pour l’intégration des Combattants de la libération au sein de l’ALN. Le PCA a poursuivi son combat au plan politique en tant que parti.
CERTAINS SONT RESTES DE SIMPLES TRAVAILLEURS
Dans les documentaires d’inégale valeur, les téléspectateurs, émus, ont entendu des anciens moudjahidine, fidaïs, condamnés à mort. Dans leur majorité, ce sont des fils du peuple. Ils ont évoqué, les larmes dans les yeux et la gorge nouée par l’émotion ces souvenirs douloureux. Ils l’ont fait avec des mots simples, les mots de tous les jours, les souffrances, les luttes et les espoirs d’un peuple qui aime par dessus tout la liberté et qui aspire au progrès, à la paix, à la démocratie.
Beaucoup de ces témoins ont commencé à lutter avant le 1er Novembre ou dès cette date. Les téléspectateurs ont remarqué que dans la plupart des cas, ces témoins restent les modestes travailleurs et fellahs qu’ils étaient avant le 1er Novembre.