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Sionisme ou socialisme. La solution de la question juive

Article signé Alexandre paru dans Le Réveil des jeunes, organe de la jeunesse socialiste « Bund » en France, nouvelle série, n° 22, 16 décembre 1945, p. 4-5

LE sionisme a gagné certaines sympathies, dans les cercles démocratiques en France et même parmi les socialistes français. Ces sympathies sont dictées par des sentiments humains à la suite du sort tragique de millions de Juifs, victimes éternelles de la réaction sociale. La compassion pour les Juifs qui ont survécu dans les différents pays d’Europe et les protestations contre les persécutions, dont ils sont encore victimes, peuvent créer un terrain favorable à la propagande sioniste, parmi tous ces démocrates et socialistes qui ne sont pas encore au courant de l’essence même du sionisme. Et il faut reconnaître que les sionistes savent tirer profit de ces sentiments purement humains pour les intérêts du parti, pour leur but utopique et nuisible. Mais si un démocrate sincère ou un socialiste français réfléchit sur les bases essentielles du sionisme, il reconnaîtra, que le socialisme, la démocratie et l’internationalisme sont en contradiction absolue avec le sionisme, même socialiste.

Quels sont les arguments principaux des sionistes ? Ils pensent que les Juifs, dans la « Diaspora » (Dispersion) seront toujours condamnes à la persécution parce qu’on ne les aime nulle part. lis disent que la haine des Juifs est si profondément enracinée qu’elle ne disparaîtra pas, même dans la société socialiste. La haine des Juifs est exploitée par la réaction d’une manière démagogique. L’antisémitisme est un moyen de lutte excellent contre la démocratie et c’est pourquoi, il est dans l’intérêt aussi bien de la démocratie, que dans celui des Juifs, que ceux-ci quittent le pays de « Diaspora » et, vivent sur un seul territoire et aient leur propre Etat …

Nous ne voulons pas aborder ici la question, à savoir si la Palestine peut recevoir tous les Juifs et si la majorité du peuple juif veut y aller, et c’est le cas ; alors la Palestine ne résoudra pas la question juive. Nous ne voulons pas non plus traiter la question si les Arabes qui vivent en Palestine depuis un millier d’années, et forment dans ce pays la majorité absolue, n’ont pas plus de droits que les Juifs qui vivent ailleurs depuis deux mille ans.

Un démocrate sincère ou un véritable socialiste estime que nous nous approchons d’une société socialiste internationale et que le capitalisme qui était à l’origine de toutes les persécutions disparaîtra pour toujours. Le socialisme lutte pour une fédération libre de tous les peuples grands et petits, faibles ou forts. Comment pourrait-il admettre que pour tous les peuples, brillera le grand soleil de liberté et de fraternité et seulement pour le peuple juif, on bâtira toujours des fours crématoires et des chambres à gaz, comme le prévoient les sionistes ? Comment peut-il accepter l’idée sioniste, que même dans un pays de liberté et d’égalité il y aura des lois de discrimination contre les Juifs et que l’antisémitisme continuera ses excès ? Mais si, par contre, disparaissait toute trace de l’antisémitisme et de discrimination raciale, pourquoi les socialistes devraient-ils croire que les Juifs doivent quitter le pays démocratique et libre dans lequel ils vivent ? Les sionistes, par contre, diffusent parmi les masses juives l’idée qu’elles connaîtront, dans l’avenir, les mêmes atrocités qu’elles viennent de subir. Et, par exemple, les sionistes pensent que les enfants juifs qui se trouvent encore, malheureusement, dans les camps allemands doivent plutôt y rester et être exposés à la faim, au froid, aux épidémies, que d’être envoyés en Angleterre où dans un autre pays européen, même le plus démocratique. L’aveuglement des sionistes est tel qu’ils mettent les enfants devant

l’alternative : Palestine ou périr dans les camps. Une telle attitude envers la démocratie en général, et surtout envers son aile marchante, les mouvements ouvriers socialistes, ne tend-elle pas à les compromettre aux yeux des masses juives, et ce n’est pas un hasard si les sionistes mènent actuellement une campagne violente contre le gouvernement travailliste en l’accusant de continuer, envers la Palestine, la politique de Munich.

Il est évident qu’un socialiste ne peut pas avoir une attitude positive envers le sionisme en tant que solution de la question juive, et il doit le combattre énergiquement. A moins qu’un socialiste internationaliste ait deux perspectives dont une optimiste pour lui-même et l’autre pessimiste pour ses concitoyens juifs et les Juifs étrangers en France. Cela est pourtant absurde. Si l’antisémitisme et le fascisme auront de nouveau la suprématie dans le pays, ce sera la fin de la démocratie et du mouvement socialiste, comme les expériences nous l’ont prouvé. Par le consentement que certains démocrates et socialistes français donnent au sionisme, ils ne pensent pas aux Juifs français, mais à ceux de l’Europe orientale.

Mais si l’on considère que l’Europe orientale est un foyer éternel d’antisémitisme, cela constituera un danger permanent pour le contient tout entier !

D’ailleurs les sionistes américains et occidentaux ne veulent pas, eux-mêmes, quitter leur pays et préfèrent envoyer en Palestine, leurs frères de Pologne, de Roumanie et d’ailleurs.

Après les dévastations terribles que l’hitlérisme a commises en Europe orientale et centrale, les Juifs survivants ne veulent peut-être pas continuer à vivre sur les ruines où à y retourner. Il s’agit des quelques centaines de milliers de Juifs. Il suffit que les pays démocratiques en laissent entrer un certain nombre et le problème sera résolu. Si une partie des Juifs survivants veut aller en Palestine, il faut leur donner cette possibilité, mais cela n’a rien à faire avec le sionisme en tant que solution à la question juive, parce que, même si quelques centaines de milliers de Juifs viendraient encore en Palestine, 90 % du peuple juif resterait en dehors de ce pays. Si la liberté d’immigration et d’émigration est accordée, un certain nombre de Juifs quittera la Palestine et retournera dans les anciens pays (Allemagne, Tchécoslovaquie, etc … )

Le sionisme est né du désespoir et du pessimisme. La Palestine doit être, d’après les sionistes, le seul refuge contre toutes les forces obscures de la société capitaliste. Il s’est avéré que ce refuge était lui-même menacé par les forces fascistes et antisémites et c’est seulement grâce à la lutte des peuples démocratiques, dans laquelle les sionistes n’ont pas confiance, que les Juifs palestiniens ont été sauvés de l’anéantissement.

La question nationale en général et la question juive en particulier, ne peut être résolue à l’époque actuelle, qui démontre la faillite du système capitaliste, que par le socialisme International. Nous autres, socialistes juifs, nous l’avons compris depuis longtemps, et c’est pourquoi, nous menons une lutte énergique contre le sionisme dans les milieux juifs, au nom du socialisme et de l’internationalisme, en liant notre lutte juive pour la libération nationale et sociale avec la lutte que mène le prolétariat mondial. Les sympathies que le sionisme rencontre chez certains démocrates et socialistes en France, affaiblissent notre lutte pour les buts communs, politiques et sociaux, et aident directement le nationalisme juif.

ALEXANDRE.