Si l’action se déroule dans le même cadre et le même milieu que « Fontamara » (1) nous n’avons retrouvé que par éclairs l’âpreté et la vigueur de ce dernier roman. Là, des personnages taillés à la cognée évoluaient sur de la lave, ici ils sont ciselés par un poète. Nous préférions le bûcheron, et la première manière convenait mieux à ce peuple de « cafoni », véritables serfs du XXe siècle, à ces régions dures et hostiles.
Article de Jean Blanzat paru dans Combat, 8 juillet 1949, p. 4
IGNAZIO SILONE est né en 1900 dans un village des Abruzzes. Son père possédait, dans ce pays aride, quelques hectares de terre, et, pour en compléter le revenu, la mère faisait du tissage. Ignazio n’avait pas quinze ans quand sa famille périt presque tout entière dans un tremblement de terre. Orphelin et sans ressources, Silone vint à Rome et gagna sa vie en vendant des journaux. Mais, déjà, la misère des « cafoni », les paysans de sa province, l’avait frappé ; à dix-sept ans, Silone était devenu secrétaire de l’un des premiers syndicats ouvriers agricoles.
IL ne faut pas chercher à définir et à comprendre les œuvres d’Ignazio Silone indépendamment de ses prises de position politiques. Lui-même nous en avertit :
« Écrire n’a pas été et ne pouvait être, pour moi, sauf en quelque rare moment de grâce, une sereine jouissance esthétique, mais la laborieuse et solitaire continuation d’une lutte, après que je me fus séparé de mes compagnons les plus chers ».
ALLONS-NOUS vers l’âge d’or ou vers une nouvelle barbarie ? Le régime de demain sera-t-il un capitalisme rénové sous la forme d’un capitalisme d’État, sera-t-il le socialisme, ou bien quelque chose d’entièrement original ?
Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 48, 21 novembre 1946, p. 11
Nous nous débattons tous, il faut en convenir, dans un chaos intellectuel indescriptible. Une immense supplication, comme une prière, monte des foules inquiètes vers ceux qui mènent le monde. « Dans votre sillage, messieurs, où allons-nous ? Où nous conduisez-vous ? » Telles sont les questions que, sourdement, se pose l’énorme majorité des hommes qui n’ont pas encore cessé de penser ni de réfléchir.
VOICI l’ouvrage qu’il faut recommander à tous les jeunes qui se demandent quelle signification peut prendre honnêtement la vie d’un révolutionnaire dont l’histoire a été trahie et qui survit aux multiples désastres sans aliéner son espoir ni même altérer son action. L’exemple est fantastique en notre temps de confusion : une pointe de platine.
Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 103, 18 décembre 1947, p. 12
The delegates to the IInd Congress of the IIIrd International, at Pavlovsk. In the middle of the group, Comrade Lilina. On her left, Mutzenberg’. Zlata (or Zinaida) Ionova Lilina (1881-1929) was Grigori Zinoviev’s wife. Involved in children care and education, she was People’s Commissar for Social Planning to the Northern Commun (organ of the Petrograd Soviet). Victor Serge (1890-1947) described her as ‘a small crop-haired, grey-eyed woman (.) sprightly and tough’. She stands in the middle of the group, with German delegate Willi Münzenberg (1889-1940) on her left. The man with a hat and a pipe may be Karl Radek (1885-1939). The man on the left, behind the woman in a white dress, may be Manabendra Nath Roy (1887-1954), delegate to Mexico, commissioned by Lenin to write the theses on national and colonial questions during the IInd Congress. (Photo by: HUM Images/Universal Images Group via Getty Images)
LES restrictions de papier, supprimant nos chroniques, nous font vous parler de la disparition de Victor Serge avec un certain retard.
Once a prisoner of war himself, David Rousset, famed French writer, is shown as he staged the first rally of his one-man crusade for the investigation of Soviet prison and work camps, where thousands of prisoners of war are still held, many at forced labor. (Photo by Bettmann/Corbis/Getty Images)
AU cœur de la crise morale et intellectuelle de la gauche se trouve cette question à deux faces : pourquoi la révolution socialiste n’a-t-elle pas eu lieu ? Demeure-t-elle possible ?
Appel paru dans Gavroche, n° 169, 24 décembre 1947, p. 1-2
French philosopher and author Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) during an interview in which he denies ‘founding’ the new philosophy of Existentialism, describing it as the present day current of thought. Original Publication: Picture Post – 4411 – A New Philosophy Or Is It Only A New World? – pub. 1947 (Photo by Charles Hewitt/Getty Images)
NOUS publions aujourd’hui le texte intégral du premier appel adressé par un groupe d’intellectuels français à la conscience internationale. Soucieux de préciser publiquement leurs positions intellectuelles, morales et politiques devant les événements et décidés à résister à la poussée de forces qui, dans l’univers et à l’intérieur de chaque nation, aveuglent aujourd’hui les esprits, préparant ainsi des catastrophes que certains considèrent comme fatales, quelques hommes de gauche, qui croient encore à la liberté et à la responsabilité, ont choisi de préciser leurs accords sur le plan de la vie internationale, comme sur celui de la vie nationale.
Un des rares amendements fait par les bureaucrates bourgeois à l’Avant-projet de Charte nationale, est relatif à la religion. L’Islam a été proclamé religion d’État. On apprend (toujours dans la Charte) que l’Islam est une des caractéristiques principales du socialisme, tel que le conçoivent nos exploiteurs.
Article signé Jean-Claude paru dans Le Monde libertaire, n° 589, 4 avril 1985, p. 8
Washington: Chadli Bendjedid, President of Algeria speaking with President Reagan nearby.
DEPUIS plus de vingt ans, l’Algérie est indépendante. La bureaucratie et la bourgeoisie nationale ont pris le relais des colons français pour exploiter à leur tour le peuple. La situation économique, sociale et politique est catastrophique. Le bilan pour les travailleurs est donc bien maigre.
Article signé Jean-Claude paru dans Le Monde libertaire,n° 588, 28 mars 1985, p. 8
ALGIERS, ALGERIA – NOVEMBER 30: Francois Mitterrand and Chadli Bendjedid on November 30, 1981, in Algiers, Algeria. (Photo by Jean-Claude FRANCOLON/Gamma-Rapho via Getty Images)
LE F.L.N. comme si vous y étiez. Ce parti obéit à la même logique qui mène tous les partis. Chadli Bendjedid, actuel responsable du parti, après Boumediene, a imprimé à l’Algérie de 1985 un caractère réaliste, remettant en cause la politique économique de l’après-révolution. De cette révision découle un revirement d’alliances. Et pour ce faire, il y a eu nécessité d’une épuration dans l’appareil gouvernemental. La deuxième partie de cet article fera le point sur le situation du socialisme algérien et le façon dont il est vécu par la population.
Article paru dans Combat communiste, n° 2, 17 janvier 1975, p. 1 et 4
Habitants à un arrêt de bus dans une rue de Ouadhia en avril 1975, Algérie. (Photo by Gilbert UZAN/Gamma-Rapho via Getty Images)
« L’Algérie va passer à la deuxième étape de sa révolution : la révolution socialiste », vient de déclarer le colonel-président Boumedienne. Les journaux algériens ressemblent aux publications maoïstes ou castristes : sur les pages d’ « El Moudjahid » s’étalent des slogans glorifiant « l’édification socialiste », des récits des exploits de volontaires de l’Armée Nationale Populaire sur les « chantiers du socialisme ». Boumedienne s’engage donc sur la voie déjà empruntée par les Staline, Mao et Castro : tenter de construire une économie nationale dans un pays arriéré à l’heure où toutes les places sont prises sur le marché mondial. Pour atteler les masses populaires à cette tâche, la bourgeoisie n’est pas avare de slogans « socialistes ». Qu’importe l’étiquette, pourvu que le Capital s’accumule… L’indépendance de l’Algérie, acquise au prix d’un million de morts, a certes mis fin à l’oppression coloniale, mais elle n’a pas libéré les travailleurs de l’exploitation capitaliste.
Fritz Sternberg – Éditions du Seuil. (I vol. 670 pages).
Ne pouvant lire que fort peu de périodiques, je n’ai connaissance que de deux « critiques » de l’ouvrage de Sternberg, en fait deux présentations louangeuses, mais des plus quelconques.
Éditorial paru dans L’Internationale, n° 2 (128), juillet 1962, p. 1
Mais en même temps que l’indépendance se présentent des problèmes nouveaux. Et ces problèmes ont fait surgir dès le début une crise douloureuse aux sommets, à la direction de la Révolution algérienne. Ces problèmes n’intéressent pas seulement les Algériens. Ils préoccupent aussi tous ceux qui ont participé au combat du peuple algérien. Car le destin de la Révolution algérienne est de la plus grande importance non seulement pour les Algériens mais pour l’ensemble des masses exploitées et opprimées du monde entier.
Textes parus dans Quatrième Internationale,20e année, n° 16, juillet 1962 (3e trimestre), p. 1-5
L’indépendance de l’Algérie, c’est une des plus grandes victoires révolutionnaires depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle a été arrachée par huit années de lutte héroïque de tout un peuple contre l’impérialisme français.
Le 1er juillet prochain, l’Algérie deviendra une République indépendante, à la suite d’une lutte héroïque qui a duré près de huit années. Après tant de scrutins truqués en Algérie, le referendum enregistrera la défaite de l’impérialisme.
Note éditoriale parue dans Quatrième Internationale,20ème année, n° 15, avril 1962 (2ème trimestre),p. 3-4
Une phase de la Révolution algérienne sera bientôt close, une autre — plus importante — commencera. Il s’agira de voir de quelle manière le F.L.N., la direction que s’est donnée le peuple algérien dans sa lutte pour l’émancipation, saura répondre aux aspirations révolutionnaires des masses paysannes, des ouvriers et des « éduqués » et réaliser, après l’indépendance formelle, la Révolution.
Dés le premier jour du soulèvement du peuple algérien, nous avons dit que la lutte pour l’indépendance nationale c’était en même temps une révolution sociale, que cette révolution, logiquement, aurait pour objectif le socialisme. La libération nationale donnerait une forme, un contenant nouveau, indispensable pour le développement d’une substance, d’un contenu nouveau. Au cours des années de guerre, les combattants eux-mêmes ont qualifié leur combat de Révolution algérienne, et les déclarations n’ont pas manqué — sous des formes variables, tantôt plus précises, tantôt plus vagues — que l’Algérie nouvelle ne serait pas une Algérie capitaliste.
Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 39, avril 1962, p. 1-2
Et maintenant ? Le colonialisme a perdu la dernière bataille, non à Evian, mais en Algérie.
Officiers déserteurs et européens fanatisés tirent leurs dernières cartouches, assassinent leurs dernières victimes. Dans quelque banlieue algéroise, Salan compulse fiévreusement ses plans de « guerre subversive », cherche « l’erreur », lance encore des ordres.
Déclaration du Parti communiste internationaliste parue dans La Vérité des travailleurs, n° 124, mars 1962, p. 15-16
L’indépendance de l’Algérie est une victoire du prolétariat mondial
Les accords entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République Algérienne ont été signés. Ils impliquent, à échéance relativement proche, l’établissement de l’Algérie en République indépendante.
Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 37, février 1962,p. 1-2
FRANCE – FEBRUARY 13: Cortege On Avenue De La Republique With 8 Coffins Of Victims Of The Police Repression While Demonstrating On February 8, 1962. (Photo by Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)
Un million de personnes aux obsèques des travailleurs tués par la police républicaine.
Sur quoi s’appuie le régime gaulliste ?
Sur le patronat et l’Etat.
Quels intérêts défend-il ?
Les intérêts du patronat et de l’Etat, maîtres de la France.
ALGERIA – FEBRUARY 26: A military patrol covering the outskirts of Oran following numerous protests and arms robberies. (Photo by Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)
L’EVACUATION APPORTE L’ « ORDRE »
Voici comment un journaliste américain, correspondant de l’AssociatedPress, Andrew Borowiec, décrivait la situation à Oran au milieu du mois dernier :
... Oran, ville de 400.000 habitants, n’est plus contrôlée par les autorités ; celles-ci se contentent de s’abriter dans des bâtiments gardés par les mitraillettes des C.R.S.
L’Organisation de l’Armée Secrète (O.A.S.) règne dans les quartiers européens de la ville ; le Front de Libération Nationale (F.L.N.) est le maître dans les quartiers arabes qui sont entourés par les troupes françaises.
Les meurtres dus au terrorisme sont de cinq en moyenne par jour. Au poignard et au pistolet des Musulmans répondent les bombes au plastic des Européens.
Fréquemment, un attentat musulman déclenche une émeute européenne et tout Arabe qui se trouve sur son passage est lynché.
Les autorités disent que l’économie oranaise est en train de s’écrouler. Elles ne voient aucun moyen d’arrêter le chômage et la fuite des capitaux.
On estime que 20.000 ouvriers musulmans sur 40.000 ont été licenciés par leurs patrons européens au cours des trois dernières semaines, ou bien refusent de s’aventurer dans les quartiers européens pour y travailler. Aussi, dans les quartiers musulmans y a-t-il eu des émeutes de la faim.
La plupart des commerçants et des industriels voient l’avenir en noir. Presque toute la construction privée est arrêtée et les crédits de l’Etat pour la construction de locaux d’habitation ont été réduits, pour 1962, de 35 %. Les ventes d’objets ménagers et de biens d’équipement ont baissé de plus de 60 %. Les textiles ont même été encore plus touchés.
Les autorités estiment que la production industrielle de la zone oranaise a baissé de 35 à 40 % depuis l’automne dernier. Chaque semaine, quatre entreprises industrielles en moyenne transfèrent leurs affaires en France…
Tous les commerçants et les sociétés industrielles sont forcés de contribuer à l’O.A.S. dont le revenu mensuel en cette ville est estimé officieusement à 200 millions d’anciens francs.
Les petits boutiquiers payent 2.500 anciens francs. Les docteurs, les dentistes et les avocats payent 5.000 anciens francs. Les sociétés commerciales sont taxées d’après le volume de leurs affaires. Tout le monde paie par crainte de voir sauter ses locaux ou son appartement.
Beaucoup de colons quittent la ville. L’administration déclare que 40.000 colons, soit en gros, 10 % du nombre total ont quitté l’Algérie occidentale depuis le 1er octobre (1).
1969, China’s Red Army soldiers read from Mao Tse-tung’s « Little Red Book » (Photo by Rolls Press/Popperfoto via Getty Images/Getty Images)
Dans le mouvement étudiant qui tant bien que mal survit aux espoirs et aussi aux illusions de mai 1968, le maoïsme sévit sous bien des formes, et s’accouple souvent, de manière imprévue, avec toutes les variétés possibles d’idéologies : anarchisme, spontanéisme, marcusisme et d’autres encore. Le confusionnisme éclectique a toujours marqué les phases d’immaturité du mouvement révolutionnaire. Les idées s’éclaircissent ensuite lorsque le tranchant de la lutte des classes s’aiguise. Il faut pourtant une singulière dose d’aveuglement ou d’ignorance pour aller actuellement chercher en Chine les modèles d’une action révolutionnaire effectivement libératrice, car en premier lieu il n’est pas vrai que la révolution maoïste ait été une révolution socialiste. Cela apparaît jusqu’à l’évidence si on jette un coup d’œil sur la situation dans laquelle se trouvait la société chinoise à l’époque où se constituait le maoïsme.
Usine de bouchons en liège en Algérie, en avril 1979. (Photo by Michel HUET/Gamma-Rapho via Getty Images)
Une discussion avec un ouvrier algérien a permis à un camarade de faire connaître au lecteur que la lutte de classe n’a pas de frontière et que le détachement des ouvriers des centrales syndicales a commencé, même en Algérie.
Article paru dans le Bulletin de liaison du CEDETIM, n° 6, mai 1968, p. 10-13
Camions transportant des voitures de touriste à la frontière nigérienne en Algérie, en décembre 1968. (Photo by Lily FRANEY/Gamma-Rapho via Getty Images)
INTRODUCTION
La complexité de la situation politique en Algérie nécessiterait une étude approfondie notamment de la période 1954-1962 ; en effet, le mouvement de libération nationale s’est formé alors et les problèmes politiques actuels (nature des oppositions, situation relative des « clans » dans le pouvoir) s’expliquent en grande partie par les conflits qui se sont développés pendant cette période. Une des caractéristiques essentielles de la Révolution algérienne, c’est qu’elle a été accomplie par une organisation purement nationaliste, le F.L.N., alors que le P.C.A., pourtant bien implanté et disposant de nombreux cadres, n’a rejoint la lutte qu’en 1956.
Deux livres viennent de paraître simultanément, qui nous incitent à repenser les fondements idéologiques du bolchevisme celui de Milovan Djilas – le prisonnier de Tito – et celui de Michel Collinet. Bien que conçus par deux hommes de tempérament et d’origine différents à partir de méthodes assez divergentes, ils aboutissent à peu près aux mêmes conclusions et présentent à peu près les mêmes qualités aussi bien que les mêmes défauts.
Article de Maxime Rodinson paru dans Partisans, n° 24, décembre 1965, p. 19-29
Hagia Sophia, a former mosque, now a museum, in Istanbul, Turkey, circa 1965. (Photo by J. Russell Gilman/Archive Photos/Getty Images)
Le texte qu’on lira dans les pages suivantes correspond à une conférence que j’ai donnée à Alger, à la salle Ibn Khaldoun, le 1er avril 1965.
Elle faisait suite à deux conférences prononcées au même endroit dans lessemaines précédentes et que je ne connais que par ouï-dire. L’une, celle de Jacques Berque, avait insisté, m’a-t-on dit, sur la spécificité de l’élan arabe (et algérien en particulier) vers l’indépendance et la la conscience nationales, sur l’enracinement de cet élan dans les valeurs transhistoriques particulières à ce peuple et sur les pulsions « anthropologiques » où ce mouvement puisait sa force. L’autre, celle de Roger Garaudy, introduisait l’idée de lutte sociale en invoquant Marx. Il canonisait la République Algérienne comme poursuivant une révolution de type marxiste et justifiait les efforts faits pour lui donner une référence islamique. D’une part, il rejetait l’idée d’une opposition radicale entre le sentiment religieux et la vision marxiste de la libération humaine. D’autre part, il assimilait l’idéologie musulmane à l’idéologie marxiste ou du moins les rapprochait. C’est en tous cas l’impression qu’en recueillirent ses auditeurs.
Article de Marie-Madeleine Hermet paru dans Le Monde libertaire, n° 279, 14 septembre 1978, p. 1-8
Tehran, Iran: Demonstrators carry photo of Ayatollah Khomeini during anti-shah demonstration.
TEHERAN est en état de siège ; la loi martiale y est proclamée, comme elle le fut à Ispahan au milieu du mois d’août dernier. Depuis plus d’une semaine, les manifestations s’amplifiaient par le nombre et par le ton dans la capitale et dans une dizaine de grandes villes. Celle du 7 septembre, interdite par le Shah, fut si importante, les soldats « fleuris » par les manifestants étaient encore si émus, si hésitants, que le « frère musulman militaire ne tira pas sur le frère musulman en révolte. Le matin du 6 septembre, Libération avait titré : « Que va faire l’armée ? » Dans la soirée du 8, toutes les radios donnèrent la réponse : l’armée a tiré et les armes, en une seule fois, ont fait 203 morts, devenus 50 dès le lendemain dans la presse officielle du Shah, selon l’AFP, le samedi 9 septembre.
Article paru dans La Vie du parti, supplément mensuel du Populaire, n° 19, 6 juillet 1931
L’Exposition Coloniale de Vincennes est une occasion pour le socialisme de rappeler qu’il a, en matière de colonisation, une doctrine constante, affirmée à maintes reprises par ses congrès nationaux et internationaux, répétés par les mille voix de sa presse, de ses élus, de ses propagandistes. Elle se rattache à une idée plus générale, celle du droit des peuples, de tous les peuples, coloniaux ou non, à faire leurs affaires eux-mêmes, à disposer librement de leur sort, à suivre sans contrainte extérieure la ligne de leur développement social et culturel.
« LA fin justifie les moyens ». On connait la formule. Elle ne date pas d’aujourd’hui. Posée comme un précepte de morale et de politique utilitaires, elle a été et elle est toujours brandie par tous les conquérants. tous les dictateurs, tous les fanatiques.
SI l’on admet que l’état de terreur, avoué ou non, où nous vivons depuis dix ans, n’a pas encore cessé, et qu’il fait aujourd’hui la plus grande partie du malaise où se trouvent les esprits et les nations, il faut voir ce qu’on peut opposer à la terreur. Cela pose le problème du socialisme occidental. Car la terreur ne se légitime que si l’on admet le principe : « la fin justifie les moyens ». Et ce principe ne peut s’admettre que si l’efficacité d’une action est posée en but absolu, comme c’est le cas dans les idéologies nihilistes (tout est permis, ce qui compte c’est de réussir), ou dans les philosophies qui font de l’histoire un absolu (Hegel, puis Marx : le but étant la société sans classe, tout est bon qui y conduit).
LE futur historien des idées sera sans doute sensible au désarroi de l’intelligentsia révolutionnaire après cette guerre. Le fait que des écrivains et artistes — ralliés plutôt que partisans — quittent aujourd’hui le parti communiste n’en est que l’aspect le plus spectaculaire et le moins important ; plus significatifs sont, par exemple, le duel Rousset-Sartre à propos de l’attitude qu’a prise le premier sur la question des camps de concentration soviétiques, les « révisions » qu’opèrent du marxisme Burnham, Koestler ou Michel Collinet, les congés sourds ou publics que prennent enfin maints anciens révolutionnaires.
Article d’Albert Camus paru dansFranc-Tireur, 7 décembre 1948, p. 1 et 3
LA paix a les inconvénients de l’amour. On croit savoir ce qu’elle est et puis l’épreuve arrive, la voici menacée, et personne ne s’entend sur le sens de ce mot. Les premiers venus, dont je suis, pensent que la paix est l’absence de guerre et qu’une politique pacifiste est une politique qui ne multiplie pas les chances de guerre. Ils pensent, en outre, qu’on a d’autant moins le droit de courir ces chances que la guerre à venir menace d’être plus générale et plus destructive. Autrement dit, s’il faut être prudent quand il s’agit de risquer une guerre de canons et d’avions entre la France et l’Allemagne, il faut l’être d’autant plus quand il s’agit d’une catastrophe où les continents seront atomisés.
QU’EST-CE que le marxisme ? Une idéologie, une méthode d’explication du monde, une philosophie, une stratégie de la révolution, une religion, ou tout cela à la fois ? En l’impossibilité où l’on est de le définir congrûment pourrait résider une des sources de la « tragédie » (1) où Michel Collinet estime qu’il est tombé et qui fait que des millions d’hommes s’en réclament sans en avoir toujours d’autre représentation que vante mais exclusive. En son nom, sur un sixième du globe, on régente et on blâme, on emprisonne et on commet parfois des assassinats ; ailleurs, des philosophes, historiens, économistes, politiques et artistes l’utilisent à des fins diverses, parfois excellentes, parfois nocives. Malheureusement, pour l’ensemble de ces marxistes « orthodoxes » ou hérétiques, « étroits » ou « ouverts », la lettre a souvent tué l’esprit et la référence au dogme remplacé la recherche vivante.
LE propre des œuvres profondément engagées dans l’époque est de susciter la polémique. On peut même avancer que les œuvres fortes la suscitent toujours ; voyez Miller, voyez le courant actuel de littérature noire principalement branchée sur l’Amérique et où l’on trouve du bon et du mauvais mais qui ne peut laisser indifférent. Souvenons-nous des anti-Gide d’avant 1914, des anti-Valéry de 1920, des anti-Claudel de toujours. Pour Arthur Koestler, la question déborde le plan artistique et même celui des mœurs ; elle se meut dans un domaine où les passions se déchaînent au maximum : la politique.
Propos recueillis à Mexico par Victor Alba et parus dans Combat, 16 novembre 1947, p. 1 et 3
Victor Serge
ON sent, devant le visage presque immobile de Victor Serge, et surtout en l’écoutant parler, qu’on se trouve en face d’un homme de comité, de cercle, et que nulle question ne le prend au dépourvu, qu’il a tout pesé et réfléchi.
Meeting of the Socialist German Workers Youth in Hamburg in August 1925 (Photo by ADN-Bildarchiv/ullstein bild via Getty Images)
Comment peut-on élire des socialistes au parlement ? La majorité des électeurs n’est pas socialiste, même dans un arrondissement électoral qui serait créé expressément, car si elle l’était, elle n’aurait pas besoin de nommer des députés et pourrait, en admettant même que tous les autres arrondissements fussent réactionnaires, devenir un centre de rayonnement socialiste et attaquer le régime bourgeois de mille façons bien plus efficaces. Pour se former une majorité, il faut donc transiger, s’allier avec celui-ci ou bien celui-là, mystifier le programme, promettre des réformes immédiates, faire accroire aux uns une chose, aux autres le contraire, tâcher que la bourgeoisie vous tolère et que le gouvernement ne vous attaque pas trop violemment. La propagande socialiste que devient-elle alors ?
Prime Minister of China Zhu Enlai is welcomed by President Ahmed Ben Bella after his arrival for an official visit on March 31, 1965 in Algiers, Algeria. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)
Pendant tout le mois de décembre des grèves ont éclaté dans les principaux centres algériens ; on en sait bien peu de choses.
African-American Muslim minister and civil rights activist Malcolm X (1925 – 1965) on Marshall Street in Smethwick, near Birmingham, 12th February 1965. The local Conservative council is attempting to buy houses on the street for resale to white people only. (Photo by Daily Express/Archive Photos/Getty Images)
L’ASSASSINAT DE MALCOLM X est un coup sévère à la lutte pour la liberté aux USA et, avec elle, à la lutte pour le Socialisme dans le monde.
Le ministre d’Etat algérien Cherif Bel Kassem et le ministre algérien des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika lors de la fête d’indépendance de l’Algérie. (Photo by Christian SIMONPIETRI/Sygma via Getty Images)
Les conditions dans lesquelles l’Algérie a accédé à l’indépendance politique, le 5 juillet 1962, ont été telles que l’impérialisme français et international avait suffisamment de garanties quant au maintien des bases essentielles de sa domination économique. Les accords d’Evian signés en mars 1962 avaient nettement stipulés que tant la propriété de la terre que celle du sous-sol devait rester entre les mains des classes possédantes, c’est-à-dire en fait sous la domination des colons et du capital financier.
Cuban leader Fidel Castro looks unsteady while riding a camel and almost took a nose dive before being helped by Algerian President Boumedienne during an official visit to Algeria. (Photo by Christian SIMONPIETRI/Sygma via Getty Images)
1 – la révolution algérienne et sa direction
Il y a presque exactement dix ans, au terme de l’une des plus sanglantes guerres de libération nationale, l’Algérie parvenait à l’indépendance politique. En mars 1962, le cessez-le-feu était signé et, en dépit d’un dernier sursaut de la réaction colonialiste à Alger et dans les grandes villes d’Algérie, l’indépendance était proclamée le 5 juillet. Nous avons abordé, trop brièvement ici même (lire « I.O. » n° 557 du 22 mars et 558 du 29 mars, « Dix ans après Evian : quel bilan ? ») la question du bilan de dix années d’indépendance en Algérie. A la veille de l’anniversaire du 5 juillet 1962, et alors que toutes les forces intéressées au maintien du statu quo, c’est-à-dire au renforcement de l’Etat bourgeois algérien lui-même, se préparent à présenter leurs conclusions du moment, les militants révolutionnaires qui luttent partout pour reconstruire la IVe Internationale ouvrent le débat.
Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 85, juillet-août 1967, p.7-13
Israeli Defense Minister, Moshe Dayan, hero of the 1956 Sinai campaign, addresses a press conference. In this, his first meeting with the press since he accepted the ministerial post, Dayan said he did not want American and British soldiers dying for Israel if the present Middle East crisis erupted into war.
La crise du Proche-Orient, dont on pouvait redouter les prolongements les plus graves sur le plan international, a provoqué dans la population française une extraordinaire poussée passionnelle. Deux guerres mondiales n’ont, à coup sûr, rien appris aux habitants de ce pays : le bourrage de crâne, à peine moins sot qu’en 1914, conserve la plus large efficacité ; les informations truquées et tronquées sont avalées sans discussion par un bon peuple qui se pique pourtant d’être le moins conformiste de la terre, et il n’a même pas manqué un petit contingent de « révolutionnaires » prêts à découvrir les meilleures raisons de faire l’union sacrée avant même que le premier coup de feu ne soit parti. Mais il est vrai, que face aux bénisseurs des armées de l’Etat sioniste et de ses alliés anglo-américains, les défenseurs du « socialisme arabe » et de ses fournisseurs russes, se portaient au secours de régimes qui n’ont certainement rien à voir avec la libération des travailleurs ou même le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nasser n’est pas Hitler et Israël n’est pas une tendre colombe entourée de vautours. Mais Nasser et ses alliés arabes, y compris ceux d’Alger, quel que soit le rôle positif qu’ils ont joué naguère dans la lutte contre les impérialismes, ne sont plus maintenant que des exploiteurs aussi féroces qu’incompétents des travailleurs arabes – que les Russes ou demain les Chinois leur accordent leur soutien, ne change rien à l’affaire.
Les volontaires affluent dans les postes de recrutement de l’armée algérienne, en Algérie, le 12 juin 1967. (Photo by KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho via Getty Images)
Bilan de son gouvernement, et surtout promesse pour l’avenir, c’est l’essentiel du discours de Boumedienne, le 1er novembre, anniversaire de l’insurrection. Le bilan étant très maigre, c’est sur l’avenir que le président algérien s’est surtout appesanti : planification, industrialisation, réforme agraire, réforme départementale, diminution de l’écart de développement entre les régions, résorption de l’analphabétisme, développement et démocratisation de l’éducation, renforcement de l’autogestion… plus la service militaire obligatoire, le tout « dans l’ordre et la discipline », telles sont les perspectives tracées par un discours qui ne fait pas appel aux masses pour réaliser ce programme, mais qui leur demande de faire confiance au gouvernement « avec esprit de sacrifice ».
Défilé du 1er novembre 1974, qui marque les 20 ans du début de la révolution algérienne [source]
J’avais fait deux voyages en Algérie « française », en 1936 et 1947. J’avais, de plus, fait une courte escale à Alger, en pleine période de combats, revenant d’Egypte en 1956. J’ai vu cette fois-ci la République algérienne, démocratique et populaire. Elle se veut socialiste. J’avoue qu’en la parcourant en dehors de tout circuit guidé, je n’ai pas très bien vu en quoi elle était socialiste. Peu de ressemblance même avec le régime des pays de l’Est. La densité des autos, par exemple, est aussi forte que dans les pays capitalistes. Le petit commerce est aussi important qu’autrefois : la différence est que les boutiques manquent de bien des produits d’usage courant. On voit les mêmes foules misérables qu’auparavant, les mêmes grappes humaines se bousculant dans les bureaux des autocars pour obtenir une place. La pénurie d’eau est grande, et partout, il y a des coupures, de jour ou de nuit.
Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 33, octobre 1961, p. 4-5
Match de football devant une usine à Paris, en France, en 1961. (Photo by René MALTETE/Gamma-Rapho via Getty Images)
Les travailleurs vivent avec un système de pensée imprégné d’idées et de formules qu’on leur a inculquées depuis leur enfance soit à l’école primaire, soit au cinéma, la radio, à la Télé ou dans les journaux. Ces idées empêchent les travailleurs de prendre conscience de certaines réalités élémentaires et de leur rôle dans la société. C’est la classe dominante qui les diffuse pour maintenir les travailleurs dans leur rôle d’exploité. Le racisme, le patriotisme, les notions de bon citoyen, d’honnête travailleur, etc… sont autant de formules qui encombrent les esprits et empêchent les ouvriers de résoudre leur propre problème et entretiennent chez la plupart la confusion intellectuelle souvent la plus totale.
Sartre, Jean-Paul (*21.06.1905-15.04.1980+) , Philosoph, Schriftsteller, Frankreich, – Portrait mit Zigarette, – 1950, Foto: Fritz Eschen (Photo by Fritz Eschen / ullstein bild via Getty Images)
En tant que simple abonné des Temps modernes, je me permets de poser à J.-P. Sartre et M. Merleau-Ponty les questions suivantes :
1. N’existe-t-il pas une différence de nature entre les camps russes, pièce maîtresse d’une économie planifiée (ce sujet est traité dans toute son ampleur dans le dernier ouvrage traduit de Dallin, et plus succinctement dans le deuxième numéro du Bulletin des Groupes de liaison internationale) et les autres camps de concentration actuellement connus, en Espagne, en Grèce et dans les colonies ?