Catégories
presse

Jean-Claude : Algérie 1979, à droite toute !

Article signé Jean-Claude paru dans Le Monde libertaire, n° 588, 28 mars 1985, p. 8

ALGIERS, ALGERIA – NOVEMBER 30: Francois Mitterrand and Chadli Bendjedid on November 30, 1981, in Algiers, Algeria. (Photo by Jean-Claude FRANCOLON/Gamma-Rapho via Getty Images)

LE F.L.N. comme si vous y étiez. Ce parti obéit à la même logique qui mène tous les partis. Chadli Bendjedid, actuel responsable du parti, après Boumediene, a imprimé à l’Algérie de 1985 un caractère réaliste, remettant en cause la politique économique de l’après-révolution. De cette révision découle un revirement d’alliances. Et pour ce faire, il y a eu nécessité d’une épuration dans l’appareil gouvernemental. La deuxième partie de cet article fera le point sur le situation du socialisme algérien et le façon dont il est vécu par la population.

EN 1962, le colonialisme français est chassé d’Algérie à la suite d’une guerre sanglante : le Front de libération national (F.L.N.) prend le pouvoir pour mener le peuple vers le « socialisme ». Aujourd’hui, la route paraît encore bien longue et sinueuse. L’année 1979 est marquée par un virage à droite de la politique algérienne succédant à Boumedienne, Chadli prend les rênes du pouvoir.

Au cours du congrès extraordinaire du F.L.N. de la fin janvier 1979, Chadli Bendjedid est désigné responsable du parti. Le rôle de l’armée dans la nomination de ce colonel au poste de secrétaire général n’a certainement pas été négligeable. Dès cette époque, les trois orientations de la politique à venir étaient entérinées :

• ouverture et politique de réconciliation, qui allait se traduire par un rapprochement avec la bourgeoisie privée ;

• restructuration et réanimation du parti ayant pour but de réactiver le F.L.N. en ouvrant ses portes à d’autres couches sociales, favorables à la nouvelle politique de droite ;

• campagne d’assainissement de le vie politique et économique : chasse aux opposants au régime et offensive anti-ouvrière.

Dès la fin de 1979, le comité central décide que les choix économiques antérieurs doivent être amendés. Début 1980, le gouvernement mettait en place un plan anti-pénurie. Pour ce faire, des importations d’une valeur de 5 milliards de dinars (produits alimentaires, biens de consommation et pièces de rechange) furent déversées sur le marché intérieur. Cette opération avait pour but d’éviter les débordements populaires dus au manque d’approvisionnement que subit quotidiennement la population.

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie avait opté pour la voie de l’industrialisation lourde, et avait alors décidé d’ignorer les besoins de consommation en négligeant certains secteurs non productifs : habitat, santé, etc. Le pouvoir jugeait plus urgent de poser les bases d’un décollage économique, fût-ce au prix d’une « génération sacrifiée », selon les propres termes de Boumedienne.

Actuellement, pour le gouvernement, il faut gérer « sainement » ce qui existe et achever les plans quadriennaux dont près de 50% des projets n’ont pas vu le jour en 1979. Ainsi, sur les 400 milliards de dinars d’autorisation de dépense pour 1980-1984, les restes à réaliser des programmes précédents, comptaient, à eux seuls, pour 196 milliards. Pour freiner un endettement dont le rythme de progression a été jugé trop rapide de 1976 à 1979, des projets industriels de grande envergure ont été différés ou annulés. Le plan insiste sur les retards à combler dans les secteurs de l’agriculture, de l’habitat, de l’hydraulique, des infrastructures économiques et sociales, et de la formation professionnelle.

A l’automne 1979, le F.L.N. décide d’engager le lutte contre les « fléaux sociaux et le parasitisme ». Une série d’opérations policières se déroulent pour appréhender délinquants, vagabonds, spéculateurs et trafiquants en tout genre. En effet, le fin des années 70 a vu la multiplication des « affairistes » opérant non seulement dans le secteur privé, mais également dans les sociétés nationales et l’administration. Pour faire passer dans les faits la volonté gouvernementale de bonne gestion, proclamée dans le discours, des enquêtes et des arrestations ont lieu. Cette campagne ne touchera en réalité qu’une seule couche sociale : la plus défavorisée. Du côté du pouvoir, seuls quelques cadres, fonctionnaires et militaires seront emprisonnés et accusés de détournements de fonds et de négligence. Naturellement, les opposants au pouvoir seront les premières victimes de cette épuration, assimilées ainsi à de simples droits communs. Profitant de la situation, le chef de l’Etat se réservera le droit d’accélérer ou de freiner, voire même de repousser le déroulement d’une procédure judiciaire. Se dotant ainsi d’un excellent moyen de pression, il tiendra en respect les différentes tendances qui s’affrontent au pouvoir et laissera cours à l’arbitraire le plus total.

Offensive contre la classe ouvrière

La nomination de Chadli marque un tournant radical à droite. Le populisme de Boumedienne vole en éclat. Un assainissement au sein de l’équipe dirigeante est opéré avec son cortège d’arrestations et de disparitions.

Si Boumedienne, en parfait démagogue, ne manquait pas de faire référence à la « classe laborieuse » et au « socialisme », le nouveau dirigeant ne s’embarrasse pas de tous ces artifices. Il proclame sans ambiguïté qu’au « sein des entreprises, nombre de problèmes restent à résoudre et exigent davantage d’efforts de mobilisation et une exploitation rationnelle des potentialités du pays ». Son objectif est d’œuvrer à n’importe quel prix pour un accroissement de la production. Ceci ne peut se faire que d’une seule manière : par la surexploitation de la classe ouvrière. La diminution des coûts de production entraîne inévitablement le diminution des salaires et des dépenses sociales (santé, transport. etc.). Toute une série de mesures sont à la clef de cette nouvelle politique : licenciements, augmentation des cadences, encadrements autoritaires encore plus prononcés, répression systématique des luttes, campagnes de presse glorifiant les méthodes d’exploitations et de coercition dans le quotidien El Moudjahid.

Pour atténuer les répercussions de la crise internationale dans le pays, le gouvernement algérien a ainsi choisi la voie le plus réactionnaire : l’exploitation accrue de la classe ouvrière et la misère des masses. Cette politique de rigueur s’accompagne d’une certaine militarisation des travailleurs par les organisations de masse. Dans un premier temps, l’appareil syndical (U.G.T.A.) fut mis au pas. N’étant qu’une courroie de transmission du pouvoir, celui-ci doit repérer les syndicalistes trop zélés, encadrer les travailleurs pour étouffer toute contestation, afin de préserver la paix sociale. Il est vrai que, pour Chadli, les conditions ouvrières : salaires, conditions de travail, etc., ne seraient que des « problèmes marginaux ». L’étau se resserre donc sur les travailleurs.

Face à de telles mesures, les luttes n’ont pas débouché sur une opposition capable de stopper cette offensive. Ceci peut s’expliquer par :

• les quelques mesures conjoncturelles prises pour atténuer le mécontentement populaire (importations massives de produits alimentaires et électro-ménagers, en vue d’approvisionner plus ou moins régulièrement le marché) et la relance de la construction de logements ;

• la répression impitoyable envers tout opposant conduite par la sécurité militaire empêche toute contestation structurée de se mettre en place ;

• isolement des opposants et parcellisation des luttes.

Bureaucratie d’Etat et bourgeoisie privée même combat

Le 5e congrès du F.L.N., en décembre 1983, confirme l’orientation prise en 1979. Si ce dernier s’était déroulé sous le slogan : « Pour une vie meilleure », celui-ci annonce clairement la couleur : « Travail et Rigueur ». Les congressistes ont décidé d’ « améliorer le rendement des entreprises », non pour satisfaire le besoin des masses, comme le proclame le parti, mais pour réussir sa politique économique. Une des résolutions insiste sur la nécessité de « renforcer la fonction économique de l’entreprise, l’unité de conception et de direction au sein de celle-ci et de l’unité de production ces garantissant la discipline nécessaire ». Ce congrès a dévoilé au grand jour l’alliance entre le F.L.N. et la bourgeoisie privée. « Pour ce qui est du secteur privé, le congrès a décidé l’insertion de son intervention dans l’économie nationale (…) et d’œuvrer également à réunir les conditions susceptibles de lui fournir les équipements indispensables et les matières premières nécessaires ». Ce rapprochement était indispensable, puisque le secteur privé contrôle, en grande partie, les circuits de distribution ainsi que certaines industries légères. On constate de plus en plus l’intégration politique de la bourgeoisie dans le F.L.N.

Pour les classes possédantes, il faut rationaliser l’appareil de production. Toute une série de mesures ont été prises à cet effet :

• démantèlement des sociétés nationales : 330 entreprises moyennes ont ainsi vu le jour (autonomes financièrement, elles peuvent embaucher et licencier à loisir) ;

• priorité à la petite et moyenne entreprise ;

• arrêt de l’exode rural et implantation d’entreprises à l’intérieur et sur les hauts plateaux d’Algérie ;

• volonté de réduire progressivement les importations alimentaires coûteuses en devises. Le gouvernement essaie de relancer l’agriculture en restructurant les grands domaines.

Au niveau international, l’Algérie tente d’obtenir de meilleures conditions financières et de diversifier ses exportations. Elle a réalisé d’énormes contrats de vente de gaz avec la France, la Belgique, l’Italie avec indexation du prix sur celui du pétrole. Il y a une remise en cause des alliances antérieures, tissées du temps de Boumedienne. Le gouvernement se rapproche dorénavant des pays traditionnellement pro-occidentaux comme le Sénégal.

Il a acheté des armements américains et français et a maintenant une attitude de modération au sein de l’O.P.E.P. et de la Ligue arabe. On note un rapprochement avec la France : nombreux accords économiques, visites réciproques, accord tacite avec Paris sur le Tchad et le Liban, etc. Cette nouvelle attitude a provoqué une distanciation des liens avec l’U.R.S.S.

(A suivre)

Jean-Claude
Gr. Kropotkine

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *