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Marie-Madeleine Hermet : Les troubles en Iran. Révolution, Islam et socialisme

Article de Marie-Madeleine Hermet paru dans Le Monde libertaire, n° 279, 14 septembre 1978, p. 1-8


TEHERAN est en état de siège ; la loi martiale y est proclamée, comme elle le fut à Ispahan au milieu du mois d’août dernier. Depuis plus d’une semaine, les manifestations s’amplifiaient par le nombre et par le ton dans la capitale et dans une dizaine de grandes villes. Celle du 7 septembre, interdite par le Shah, fut si importante, les soldats « fleuris » par les manifestants étaient encore si émus, si hésitants, que le « frère musulman militaire ne tira pas sur le frère musulman en révolte. Le matin du 6 septembre, Libération avait titré : « Que va faire l’armée ? » Dans la soirée du 8, toutes les radios donnèrent la réponse : l’armée a tiré et les armes, en une seule fois, ont fait 203 morts, devenus 50 dès le lendemain dans la presse officielle du Shah, selon l’AFP, le samedi 9 septembre.

Il paraissait inéluctable que l’armée finirait par tirer, sauf si dans ses rangs des idées subversives avaient pu s’infiltrer. Mais la SAVAK (service national de renseignements et de sécurité), second pilier de la monarchie constitutionnelle devenue dictature, veillait au loyalisme intégral de la force armée.

On peut s’indigner du carnage, on ne saurait s’en étonner.

Ce qu’il est important d’essayer de cerner, c’est la nature, le sens exact de cette révolution iranienne. Est-ce un mouvement de masse ? Est-ce un soulèvement de la gauche mossadeghienne ou marxiste ? Est-ce purement un déchaînement du fanatisme religieux ?

Est-ce un bouleversement social ou économique, ou les deux à la fois ?

Le Shah dont le peuple, composé d’ethnies diverses, demande en vociférant des slogans la démission et la mort, est le second monarque de la dynastie des Pahlavi. Quand son père Riza Shah renversa les Qadja en 1925, il voulait sincèrement instaurer (paraît-il) une république ; il dut céder à la pression des conservateurs, des religieux en particulier, et accepter d’être couronné. Cela ne l’empêcha nullement de se muer – et très vite – en tyran. Muhammad Riza, à son avènement en 1941, tenta, lui aussi, d’être un progressiste ; il a fait sa « révolution blanche », partageant les terres aux paysans et donnant le droit de vote aux femmes. En septembre 78, il est pourtant l’un des dictateurs les plus haïs du globe terrestre, avec, entre autres, sur la conscience, la répression sanglante de l’opposition du Dr. Mossadegh en 1953, et les massacres de septembre 77 dont les manifestants célébraient le 1er anniversaire.

Le pouvoir l’a enivré, ainsi que les influences contradictoires des puissances de l’Est et de l’Ouest ne quittant pas du regard la position géographique de l’Iran, visant son pétrole, ses ressources minières non exploitées.

Le désir de faire de l’ancienne Perse un pays riche et fort a incité le Shahinshah (roi des rois) à renier la constitution de 1906, à imposer, par l’intermédiaire de l’armée et de la SAVAK, le régime autoritaire du parti unique. Le MAJLIS (chambre des députés) et le sénat ne sont plus que des instruments dociles au tyran. Les USA, après l’Angleterre et l’URSS, aussi la Chine, ont fait alliance avec l’Iran. 18 milliards de dollars en armements sont échangés contre le pétrole et « divers services » par Carter et Muhammad Riza. Il semble donc que la dictature du Shah s’appuie sur des motifs économiques et stratégiques ; l’intrusion des multinationales, l’occupation par des pays structurés ou riches, les accords passés avec les « grands », y compris la RFA, peuvent expliquer la politique de ce souverain ambitieux.

Contre la tyrannie, les emprisonnements arbitraires et les procès, contre la torture, les mises à mort et les injustices sociales toujours criantes, c’est bien le peuple qui scande et hurle sa colère dans la rue, risquant les fusillades massives. Toutefois, à Ispahan, on acclamait l’ayatollah Kadheri, à Téhéran, l’émeute est aussi le culte de la personnalité de l’ayatollah Khomeini, ce qui donne à la révolution un relent de croisade, de fanatisme religieux ; pendant ce temps les « intellectuels » politisés font leur propagande et les « petits bourgeois », à leur tour, rêvent d’un régime libéral.

Une grande partie de la masse qui exige, à Téhéran et dans les autres grands centres de l’Iran, la mort du Shah, est illettrée, donc inconditionnelle des chefs religieux plus encore que des chefs politiques. C’est un « socialisme islamique » que veulent les révolutionnaires ; les modernistes chiites de l’Islam aspirent à une société communautaire et égalitaire.

Tout cela revêt un aspect angoissant : une révolution de type religieux, même si elle tend vers un certain socialisme, s’appuie sur le fanatisme des foules que mènent les chefs musulmans, ici les mollahs, en cheville avec les leaders politiques marxisants.

Le mariage des chrétiens et des communistes a fait ses preuves négatives en Italie et dans les anciennes colonies évangélisées par les missionnaires catholiques ou protestants et les propagandistes maoïstes.

Celui de l’Islam et de Marx serai-il plus réussi ? Nous en doutons !

Marie-Madeleine HERMET

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