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Déclaration du comité de rédaction de « La Lutte anticolonialiste »

Déclaration parue dans La Lutte anticolonialiste, n° 1, janvier 1946

De nationalité, de race et d’affiliation politique différentes, mais d’accord pour lutter pour l’indépendance immédiate et sans conditions des nations colonisées ou « protégées », nous avons pensé qu’il était nécessaire dans la situation présente de créer une revue antiimpérialiste intercoloniale de langue française.

Nous en avons assez de voir nos frères payer de leur sueur et de leur sang la soi-disant « mission civilisatrice » des grands pays capitalistes. Nous en avons assez d’être les bêtes de somme et la chair à canon des banquiers de Paris, de Wall Street, de la City, d’Amsterdam ou d’Anvers.

Nous savons ce que nous avons à apprendre des pays plus avancés scientifiquement ou industriellement que nous. Nous ne prétendons pas retourner en arrière.

Mais nous pensons que la couleur de peau ou nos origines raciales ne nous destinent pas nécessairement à ignorer la science, la culture, la civilisation, à être des sous-produits humains, des brutes ou des clowns qu’on ridiculise quand on ne les tue pas.

Nous sommes sûrs que nos peuples sont capables d’administrer nos propres affaires, sans que les généraux et les soutanes d’Europe viennent nécessairement « guider nos pas » à coups de sabre ou d’encensoir vers « l’assimilation » de la culture mondiale.

Nous voulons l’indépendance nationale. Sans condition. Gérer totalement nos propres affaires. Et guider nous-mêmes nos pays respectifs vers le progrès technique, politique et social. Nous aurons besoin de l’aide des pays avancés, mais nous repoussons la sujétion actuelle qui fait de cette aide un prétexte à maintenir la majorité de nos compatriotes dans l’ignorance, la crasse, la misère et l’esclavage pour le plus grand profit des banquiers et des colons.

Dans cette lutte à mort contre l’oppression nationale, nous pensons que les peuples colonisés du monde entier doivent apprendre à se connaître et s’unir contre l’ennemi commun : l’impérialisme. Nous disons bien l’impérialisme, car, si les différents clans impérialistes se font une guerre sans merci pour se partager et se repartager nos terres, ils se retrouvent toujours d’accord pour nous écraser lorsque nous relevons un peu trop la tête. Chaque jour, en Indochine et en Indonésie des centaines de nos frères opprimés sont immolés à la « gloire », à la « grandeur », aux « intérêts », à la rapacité des trusts du pétrole, du caoutchouc ou du charbon, tous unis lorsqu’il s’agit de noyer dans le sang les révoltes des esclaves coloniaux.

Nous lutterons contre les illusions racistes, contre la division prêchée par les colonialistes qui opposent le Berbère à l’Arabe, flattent l’Antillais contre le Noir Africain, le Hova contre le Sakhalave employant ainsi les tirailleurs malgaches, contre les tirailleurs indochinois, les tirailleurs marocains contre les tirailleurs sénégalais, les goumiers berbères contre leurs frères d’Afrique du Nord.

Notre force, elle ne peut être que dans notre union.


Notre appui ?

Nous le chercherons auprès de tous ceux qui, dans le monde, ont lutté pour l’indépendance de leurs pays et dans le mouvement ouvrier des pays capitalistes parce qu’il mine nos oppresseurs et si les dirigeants nous ont déjà maintes et maintes fois trahis, s’ils ont fait souvent de notre indépendance un panneau décoratif pour augmenter leur valeur marchande aux yeux de leur bourgeoisie, ce n’est pas dans un repli sur un nationalisme étriqué et désespéré que nous pourrons chercher la solution, jetant dans le même sac l’ouvrier de chez Michelin et le planteur de caoutchouc d’Indochine, mais dans une action constante de propagande, d’appui, de solidarité avec l’exploité de la métropole.

Cela ne veut pas dire que nous ne profiterons pas de toutes les occasions offertes en ces temps de conflits aigus entre les clan d’esclavagistes. Nous saisirons les moindres chances.

Mais nous qui, cent fois, mille fois, avons été bafoués, trompés, trahis, massacrés au nom des plus « purs principes humanitaires », nous ne croirons plus jamais aux promesses des banquiers, des soudards, des ministres. Nous ne croirons qu’a notre force, nous ne croirons qu’aux actes.

Ceci posé, comment concevons-nous cette revue, qu’envisageons-nous d’en faire ?

Très exactement : contribuer dans la mesure de nos forces à créer un trait d’union entre les mouvements d’émancipation des différentes colonies ou territoires « protégés », à confronter les idées, les tactiques, les luttes, à dénoncer le système colonialiste et ses manœuvres de division et de marchandage, à éclairer le mouvement ouvrier des pays colonisateurs sur notre sort, sur ce que nous voulons, à obtenir son appui contre l’exploiteur commun.

Ceci en collectant des informations – en publiant des études politiques, sociales et économiques sur les différents pays colonisés – en publiant des documents politiques de tel ou tel parti ou groupement luttant pour l’indépendance nationale – en étudiant des expériences de lutte révolutionnaire aux colonies.

Soumettre ainsi à la discussion les matériaux nécessaires pour une confrontation large qui fasse profiter chacun de l’expérience globale des mouvements d’indépendance. Contribuer ainsi à dégager théoriquement et pratiquement les voies de l’indépendance nationale.

Pour jouer ce rôle, nous maintiendrons à la revue un caractère total de tribune de discussion. Tous les articles n’engagent politiquement que leurs auteurs. Seuls les articles signés du Comité de Rédaction engagent la responsabilité politique collective de ses membres. La totale liberté d’appréciation et d’expression politiques sera ainsi garantie.

Tous les camarades, mouvements ou partis, partisans de l’indépendance nationale immédiate et sans condition des pays colonisés ou « protégés » peuvent donc nous faire parvenir leur point de vue propre ou leur réponse à des articles ou documents publiés par nous. Leurs articles seront publiés si le Comite de Rédaction les juge conformes et utiles au but que nous poursuivons.

Il saute aux yeux qu’avec le régime « démocratique » actuel cette revue ne peut être autorisée. Tout en leur demandant de nous aider de leur mieux, nous conseillons aux camarades que notre effort intéresse une grande circonspection dans la diffusion de la revue et surtout dans les expéditions aux territoires colonises ou « protégés ». Pour notre part, nous ferons tout pour ne pas mettre en danger par notre travail les camarades que nous toucherons.

LE COMITE DE REDACTION