Résolution adoptée au quatrième congrès de l’Internationale syndicale rouge, parue dans Thèses et résolutions du IVe congrès de l’I.S.R. (Moscou, 17 mars-3 avril 1928), Paris, Petite bibliothèque de l’I.S.R., 1928

1. – Le IIIe Congrès et la IVe Session du Conseil Central de l’I.S.R. ont indiqué les causes sociales, économiques et politiques des migrations ouvrières. Ces causes restent les mêmes pour l’avenir immédiat. Toutefois, depuis cette époque (1924), les facteurs contribuant à activer le passage des ouvriers d’un pays à l’autre, loin de diminuer, se sont accrus. Le chômage a certainement augmenté en étendue et en profondeur. D’autre part, le déplacement et la contraction du volume des marchés, la rationalisation précipitée, l’intensification du travail et le machinisme, ont mis hors du processus de production des centaines de milliers d’ouvriers industriels qui se sont trouvés versés dans la catégorie de la main-d’œuvre superflue.
2. – Contrairement à la situation d’avant-guerre quand les gros contingents d’émigrants étaient formés en Europe par des manœuvres et des paysans et salariés agricoles, on voit à présent que les larges masses d’ouvriers qualifiés, par suite de la rationalisation et du chômage permanent, se trouvent prises dans le torrent d’émigration. Mais en même temps les possibilités d’émigration ont beaucoup diminué, depuis la guerre, par suite d’une réduction générale de la demande de main-d’œuvre et de restrictions législatives, notamment aux Etats-Unis (loi du 3 mai 1924). Les ouvriers de couleur venant de l’Inde et de la Chine se trouvent dans une situation particulièrement pénible ; en vertu de la « Colour Bar Law » (loi restrictive contre les travailleurs de couleur), il leur est interdit de pénétrer dans les pays civilisés des races blanches. L’émigration provenant de l’Europe Occidentale et du Japon à destination des pays transocéaniques agraires tels que l’Argentine, le Brésil, etc., est rendue excessivement difficile, et diminue très sensiblement, pour cette raison. Les fonds spéciaux qui existent dans des pays très peu nombreux (Angleterre, Japon, Italie) ne satisfont que dans des limites très réduites ces besoins des émigrants qui tombent ordinairement dans des conditions excessivement pénibles et onéreuses.
3. – Un seul pays, la France, fut jusqu’en 1927 le vaste réservoir qui absorbait la main-d’œuvre étrangère en excédent (reconstruction des régions dévastées, développement de nouvelles industries : produits chimiques, aviation, automobiles, etc.). Mais une période de stagnation et de dépression a commencé en France et a enrayé également cette possibilité de migration à l’intérieur de l’Europe. Ce qui a été dit plus haut crée une situation très complexe caractérisée par des contradictions et antagonismes entre les pays dont la population augmente rapidement et qui ne disposent pas de richesses naturelles suffisantes et de forces productrices suffisamment développées, et les pays qui possèdent de vastes possibilités au point de vue de l’utilisation de la main-d’œuvre (par exemple, entre les Etats-Unis et le Japon, ou entre la France et l’Italie, etc., etc.).
A côté de la lutte pour les débouchés, les sources de matières premières et les sphères de placement des capitaux, la lutte pour la possibilité d’application de la main-d’œuvre devient un des facteurs complémentaires des guerres éventuelles.
4. – De même que le chômage et les autres conséquences sociales et économiques du système capitaliste, le problème des migrations ne peut recevoir une solution plus ou moins satisfaisante dans le cadre du régime capitaliste. Le Congrès International des migrations ouvrières convoqué en 1926 par la F.S.I. d’Amsterdam a montré nettement que le réformisme est impuissant à trancher cette question : en participant à l’œuvre législative du B.I.T. auprès de la S.D.N., il soutient dans chaque pays en particulier la pratique d’exploitation de l’Etat national bourgeois. L’illusion entretenue au sein de la classe ouvrière par les réformistes qui reconnaissent que les migrations pourront être réglementées par la bourgeoisie, doit être énergiquement éliminée. Les ouvriers révolutionnaires doivent lutter pour l’entière liberté des migrations des masses ouvrières à condition qu’elles soient réglementées par les organisations syndicales de lutte de classes.
Les partisans de l’I.S.R. doivent mener une lutte énergique contre l’attitude hostile envers les migrations. Ils doivent faire adhérer les émigrants ouvriers aux syndicats et en faire des militants conscients pour la cause de la classe ouvrière dans le pays donné. Il ne suffit pas de combattre les restrictions législatives, il faut surtout vaincre l’attitude hostile des masses ouvrières elles-mêmes envers les émigrants.
5. – A ce point de vue, il importe de mettre au plus vite en pratique toutes les mesures préconisées par le IIIe Congrès de l’I.S.R. Ces mesures tendent à une défense vigoureuse des intérêts des masses ouvrières d’émigrants, à l’impossibilité de les utiliser comme facteurs d’abaissement des salaires, et à prévenir ou supprimer les désaccords entre ouvriers indigènes et étrangers, en établissant entre eux des relations de camaraderie et de solidarité, sur le terrain d’une lutte de classes commune contre le capitalisme.
Le IVe Congrès de l’I.S.R. mandate le Bureau Exécutif pour envoyer d’urgence une circulaire spéciale à toutes ses sections sur la question des migrations ouvrières et prendre les mesures nécessaires pour la création d’un Bureau International des Migrations, ainsi que pour l’édition de brochures populaires pour les émigrants, en différentes langues.

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