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La séparation

Communiqué paru dans Le Travailleur, 5 avril 1905 ; suivi de « A propos de la Séparation des Eglises et de l’Etat » paru dans Le Travailleur, 13 avril 1905

Ce que demandent les Libres-Penseurs :

Le Secrétariat du Congrès de Paris nous adresse la communication suivante :

Les Libres-Penseurs et Libres-Penseuses réunis le 20 mars à Paris, au Grand Orient, et représentant les deux grands groupements nationaux, et toutes les organisations libres-penseuses de Paris et de la région, ont décidé à l’unanimité : d’inviter la Chambre à élaborer sans retard et sans interruption une loi de séparation des Eglises et de l’Etat ; et de donner mandat aux députés qui forment la majorité de gauche d’amender profondément le projet de la commission (dit projet Briand).

Pour les guider et les soutenir dans cette œuvre, ils ont émis à l’unanimité les résolutions et principes que voici :

Les Libres-Penseurs exigent :

1° Que la loi de séparation protège effectivement la liberté de conscience, non pas seulement des fidèles des différents cultes, mais aussi des citoyens et citoyennes qui se sont élevés au-dessus des cultes et des religions.

2° Que cette loi assure la laïcité intégrale de l’Etat et sa souveraineté sur toutes les Eglises ;

3° Que la dite loi respecte scrupuleusement le principe de la nationalisation des biens appliqués par la Révolution aux biens d’Eglise ;

4° Que, pour ce qui concerne les biens mobiliers et immobiliers, dits des établissements publics des cultes (fabriques, curés, évêchés, etc.), on revienne au principe posé par le projet Pressensé (art. 20 bis). Ces biens feront retour à l’Etat et aux communes. Seuls, ceux de ces biens qui proviennent exclusivement des libéralités des fidèles, à condition que ces libéralités se soient produites depuis moins de trente ans ; seront attribués aux sociétés civiles formées pour l’exercice du culte dans la circonscription religieuse dont il s’agit ;

5° Que lesdites Sociétés soient ouvertes à tous les citoyens et à toutes les citoyennes qui déclarent vouloir contribuer à l’exercice du culte, et qu’elles élisent leur bureau conformément à la loi du 1 juillet 1901 ;

6° Que, pour la location des édifices du culte appartenant à l’Etat, aux départements et aux communes, on revienne aux principes généraux établis par le projet Pressensé (article 22) : la location par adjudication publique ouverte à tous est la règle. A titre exceptionnel, la location sera obligatoire s’il n’existe pas dans la commune d’édifice qu’on puisse approprier au culte. Cette location devra se faire à titre onéreux, au taux de la valeur locative réelle de l’édifice. Elle ne pourra pas se renouveler. A titre de mesure de transition, les dits édifices pourraient être mis gratuitement à la disposition des sociétés cultuelles pendant deux ans ;

7° Que tous les aumôniers officiels soient supprimés conformément au titre VIII du projet Pressensé et que tous les services publics soient laïcisés ;

8° Que les processions soient interdites, ainsi que le port des costumes ecclésiastiques, hors des édifices consacrés aux cultes, et ainsi que l’apposition des emblèmes religieux sur tous les monuments publics, sans exception, et sur les monuments du culte appartenant à des sociétés civiles.

L’énumération de ces principes et amendements n’a rien de limitatif. Elle a pour but d’indiquer la volonté des Libres-Penseurs et la nature de leurs exigences. Une loi de séparation qui n’en tiendrait pas compte serait considérée par eux comme une duperie et un danger pour l’avenir. Au cas où une pareille loi passerait, ils se réservent de prendre les mesures de salut public dictées par les circonstances.


A propos de la Séparation des Eglises et de l’Etat

Ce que demandent des Libres-Penseurs (?)

Le Travailleur, dans un de ses derniers numéros, a inséré une communication provenant de certains groupes libres-penseurs de Paris et concernant la Séparation des Eglises et de l’Etat.

Nous ne pouvons que féliciter ces libres-penseurs de ne pas trop se reposer sur le zèle du Parlement et d’employer la méthode d’action que nous préconisons : la pression sur les pouvoirs publics, l’agitation politique, dans le but de faire aboutir nos revendications.

Il y a dans cette communication des résolutions auxquelles nous souscrivons pleinement. Mais nous regrettons de trouver dans certaines d’entre elles ce jacobinisme mesquin et tracassier, cet esprit étroit d’autoritarisme qui est bien la marque de fabrique de nos anticléricaux bourgeois.

Nos libres-penseurs ( ?? ) demandent, par exemple,

« que les processions soient interdites ainsi que le port des costumes ecclésiastiques hors des édifices consacrés aux cultes, et ainsi que l’apposition des emblèmes religieux … sur les monuments du culte appartenant à des sociétés civiles. »

Si nous voulons avoir le droit de graver sur la façade de nos Maisons du peuple nos devises socialistes, si les bourgeois francs-maçons veulent avoir le droit de mettre au dessus de la porte de leurs loges leur triangle symbolique, il faut également laisser aux chrétiens le droit d’apposer leur croix sur leurs temples, aux juifs celui d’inscrire la volonté de Jéhovah sur le seuil de leurs synagogues.

Si nous voulons, nous socialistes et révolutionnaires pouvoir agir et nous organiser librement, si nous voulons pouvoir nous promener dans nos rues avec les drapeaux rouges de nos groupements et au son de notre internationale, si nous voulons avoir le droit d’aller en masse honorer la mémoire de ceux d’entre nos pères ou d’entre nous qui sont morts pour la Révolution ou la Libre-Pensée, de manifester publiquement nos espérances et notre volonté d’un avenir meilleur, il nous faut reconnaître à ceux qui ne pensent pas comme nous, fussent-ils curés, pasteurs ou rabbins, le même droit d’agir et de s’organiser librement.

Pour nous, socialistes, l’émancipation des dogmes et des préjugés du passé ne sera pas l’œuvre de persécutions, ou de tracasseries administratives et policières, c’est-à-dire d’une restriction de la liberté de penser et d’agir, mais l’œuvre d’un épanouissement complet de cette liberté, lequel ne peut exister que dans une société où l’homme sera économiquement libre, c’est-à-dire dans la société communiste.