Article d’Yves Dechézelles paru dans La Commune, n°7, mars 1958
Quant à l’intégrité intellectuelle, il y a longtemps que M. Francis Jeanson ne fait plus illusion. Il a pris bruyamment parti dans le grave et douloureux conflit qui oppose le FLN et le MNA ; c’était et cela demeure son droit.
Mais pour un homme qui avait la prétention dans son livre « L’Algérie hors-la-loi » de faire l’historique de la Révolution Algérienne, la passion ne justifiait ni l’erreur, ni la déformation systématique des faits, encore moins leur falsification.
Peu importe, après toit, que M. Jeanson ait pu écrire que les Messalistes condamnèrent, au début, l’insurrection algérienne et s’abstinrent pendant les 3 premiers mois d’y participer. Le temps rétablira la vérité.
Cependant, l’histoire ne s’écrit pas seulement ; elle se fait. Depuis plus de deux ans, nous assistons en Algérie et en France à une frénésie de meurtres entre nationalistes algériens de l’un et de l’autre partis. Il n’est pas un révolutionnaire dans le monde qui puisse demeurer insensible à cette lutte fratricide et qui ne désirerait contribuer à y mettre fin.
M. Jeanson, en qui se confondent le sens de l’Histoire et celui de la divine Providence, ne se pose point le problème. Pour lui, le MNA joue objectivement un rôle contre-révolutionnaire. Il n’est qu’un instrument de division utilisé par la police. Les attentats dont sont victimes les militants du MNA se trouvent ainsi objectivement justifiés.
Mais, entre l’objectif et le subjectif, le pas est rapidement franchi.
Voici ce qu’a osé écrire Jeanson dans le numéro 1 de la revue « La Ciguë », où l’on est heurté de retrouver sur la page de garde, à côté du sien, les noms, entre autres, de René Char et de Michel Leiris :
« Ceci dit, il reste vrai, il me paraît effectivement hors de doute, que le Front a « liquidé » quelques dirigeants messalistes durant ces derniers mois : des dirigeants messalistes (ou soi-disant « syndicalistes ») qu’il considérait comme particulièrement nuisibles, et dont le plus notable, par exemple – après avoir été impliqué dans des affaires pour lesquelles, en matière algérienne, on condamne aux travaux forcés ou à la mort – avait été fort gentiment libéré par la police au bout de quelques mois. »
Pourquoi Jeanson, votre main a-t-elle hésité à écrire le nom de ce dirigeant messaliste frappé dans le dos en octobre 1957 et dont l’agonie s’est prolongée pendant près de deux mois ?
Abdallah Filali, croyez-bien, Jeanson, que ce nom demeurera gravé, en tout état de cause, comme celui d’une des plus nobles figures du nationalisme algérien.
Les révolutionnaires algériens qui ont fait leurs preuves, à quelques tendances qu’ils appartiennent, savent qui était Abdallah Filali.
Pourquoi vous êtes-vous chargés de tenter de salir sa mémoire ?
Vous êtes allé trop loin, Jeanson. J’ai été l’avocat de Filali et son ami. Vous l’avez diffamé. Je vous somme de vous rétracter ou de vous expliquer publiquement. Si vous le préférez, nous irons devant un jury d’honneur. Il va falloir, Jeanson, que vous reculiez et avec vous tous ceux qui, au lieu de s’efforcer de calmer, où qu’il soit, le fanatisme, s’évertuent, sans grand risque, à jeter de l’huile sur le feu.
Yves DECHEZELLES