Extrait du livre : Mezioud Ouldamer, L’économie et son trouble, Paris, éditions SIHAM, 1994, p. 24-27.
Il m’a été signalé ceci : des esprits faibles trouvent matière à me citer. Quelle horreur! Mais qu’y puis-je? Je ne peux pas répondre de l’usage fait d’écrits publics. Qui est à l’abri du pillage malveillant et tendancieux? L’Internationale situationniste a été pompidolisée à la raffinerie de Beaubourg; l’Encyclopédie des Nuisances saluée par un droitiste, elle a même bénéficié d’une mention dans un journal gouvernemental, en Algérie ; Lénine faisait ses choux gras des livres de Marx. (…)
Voici pire : M. Alain de Benoist m’a adressé cette lettre :
ALAIN DE BENOIST
Monsieur Mezioud Ouldamer
c/o Editions Gérard Lebovici
27 rue Saint-Sulpice
75006 Paris
Paris, le 5 janvier 1990
Cher Monsieur,
J’ai lu votre livre, Le cauchemar immigré dans la décomposition de la France, avec un plaisir extrême. Il a dû déplaire à Jean-Marie Le Pen comme à Harlem Désir, pour autant qu’ils aient eu l’occasion ou la capacité de lire. Il dit ce qu’il faut dire sans se soucier du jeu des factions.
Accepteriez-vous le principe d’un entretien, oral ou écrit, que j’aimerais publier dans la revue Krisis? Je vous en envoie sous pli séparé le dernier numéro. C’est une revue d’idées et de débats. Elle s’efforce de maintenir ouverte la possibilité d’une liberté de l’esprit et d’un travail de la pensée.
Dans l’espoir d’une réponse, je vous prie, Cher Monsieur, de croire à l’expression de mes meilleurs sentiments.
5 impasse Carrière-Mainguet
75011 Paris
Le nom de ce monsieur figurant en haut à gauche est comme « finement doré », et la signature manuscrite à l’encre bleue. En dépit de ces caractéristiques, je n’ai même pas fait un accusé de réception, ni une lettre d’injures. C’est que ce gentleman, et ses amis du torchon Éléments (pompeusement sous-titré d’abord : pour la civilisation européenne, ensuite : pour la culture, etc.), ce beau monde, donc, est par principe – et peut-être par naissance – hostile à l’usage de l’insulte. Chocking! En passant, je signale que s’il m’a été envoyé, je n’ai pas reçu l’exemplaire promis de cette Krisis, que je ne connaissais pas, non plus que son illustrissime directeur qui, maintenant je le sais, connaît du monde de Barcelone à Moscou. C’est ainsi que j’ai appris que cette crème de lisier avait, peu de temps après m’avoir sollicité, ouvert sa revue à un sous-fifre du Front national, pour un débat avec je ne sais quelle sommité plus ou moins gauchiste. Quelle mentalité! Mais comment s’étonner quand les sources s’appellent Conrad Lorentz, Gobineau et autres têtes molles ou folles ; enfin tous ceux qui observent les lapins ou les grenouilles afin d’en tirer des enseignements pour les hommes. Où se voit l’effort pour « maintenir ouverte la possibilité d’une liberté de l’esprit et un travail de la pensée »? Zebbi!
J’en profite, puisque j’ai cité Eléments, pour dire que l’enquêteur de cette vieillerie chargé de recherches sur « l’ultra-gauche » a au moins manqué de temps pour « boucler » son papier. Ainsi, Le Cauchemar… n’est pas mon premier livre, ni même le deuxième, pour tout dire. Je ne suis ni un « théoricien », ni un « indépendant ». J’abandonne volontiers ces qualités à qui en veut. Quant à l’espèce d’éloge qu’il me vote, il peut voir ce qu’en fais.
Encore quelques précisions : il me faut signaler qu’un Choc du mois a fait état de ma présence en France. Une présence à son avis douteuse. Par exemple : mon nom ne serait-il pas un pseudonyme? (suivez son regard…) Comme l’époque elle-même se cherche un pseudonyme, n’ose pas dire son nom, pourquoi pas moi? Mais mon nom est bien celui de mon père, conformément à la coutume d’alors, et à ce qui était aussi la législation officielle quand l’Algérie se trouvait sous racket franco-colonial. Quant à mon prénom, j’admets qu’il peut paraître un peu bizarre, quoique moins que Alcofribas. Sans me vanter, je crois même qu’il est unique. C’est encore mon père qui me l’a donné, il est vrai dans un moment de grande ébriété. C’est celui qui figure à l’état-civil du nouveau racket installé en Algérie. Ce prénom est en réalité un substantif arabe qui veut dire : nouveau-né. Peut-être que Noël serait le prénom correspondant en français… Là-dessus, je compte consulter un jour un marabout ou un ordinateur, pour en avoir le cœur net.
Le mensuel nommé ci-dessus n’est pas le seul à concevoir des doutes ; j’ai aussi reçu, d’un groupe d’une demi-douzaine de personnes, la plus longue lettre d’injures qu’il m’ait été donné de lire. Un vrai festival, où il est même question d’une « sorte de Sida de la bassesse ». Elle se terminait par une provocation en duel, ya din Rab! J’y étais soupçonné, et même convaincu d’avoir été « une putain d’intellectuelle maquée par l’impérialisme ». Quel mot pour dire plume, en y ajoutant, bien sûr, prostituée. Comment appeler ceux qui ont bradé l’Algérie comme s’il s’agissait d’un bien légué par leur tante?
Ma présence ici ou ailleurs, n’est due à aucune condescendance, ni de club privé, ni d’État. Je la dois d’abord à l’immense générosité de Gérard Lebovici (dont je cite le nom parce qu’il est mort, flingué de quatre balles dans la nuque, je m’en souviens). Naturellement, je n’ai pas baissé mon froc devant lui ; et surtout il n’a pas tenu à vérifier que mes fesses étaient intelligentes. J’aurais aimé qu’il lise Offense à président, au moins parce qu’il m’encouragea à l’écrire. Il fut occis quelques mois plus tard, un délai trop court pour achever cette « dénonciation du totalitarisme algérien » comme il aimait à dire. D’autres amis, rien moins que riches, m’ont également aidé. Ils sont ma foi nombreux, dans un pays où le bruit court qu’il est gagné par « l’individualisme » sordide des gagne-petit. Surtout, je n’ai jamais eu rien à avoir avec aucune des infectes organisations de la diaspora algérienne. Le même mensuel soupçonneux me désignait sous le nom de métèque, et je tiens à l’agréer. C’est ma biographie, que je contresigne. Cela m’épargne d’être le concitoyen de personne, même si je vois bien que dans ce mot il y a citoyen.