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Le conflit israélo-arabe : un conflit au profit exclusif du capital

Extrait de l’article paru dans Guerre de classes, n° 7, janvier 1974, p. 3.

 

 

C’est la quatrième fois en vingt-cinq ans que l’hostilité entre Israël et les pays arabes dégénère en guerre ouverte. Une fois de plus, c’est une véritable levée de boucliers dans le monde. Le concert des positions remet face à face pro-arabes et pro-israéliens. Les organisations de gauche et d’extrême-gauche se sont lancées dans la confusion générale, pour avancer des mots d’ordre tout aussi confus qui reviennent toujours, plus ou moins directement, à soutenir les pays arabes : « Soutien aux peuples arabes de Palestine, d’Egypte et de Syrie en guerre pour récupérer leurs territoires occupés… », « A bas l’agression israélienne ». « Lutte des peuples arabes contre le sionisme et l’impérialisme » … « Le Golan aux Syriens, le Sinaï aux Egyptiens »… Les révolutionnaires sont bien prompt au soutien, mais peu à l’analyse. Voilà qu’ils se mettent à soutenir sans broncher un camp capitaliste contre un autre ; voilà qu’ils mettent en avant leur internationalisme bâtisseur d’Etats en revendiquant « les droits légitimes » des peuples ou des nations.

 

Les spécialistes de la double contradiction font valoir qu’une lutte contre l’Etat d’Israël permettrait de favoriser la radicalisation des peuples arabes et, ultérieurement, leur combat pour en finir avec toute espèce d’exploitation. C’est ainsi que l’article paru dans le M.D. et intitulé : « L’initiative de gouvernements bourgeois arabes a déclenché une dynamique révolutionnaire des masses » (1), nous a fourni un spécimen caractéristique de ce qu’on appelle « soutien critique » au Capital. Le cheminement dialectique de ses auteurs qui les amène finalement à soutenir l’initiative des gouvernements arabes qui ont déclenché le « conflit », se réduit à quelques propositions :

 

1) La contradiction principale est l’impérialisme américain représenté par le sionisme au Moyen-Orient.

2) La lutte des Etats arabes pour libérer leurs territoires occupés est objectivement révolutionnaire, d’une part, « parce qu’elle s’inscrit dans le cadre du droit des nations à disposer d’elles-mêmes », d’autre part, parce qu’elle s’affronte à l’impérialisme américain par l’intermédiaire de son gendarme israélien.

3) Les aspirations unitaires des masses arabes, leur solidarité profonde avec le peuple palestinien, ne peuvent que devenir contradictoires avec les éventuels règlements négociés, et, par suite, avec les Etats trop soucieux de leurs intérêts propres ; ces aspirations sont les germes d’une mobilisation et d’une clarification de classe à l’égard de ces Etats.

4) Il devrait y avoir enfin, à la suite de ce processus, jonction de ces masses radicalisées avec l’avant-garde dans l’ensemble des pays arabes, en particulier l’avant-garde palestinienne, et, renforcement des révolutionnaires israéliens.

 

Quant à la dernière proposition, elle annonce ex-abrupto que « seule l’alliance de l’avant-garde arabe et les révolutionnaires israéliens peut assumer jusqu’au bout la lutte fondamentale au Proche-Orient qui est une lutte pour la révolution socialiste et non pas seulement pour la récupération des territoires occupés. » On suppose que cela signifie l’abandon nécessaire de tous les vieux fatras nationalistes. Il était bon de le rappeler … Quoi qu’il en soit la manière dont ces internationalistes justifient leur soutien à des Etats capitalistes, procède d’une appréhension volontairement partielle des contradictions, ce qui amène l’abandon de tout point de vue révolutionnaire pour, encore une fois, piétiner sur le terrain du nationalisme.

 

Impérialisme, sionisme et contre-révolution mondiale

Quand l’idéologie bourgeoise tend à masquer le processus qui est le fond de la lutte des classes, l’extraction de la plus-value et l’extension des rapports capitalistes, on peut se demander où veulent en venir ceux qui s’obstinent à travers le conflit israélo-arabe à ne mettre en avant que l’existence de l’impérialisme américain, à l’exclusion de l’impérialisme soviétique (ou chinois).

 

De même que le capital suppose le travail salarié, et que le travail salarié suppose le capital, de même capitalisme et impérialisme sont la condition l’un de l’autre. Le capitalisme est aujourd’hui devenu hégémonique à l’échelle mondiale, détruisant les modes de production antérieurs ou les intégrants à l’ensemble du système dominant. Les impérialismes ne peuvent qu’entrer en concurrence pour étendre leurs sphères d’influence et accroître leurs profits.

 

L’actuelle coexistence pacifique à l’ordre du jour dans la diplomatie internationale, ne saurait cacher une rivalité économique intense. L’Union soviétique, U.S.A. et Chine, dans le partage du monde qu’ils ont établi, et, tout en étendant le domaine de leurs échanges, ne tiennent pas à rompre des équilibres parfois précaires tel cela est le cas au Moyen-Orient. La politique de détente exige un règlement pacifique du conflit. Dans l’immédiat, ce règlement passe nécessairement par des négociations entre les deux grandes puissances intéressées. Le conflit ne peut aboutir à un bouleversement fondamental de la répartition politique du monde et donc de la situation au Moyen-Orient. Il peut certes en résulter des modifications mineures dans le jeu politique et les rapports de force. Mais U.S.A. et U.R.S.S. sont là pour empêcher les perturbations dans leurs relations commerciales et leurs alliances.

 

Dans leur situation de pays sous-développés, les Etats arabes ne sauraient passer outre une plus ou moins grande soumission à l’un des Etats impérialistes. Il s’agit là d’une question de survie de l’Etat en tant qu’Etat et donc de la réalisation des intérêts spécifiques des fractions dominantes en son sein (bourgeoisie nationale, compradore ou bureaucratie). L’Egypte, après la liquidation du P.C. stalinien au Soudan, avait renvoyé ses cadres et instructeurs soviétiques. La perspective d’un conflit, le besoin d’armes et de couverture diplomatique l’ont ramené dans le giron russe. Cependant, afin d’éviter des situations de fait sur le plan militaire, de nature à envenimer un conflit et à rendre son règlement plus délicat (comme au Vietnam), l’Union soviétique évite de vendre des armes trop efficaces (missiles de plus longue portée pouvant accroître la couverture). C’est que derrière les aspects stratégiques et politiques du conflit, on ne saurait oublier la nécessité pour les deux impérialismes d’une main-mise directe ou indirecte sur un des secteurs fondamentaux de l’économie : le pétrole.

 

Que l’Etat d’Israël soit actuellement la tête de pont de l’impérialisme américain, cela est incontestable. Son isolement en fait une alliée sûre ; exportation de capitaux, intérêts stratégiques, utilisation de son militarisme exacerbé inhérent à la nature de cet Etat pour écouler la production de guerre. S’il y a alliance, c’est qu’il y a communauté d’intérêts. Mais de tout ce qui précède, il serait absurde de vouloir faire d’Israël « la quintessence » de l’impérialisme, comme le font les rédacteurs de l’article déjà cité. Comme on l’a vu, c’est méconnaître que l’impérialisme se manifeste mondialement par le truchement de divers grands Etats (U.R.S.S., Chine, U.S.A.) et qu’en conséquence la contradiction n’est ni unique, ni principale.

 

D’autre part, on évite ainsi de considérer l’Etat d’Israël en tant qu’Etat spécifique, c’est-à-dire comme forme qui réalise et concentre une domination de classe que subissent tout évidemment prolétaires et paysans, juifs ou arabes; comme forme qui supporte l’expansionnisme. L’expansion économique qui a suivi la guerre des six jours en 1967, montre que l’Etat d’Israël a bien trouvé son compte à travers l’annexion du Golan, du Sinaï et de la Cis-Jordanie. « L’absorption d’une importante population arabe à l’intérieur des frontières, a permis de contenir efficacement l’inflation notoire des salaires, ce qui a entraîné une croissance de 10,5 % à 11 % du P.N.B. Au surplus, les recettes touristiques nettes ont augmenté de 80 % par rapport à 1967. Ces deux facteurs ont contribué à compenser le fort accroissement des importations ; principalement d’équipements militaires. » (2)

 

Enfin, on amène une assimilation entre impérialisme et sionisme. Le sionisme politique fondé par Herzl et Nordau n’avait guère d’impact sur les masses juives à la fin du siècle dernier. C’est seulement avec la déclaration de Balfour (1917), fruit de la politique impérialiste de l’Angleterre promettant un HOME national que l’idéologie sioniste se diffusa. Mais surtout, les persécutions racistes que les juifs encoururent dans l’Est de l’Europe et dans l’Allemagne nazie que l’émigration en Palestine, alors sous mandat britannique, s’intensifia au plus haut point. L’armée clandestine (la Haganah), organisée par des juifs sionistes, protégea les immigrations bientôt interdites et qui après la création d’un Etat juif et d’un Etat arabe au sein de la Palestine, s’opposa militairement aux Arabes soutenus par la Grande-Bretagne. Dès lors, le nouvel Etat reçu l’aide de l’U.R.S.S. et la bénédiction de Staline. Cette aide se perpétua au-delà de l’indépendance proclamée par Ben Gourion en 1948, jusqu’en 1956 où l’Union soviétique porta alors ses amitiés au monde arabe pour tenter de s’implanter au Moyen-Orient et en Méditerranée. Ces événements nous permettent de comprendre le rapport historique entre sionisme et impérialisme ; c’est la contre-révolution mondiale apparue depuis 1923 à travers les fascisme, le stalinisme ou le réformisme qui a donné naissance à l’Etat sioniste. Un texte de l’I.S. (1967) affirmait que « le développement contre-révolutionnaire de ce demi-siècle lui a donné raison (au sionisme), mais de la même manière que le développement du capitalisme européen a donné raison aux thèses de Bernstein. Le succès du sionisme et corollairement la création de l’Etat d’Israël n’est qu’un avatar du triomphe de la contre-révolution mondiale ».

 


(1) Le Monde diplomatique, novembre 1973. L’article est signé J.-L. Dallemagne et Sami Naïr.

(2) Reproduit dans le bulletin de liaison d’ICO de juillet 1969.

 

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