Article paru dans Et-thaoura, organe révolutionnaire marxiste d’Algérie, n° 3, mai 1982, p. 32
Après un long débat, le comité de rédaction d’Et Thaoura n’enverra pas de reporters à Madrid, ou plus exactement, car il ne faut pas rêver, à Gijon, modeste ville de troisième catégorie du nord de l’Espagne. Bien sûr, nous sommes conscients de décevoir l’attente qu’avaient placé en nous des millions de supporters de l’ « équipe nationale ». Vu l’ampleur de nos moyens, nous nous excusons du préjudice porté à nos lecteurs. Il ne leur restera en effet, pour suivre ces événements, que la télévision, les trois chaînes de radio, les quotidiens, les hebdomadaires, les mensuels…
C’est dire, combien il sera difficile pour « notre peuple » de suivre cette coupe du monde, vu l’absence d’Et Thaoura. Mais en tant qu’ennemi du nationalisme, de la charte nationale, de la constitution, du président Chadli, et de bien d’autres encore… nous ne pouvons céder à la vague de chauvinisme qui a déferlé sur le pays et qui, il faut le dire, est admirablement exploitée par notre bourgeoisie au pouvoir, en ce vingtième anniversaire de l’indépendance.
En effet, celle-ci n’hésite pas à renoncer à ses propres principes qu’elle abandonne au musée des antiquités.
Premièrement en ce qui concerne la participation à des rencontres sportives où se rencontrent des équipes venant de pays à régimes réactionnaires comme l’Egypte, Israël, l’Afrique du Sud…
Il y a quelques mois, les équipes algériennes n’hésitaient pas à se retirer de telles compétitions. Aujourd’hui où l’équipe du Chili sera dans le même groupe que l’Algérie, la presse aux ordres utilise sans vergogne n’importe quels arguments pour justifier cette participation honteuse.
A ce sujet, la palme d’or revient incontestablement au journaliste d’El Moudjahid, Mokhtar Chergui. Dans l’édition du 15 février, il écrit avec un aplomb à couper le souffle à un coureur de marathon que si l’on peut dire que « les autorités chiliennes trouvent leur compte dans le succès de leurs footballeurs », les « sportifs chiliens (eux) oublient, l’espace d’une victoire, le drame qu’ils vivent ». Il doit falloir être bien payé pour écrire ce genre de chose. Car les sportifs chiliens, qui comme chacun sait, sont tous des victimes du fascisme, sont des adversaires honnêtes que nous pourrons rencontrer ! Et tant pis pour l’odieuse utilisation qu’en fera la junte militaire ! Simplement, nous nous permettrons de faire une suggestion que l’ « équipe nationale » laisse gagner ces pauvres bougres de chiliens.
Par sa solidarité et pour qu’ils oublient l’espace d’une victoire, le drame qu’ils vivent. Phrase inoubliable, Chergui Mokhtar à toi la montante du journalisme. Carrière à suivre.
Deuxièmement, en ce qui concerne la propagande officielle sur le sport de masse en ce pays socialiste.
Bien que pratiquant un professionnalisme déguisé (avantages sociaux multiples aux joueurs d’élite qui travaillent dans les sociétés nationales, reconversion sociale assurée en fin de carrière…) notre bourgeoisie a toujours dénoncé le professionnalisme et refusé de l’appliquer dans notre grand pays socialiste. Pourtant au moment décisif, quand il a vu que la qualification était au bout et pesé tous les avantages à retirer d’une telle situation, le pouvoir n’a pas hésité à faire appel ouvertement aux professionnels jouant en France. Ceux-ci doivent être au moins à part égale avec leurs collègues « amateurs » ! Alors nous posons la question : de qui se moque-t-on ? Le pouvoir nous prend-il pour des girouettes parce que ses principes tournent avec le vent ? Chacun apprécie comme il veut. Pour notre part, nous ne sommes pas dupes et n’entendons pas observer la loi du silence. Nous dénonçons la coupe du monde, cette vaste foire commerciale et financière. Nous dénonçons ceux qui y participent en essayant de trouver des alibis. Et tant pis si nous sommes minoritaires.
Mars 1982
Comité de rédaction