Lettre publiée dans Tribune algérienne, n° 8, novembre 1976, p. 6-7.
Chers Camarades,
La prise de position de la direction du Théâtre National Algérien (TNA) (avec à sa tête Mohammed BOUDIA assassiné en 73 par les services secrets israéliens à Paris), au lendemain du coup d’Etat militaire de Boumediene du 19 Juin 65, a entraîné comme vous le savez sans doute, l’exil de la majeure partie de la direction du TNA, des animateurs et des comédiens.
Ceux-ci, dès le lendemain de l’indépendance avaient donné toutes leurs forces à la remise au grand jour de la culture algérienne – profondément mutilée par le colonialisme – comme une composante fondamentale de la Nation et du peuple algériens. La destruction du TNA, après 65, participait de la volonté du contre-révolutionnaire Boumediene, de réduire au silence le peuple algérien, ses organisations politiques, syndicales, culturelles… Dans une certaine mesure on peut dire qu’il y partiellement réussi entre 1965 et 1973. Pendant cette période le TNA vidé de ses forces vives, des animateurs compétents, talentueux, dévoués et enthousiastes, n’allait plus devenir qu’un instrument de transmission sur le terrain de la culture de la propagande du régime contre-révolutionnaire de Boumediene.
Il ne s’agit pas pour moi de condamner ceux qui dans le cinéma et dans le théâtre n’ont pas eu le courage de refuser cette nouvelle mission du TNA. Ils ont cru à tort ou à raison, pouvoir continuer (non pas seulement pour exercer leur métier) à assurer même dans ces conditions difficiles, les tâches pour lesquelles ils avaient les uns combattu pendant la guerre d’indépendance, les autres opté pour cette profession. Il serait erroné, à mon avis de partir de considérations morales pour condamner (ou saluer) l’attitude, la prise de position des individus.
Les « contorsions » de KATEB YACINE (et d’autres) qui dans un premier temps se sont « mis au service de l’appareil d’Etat » pour ensuite dénoncer violemment celui-ci, sont le reflet dans le secteur de la Culture de l’étouffement, mais aussi de la remontée de la volonté de combat des travailleurs de la Culture. Cette situation est à l’image de ce qui se passe dans la réalité de la vie quotidienne algérienne.
Si l’on exige de la classe ouvrière qu’elle produise – le ventre vide – et qu’elle se taise, on exige des travailleurs de la Culture de « cultiver » l’ignorance, de chanter des louanges aux bienfaits du régime… La démagogie, la propagande chauvine, religieuse, nationaliste, le crétinisme sont érigés en Art et livrés au peuple algérien comme « nourriture spirituelle » à défaut de « nourriture terrestre ». Il suffit de voir les programmes des cinémas d’Alger pour s’en convaincre.
Les « navets » égyptiens pimentés de la traditionnelle danse du ventre – bien arabe ! – en arabe littéraire (qui le comprend ?) sous-titrés en français !, les « derniers » (au sens de médiocre) films hindous – le « monde arabe » n’a pas de frontières – côtoient allègrement James Bond (en rediffusion permanente)… Le seul film algérien de ces deux dernières années (LAKHDAR HAMINA : Chronique des années de braise) a nécessité un budget… qui a mis au chômage la quasi totalité des acteurs algériens de cinéma et des jeunes metteurs en scène de cinéma !
Au niveau du théâtre la recette est simple : un peu de « Réforme agraire », un peu de « village socialiste », un peu (ou beaucoup) d’Islam… un petit refrain sur la beauté du ciel de notre beau pays… et vous êtes sûr d’être « protégé ». Le « réalisme socialiste » (mouture algérienne)… est de mise.
Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions de la, révolte publique de Kateb Yacine à Alger et à Constantine… ce qui lui a valu les coups des flics de Boumediene… le retrait de la subvention… et la mise au chômage de sa troupe. Aujourd’hui, les choses se clarifient tant chez les paysans, les travailleurs, que les « intellectuels » et les étudiants… et c’est tant mieux !
Le droit à la Culture, le droit d’association culturelle (et autres), le droit d’expression, sont pour nous, travailleurs de la Culture, une composante de la « liberté de notre peuple à disposer de lui-même », à se doter de son gouvernement librement choisi par lui, de ses partis et organisations, à penser haut et fort – LIBRE –
Je félicite (et m’associe à) Tribune Algérienne et ses militants.
Le combat pour les libertés démocratiques est partie composante de la Révolution Socialiste en Algérie. Je le soutiens et m’y intègre.
Il va de soi que cette lettre ne s’intègre pas dans une « page culturelle » de « TRIBUNE ALGERIENNE » et que les idées qui y sont développées sur le théâtre, le cinéma ou les individus n’engagent que la seule responsabilité de leur auteur.
Si « Tribune » l’a publiée c’est qu’elle est d’accord avec les positions développées par ce camarade sur le combat pour les libertés démocratiques et leur expression sur le terrain de la Culture.