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Errico Malatesta : La question du vote

Article d’Errico Malatesta paru dans Le Réveil anarchiste, n° 944, 15 mars 1936.

Portrait of Errico Malatesta (Santa Maria Capua Vetere, 1853-Rome, 1932), Italian anarchist.

Elle s’est posée une fois de ­plus à l’occasion des élections espagnoles du 16 février écoulé. Nous croyons utile de verser au débat cette lettre de Malatesta à Fabbri :

Rome, ce 18 mai 1931.

Je commence à recevoir quelques journaux espagnols, qui augmentent ma volonté de me rendre sur place, sans en augmenter, hélas ! la possibilité.

A propos de tes remarques sur le fait que la chute de la monarchie espagnole fut déterminée par une manifestation électorale, je te dirai que s’il est vrai que ce fait donnera un certain crédit à la lutte électorale et sera certainement exploité par les électionnistes dans leur propagande et dans les discussions éventuelles avec nous, il n’infirme nullement notre thèse si les faits et les théories sont dûment exposés et compris.

En réalité, les élections que nous combattons, c’est-­à-­dire celles qui servent à nommer des gouvernants, ou tendent, en période préparatoire, à discréditer et paralyser l’action des masses, ne sont pas l’équivalent du fait espagnol. Les élections municipales espagnoles ont été l’explosion du sentiment antimonarchiste de la population, qui a profité pour se manifester de la première occasion qui s’est présentée. Les gens ont couru aux urnes comme ils auraient couru à une place faire une démonstration, s’ils n’avaient pas craint les coups de fusil de la Guardia Civil.

Ce n’est pas dit avec cela que les urnes aient décidé de la situation, car si le roi ne s’était pas senti abandonné par les classes dirigeantes et s’il avait été sûr de l’armée, il se serait moqué des élections et au rait mis ordre aux choses avec quantité de menottes et quelques bons massacres.

Certainement il eût mieux valu que la monarchie tombât d’une autre façon, à la suite, par exemple, d’une grève générale ou d’une insurrection armée, car le fait que le mouvement a pris les formes électorales a une mauvaise influence sur sa nature et sur ses futurs développements probables ; mais en somme mieux cela que rien. Nous pouvons regretter qu’il n’y ait pas au des forces suffisantes pour faire triompher nos méthodes, mais nous devons nous réjouir que les gens cherchent, par n importe quelle voie, de conquérir plus de liberté et plus de justice.

Te rappelles-­tu lorsque Cipriani fut élu député à Milan ? Quelques camarades furent scandalisés, car, après avoir prêché l’abstention, je me suis réjoui du résultat de l’élection. Je disais, et je dirais encore, que puisqu’il y a ceux qui, sourds à notre propagande, vont voter, c’est consolant de voir qu’ils votent pour un Cipriani plutôt que pour un monarchiste ou un clérical — non pas pour les effets pratiques que la chose peut avoir, mais pour les sentiments qu’elle révèle.

Cette question des élections a toujours été, même parmi nous, une maudite question, car beaucoup de camarades donnent une extrême importance au fait matériel du vote et ne comprennent pas la véritable nature de la question.

Par exemple, une fois à Londres une section municipale distribua des bulletins pour demander aux habitants du quartier s’ils voulaient ou non la fondation d’une bibliothèque publique. Croirais­-tu qu’il y eut des anarchistes qui, tout en désirant la bibliothèque, ne voulaient pas répondra oui, parce que répondre c’était voter ?

Et n’y avait-­il pas, du moins de mon temps, à Paris et à Londres, ceux qui trouvaient anti­-anarchiste lever la main clans un meeting pour approuver l’ordre du jour qui exprimait leurs idées ? Ils applaudissaient les orateurs qui soutenaient une résolution donnée, mais se refusaient ensuite de manifester leur approbation par une levée de main ou par un oui, parce que les anarchistes ne votent pas.

Revenant à l’Espagne, naturellement la question se pose différemment au sujet des élections pour les Cortes Costituentes. Ici il s’agit vraiment d’un corps législatif que les anarchistes ne doivent pas reconnaître et à l’élection duquel ils ne doivent pas participer. Naturellement s’il doit y avoir Constituante, il est préférable qu’elle soit républicaine et fédéraliste et non monarchiste et centraliste ; mais la tâche des anarchistes reste celle de soutenir et montrer que le peuple peut et doit organiser lui-même le nouveau mode de vie et non pas se soumettre à la loi. Et je crois qu’on peut mieux obliger la Constituante à être le moins réactionnaire possible et l’empêcher d’étrangler la révolution en agissant on dehors d’elle plutôt qu’en dedans.

Je chercherais à opposer à la Constituante des Congrès permanents (locaux, provinciaux, régionaux, nationaux) ouverts à tous, lesquels, s’appuyant sur les organisations ouvrières, discuteraient toutes les questions qui intéressent la population, prendraient toutes les initiatives nécessaires (expropriation, organisation de la production, etc.), établiraient les rapports volontaires entre les différentes localités et les différentes organisations, conseilleraient, entraîneraient, etc.

Mais il vaut mieux en finir. Tu recevras cette lettre lorsque la situation aura peut-être changé ; et moi je recevrai ta réponse lorsqu’il y aura peut-­être eu un autre changement.

Errico MALATESTA

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