Articles parus dans Tribune algérienne, n° 20, juin 1979, p. 9-16
On ne peut comprendre l’importance des grèves en Algérie, comme on ne peut apprécier à sa juste valeur la combativité des travailleurs algériens, si on ne les oppose pas aux déclarations de Chadli et de ses ministres.
Face aux travailleurs, c’est un régime qui n’arrive pas face à une classe ouvrière qui résiste, qui s’affronte aux représentants de ce régime. C’est un régime qui se dresse plus menaçant que jamais, avec ses appareils, mettant tout en oeuvre pour contrôler la classe ouvrière et les masses travailleuses.
Le pouvoir réglemente tout en fonction de ses impératifs propres, ça les travailleurs l’ont compris, ils en font les frais, salariés sous-payés de l’Etat ils ne cessent d’entendre abnégation ! travail ! devoir ! Le pouvoir ne pense à eux qu’en ces termes, les travailleurs disent ça suffit ! ils n’acceptent plus ! ils ne veulent plus !
Les nombreux combats qu’ils engagent contre l’Etat montrent clairement que ce sont eux contre l’Etat. Il y a d’un côté, la classe ouvrière et les masses travailleuses et de l’autre l’Etat bourgeois exploiteur.
La résistance, la lutte des travailleurs n’est plus à démontrer, c’est au travers des grèves qu’on l’apprécie le mieux. Une des plus significatives, celle des travailleurs de l’Office National des ports où clairement les travailleurs s’affrontent aux dirigeants syndicaux et à ceux de l’Etat.
Comment les 1200 travailleurs des ports ont décidé de faire grève ?
En réalité, c’est un mouvement qui a mûrit, l’initiative des travailleurs a débuté déjà depuis un an, quand ils ont rejeté en bloc l’ATU et ont créé après des élections une « commission provisoire ». Les problèmes s’amplifiant les démarches n’aboutissant à rien, les travailleurs décident de faire grève et menacent de l’étendre à tous les ports d’Alger si les agents du pouvoir ne répondent pas.
A ce moment là, messieurs les responsables réagissent, ils s’empressent de rassembler cette catégorie de travailleurs en assemblée générale le 5 mars 79 à la maison du peuple (maison des syndicats) . Ils seront tous présents à savoir DEMENE, secrétaire général de l’UGTA, le Wali d’Alger, les représentants des instances syndicales (fédération des ports et des docks), Union de Wilaya Union territoriales d’Alger-centre, représentants du ministère des transports ; et dans l’autre camp, les travailleurs de l’O.N.P.
Deux camps, face à face, c’est le moins qu’on puisse dire tous les larbins de l’Etat bourgeois sont là, ils ne sont pas tranquilles devant ce mouvement. Pour eux il s’agit de faire taire ce foyer de mécontentement. Trop tard ! les travailleurs plus résolus que jamais imposent leurs lois, la conscience a mûri, leurs revendications sont claires :
– Elections libres,
– Réintégration des licenciés,
– Révision des statuts,
– Revendications salariales.
Face aux bureaucrates, face aux agents du pouvoir, les travailleurs ne se laisseront pas intimidés, ils iront plus loin encore, ils imposeront au-delà des promesses verbales, des signatures, secrétaire général de l’UGTA, Wali, représentants du ministère, directeur de l’unité de l’Office national des ports signeront, ils signeront parce que les travailleurs l’exigent !
Quelle n’a été la surprise amère des agents du pouvoir lorsqu’ils voient arriver à l’A.G., les travailleurs avec une motion, mais bien sûr ils ne se démontent pas, ils ont leur rôle à jouer. Ils proposent l’élection d’une commission en faisant entendre qu’ils ne reprendraient pas ceux qui étaient dans la « commission provisoire » installée par les travailleurs.
Les travailleurs des ports montreront non seulement leur détermination à arracher leurs droits légitimes, mais plus encore leur fermeté face aux agents du pouvoir. Ils féliciteront leur « commission provisoire » pour le travail effectué jusqu’à ce jour et exigent que tous les membres de cette commission soit maintenus.
Contrairement à la démarche de l’A.T.U. dans la G.S.E., en imposant des candidatures libres, un vote à bulletin secret, un dépouillement public, les travailleurs y mettent un contenu de représentation démocratique sur la base de la défense de leurs intérêts.
Le contenu tout particulièrement de cette grève exprime un tournant dans le combat de la classe ouvrière. Cette grève est d’une importance incontestable toutes les autres grèves ne feront que confirmer ce tournant.
Partout les travailleurs revendiquent, les grèves se multiplient, mêmes méthodes, mêmes dénonciations, mêmes revendications et mêmes aspirations à la démocratie.
Les travailleurs des postes et télécommunications (P. et T.) ont eux aussi élaboré un cahier de revendications, bien plus encore, ils l’ont affiché dans tous les centres d’Alger.
Comme les travailleurs des ports, ils ont menacé d’étendre la grève (ultimatum) à tous les centres. Rien n’a été laissé au hasard par les travailleurs des postes pour montrer à l’Etat policier que le mouvement est général.
On peut lire dans leur cahier de revendications : augmentation des salaires, droit au logement pour tous, respect de la promotion interne, distribution équitable sous forme de prime des 7 milliards de bénéfices réalisés en 1977-78 (là le régime est pris à son propre jeu) amélioration du mobilier, des conditions de travail, droits sociaux à améliorer.
L’ensemble de ces revendications a été rédigé sous forme de mémorandum et adressé en plusieurs exemplaires aux « personnalités » suivantes : secrétaire général de l’UGTA, commissariat national du parti, président ATU, PTT ; fédération des P. et T.
En transmettant leur mémorandum à tous ces responsables sachant pertinemment ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent, les travailleurs des P. et T. ont démontré une fois de plus leur compréhension politique. Ils dénoncent les responsables syndicaux et à la fois leur adresse leurs revendications.
Pour ces travailleurs, le syndicat est leur organisation de lutte. Ce qu’il faut – il l’exprime dans ce mouvement – c’est faire voler en éclats, balayer les larbins du pouvoir exploiteur de l’UGTA.
La politique de ces responsables syndicaux est claire, elle est claire quand ils condamnent sans vergogne les 3000 travailleurs de DRAA BEN KHEDDA (complexe textile-SONITEX) qui, excédés par des conditions de travail et de vie (à savoir que dans cette unité des travailleurs sont morts à cause de produits toxiques utilisés pour le traitement du coton) qui n’ont fait qu’empirer, demandent une prime et déclenchent une grève.
Là aussi, l’ATU est balayée, les travailleurs s’organisent en comité de grève, publie un trac – BOUDINA, secrétaire national chargé de la GSE à l’UGTA – s’adresse à eux, il va les voir, leur parle pendant plusieurs heures, les travailleurs le refusent et répondent qu’ils ne s’arrêteront que s’ils obtiennent satisfaction.
La direction de cette unité refuse de satisfaire la demande des travailleurs prétextant qu’elle ne peut pas l’usine étant déficitaire d’après les représentants de l’Etat, les travailleurs demandent alors de vérifier les comptes.
La direction cède, les travailleurs ont reçu 500 dinars chacun (ils en demandaient 2400).
Cette combativité, cette détermination dans la lutte, nous l’avons retrouvée chez les travailleurs du Centre National des sports de Chéragas partie d’une catégorie du personnel, la grève s’est étendue à l’ensemble du personnel et a duré trois semaines.
A l’ECOTEC, Unité de préfabrication – Ministère de l’habitat – c’est un autre aspect de la lutte, une grève est déclenchée pour l’amélioration des conditions de travail. Les ouvriers des différents chantiers viennent sur le lieu de travail mais refusent de travailler et exigent la satisfaction. Face à la tentative des responsables syndicaux de briser le mouvement. Face au commandant Chenoufi de la Gendarmerie Nationale venu les intimider sur les chantiers, les travailleurs lui rétorquent : « Si tu entres, tu ne sortiras plus ! »
De plus, les travailleurs ne reconnaîtront pas l’ATU dirigé par les militants du PAGS en les traitant de traîtres.
Dans ce mouvement, les travailleurs tentent de remettre directement en cause la nature et l’orientation de l’UGTA : « c’est une véritable lutte entre le haut et le bas » dira un syndicaliste de cette unité.
Comme ailleurs, les travailleurs de l’hôpital Mustapha (centre hospitalier et universitaire) terminent une A.G. en dénonçant certains représentants syndicaux.
Le même mouvement eut lieu à la Faculté de Ben Aknoun au cours d’une A.G. Estimant que la section syndicale n’a pas honoré ses engagements, les travailleurs l’expriment violemment et ulcérés par le comportement des responsables syndicaux demandent à leurs collègues de sortir de la salle.
Face à cela, les bureaucrates proposent une motion pour dénoncer les travailleurs, mais elle est énergiquement combattue par les travailleurs restants.
Les responsables syndicaux sentant le mouvement leur échapper et les dépasser vont jusqu’à injurier les travailleurs, un responsable syndical militant du PAGS ex-PCA, a traité les travailleurs de salauds et contre révolutionnaire. Les travailleurs font circuler une pétition pour dénoncer ces derniers et demander le renouvellement de la section.
Conflits permanents (complexe Rouiba-Sonacome, Bâtiments et travaux publics), mouvements spontanés (RSTA, SNTV, SNS, RMTC transports publics Constantine) grèves plus ou moins longues toutes procèdent d’un même mouvement, de la même maturité.
En s’affrontant systématiquement aux appareils, aux représentants de l’Etat-patron, la classe ouvrière s’engage dans la reconquête de son indépendance de classe.
– Pour mener sa lutte contre l’Etat-Exploiteur,
– Pour balayer tous les obstacles dont les dirigeants syndicaux et leurs fervents défenseurs : les staliniens du PAGS ex-PCA,
– Pour les revendications, Pour la démocratie, Pour la reconquête de leur organisation,
VERS LA CONSTITUANTE SOUVERAINE.
DE LA « RENCONTRE DES FEMMES TRAVAILLEUSES »… AU COMBAT CONTRE LE REGIME DE L’ARBITRAIRE, POUR LES DROITS ET LES LIBERTES.
Dans l’Algérie d’aujourd’hui, le problème de la femme concentre l’ensemble des problèmes politiques.
La « rencontre nationale des femmes travailleuses » que les dirigeants de l’UGTA, de l’UNFA, ont organisé en mars 1979, dans le but de faire passer la politique du pouvoir : production, productivité, gestion, travail, et de désamorcer la profonde mobilisation des masses contre le régime bourgeois, cette « rencontre » s’est transformée en une Tribune où les femmes travailleuses ont soulevé une série de problèmes politiques, sociaux et économiques.
Malgré la sélection, malgré les barrages imposés par les appareils traîtres de l’UGTA, de l’UNFA, du PAGS, les femmes ont exprimé clairement que l’Etat des colonels n’a, non seulement pas résolu une seule tâche sociale, économique et politique, mais qu’il est directement l’exploiteur, l’oppresseur, l’ennemi des masses populaires.
1/Des libertés et du respect du citoyen
Les femmes travailleuses d’ALtour (Société nationale de tourisme) ont dénoncé vigoureusement la répression qu’elles ont subie.
Elles ont expliqué leur situation :
Inculpées de vol, elles ont été emprisonnées, passées au crible de « l’interrogatoire » de la manière la plus odieuse par la gendarmerie et la police.
Dénonçant les méthodes policières du régime, elles ont exprimé le besoin de droit, de respect du citoyen, de liberté.
Les femmes travailleuses ont spontanément proposé la création d’un comité devant lequel seraient portés toutes ces atteintes inadmissibles, barbares.
Cette proposition a reçu l’approbation de la majorité écrasante des participantes, mais elle fut rejetée par les dirigeantes bourgeoises de l’U.N.F.A. et par les militantes du P.A.G.S.
2/De nombreuses revendications furent faites :
L’élaboration d’un statut civil sous la forme d’un code de la famille ; contre cette proposition se trouvent ensemble réunis, les musulmans intégristes du régime qui utilisent la religion pour sucer le sang des masses travailleuses, et le PAGS qui répète sans cesse : « la réaction va s’en saisir pour ébranler le pays, qui vient de sortir d’épreuves pénibles. »
Quant aux problèmes matériels, les femmes travailleuses ont expliqué que ce sont ceux de l’ensemble des travailleurs, cependant accrus par le fait qu’elles ont à assumer des tâches familiales et ménagères.
Concernant les salaires, elles ont dénoncé leur niveau extraordinairement bas devant un coût de la vie en hausse continuelle, et elles ont proposé et l’augmentation sérieuse des salaires et l’échelle mobile des salaires pour garantir le pouvoir d’achat.
Dans certains secteurs où elles sont en majorité, comme les textiles par exemple, elles ne sont même pas rémunérées au mois mais au forfait, à la tâche, et elles travaillent dans des conditions inimaginables.
Les femmes de ménage, payées à l’heure dans des établissements publics, n’ayant aucune garantie de l’emploi, certaines sont vacataires depuis des années.
Dans les bains maures, les femmes qui travaillent ne sont pas payées du tout, comme d’ailleurs les femmes travailleuses, placeuses dans les salles de cinéma, donc dans un secteur public où leur unique revenu provient des pourboires. Encore plus, après la mort de Boumedienne, où un deuil de 40 jours a été décrété par le régime, et les cinémas sont restés fermés, les femmes travailleuses n’ont pas touché un centime !
Les femmes n’ont pas droit au logement.
Revendiquant vigoureusement ; la création de crèches, de jardins d’enfants, d’instruments collectifs pour l’accomplissement de tâches domestiques,
– l’extension et la multiplication des centres médicaux, des annexes planning familial dans toute l’Algérie, de disposition et extension des moyens contraceptifs.
– Les femmes travailleuses ont d’autre part posé directement le problème de la libre expression, de la démocratie, en rapport avec leur libre organisation, comme de leur organisation comme femmes travailleuses dans le syndicat où doit régner la démocratie,
Voilà ce que les femmes travailleuses ont exprimé lors de cette « rencontre », voilà ce qu’elles ont revendiqué.
Est-ce que ce régime est en mesure de satisfaire ces droits légitimes ?
Est-ce que les femmes ont vu la plus petite partie de ces démarches satisfaites ?
Ne constatent-elles pas au contraire une régression dans leur situation, une situation aujourd’hui alarmante.
Alors les femmes travailleuses répondent par l’action : à la « bataille de la production » et à la collaboration à leur propre exploitation qu’est la GSE, les femmes travailleuses répondent par l’action : organisons-nous démocratiquement et librement contre les dirigeants bourgeois de l’U.N.F.A., organisons-nous contre les dirigeants de l’U.G.T.A au sein du syndicat avec tous les travailleurs pour la défense de nos intérêts de classe.
En définitive, les dénonciations, les revendications, les aspirations exprimées convergent toutes contre le régime de l’arbitraire, pour l’ASSEMBLEE CONSTITUANTE SOUVERAINE, représentation démocratique des millions de femmes et d’hommes.
HANIFA
Tribune Algérienne reproduit in extenso ce tract qui circule actuellement, sous le manteau, dans toute l’Algérie
« Nous avons suivi avec émotion durant les derniers mois, la lutte du peuple iranien contre le régime dictatorial du Chah.
Nous n’oublierons pas les images très belles où un visage d’adolescent, un regard de femme, exprimaient mille désirs de liberté, une immense volonté de lutte.
Nous avons adhéré au combat de ce peuple dans lequel les femmes ont lutté au premier plan aux côtés de leurs compagnons. Aujourd’hui, nous sommes consternées par ce que l’on veut faire de ces femmes. Ces femmes dont les voix se sont multipliées à l’infini pour devenir un grondement de révolte . Ces femmes qui ont déferlé comme des vagues pour briser toutes les chaînes, pour la liberté, pour un autre vie, POUR QUE CA CHANGE !
Ces femmes, on veut les museler, les faire taire, les enfermer, leur interdire l’espace même où elles ont montré leur capacité de lutte. Car quel pourrait être le sens et le but du voile qu’on veut imposer, sinon de les soustraire à la vie ?
Nous savons que les femmes iraniennes ont toujours porté le tchador. Il ne les a pas empêchées de narguer les balles. Mais dire aujourd’hui que le port du voile est un devoir et non une obligation n’est qu’un masque que les femmes refusent d’adopter parce qu’elles refusent l’oppression qu’il exprime, parce qu’elles refusent d’être replongées dans la nuit du pouvoir patriarcal.
Aujourd’hui, elles sont des milliers dans la rue, qui crient : « Nous
sommes des femmes iraniennes, nous ne resterons pas enchaînées » ; « sans la libération de la femme la révolution n’a aucun sens. Nous ne
voulons pas le voile obligatoire ».
Des voix de femmes en Algérie, se joignent à leurs cris. Les voix de celles qui refusent l’utilisation fasciste d’un Islam qui cherche à les étouffer. Les femmes algériennes, elles aussi ont combattu. Elles ont pris le maquis, elles ont manifesté dans la rue, elles sont allées au devant des balles de l’armée coloniale. Après l’indépendance et pendant dix ans, le pouvoir patriarcal a travaillé à leur imposer le silence.
Et au nom de quoi ?
Au nom de préceptes religieux vieux de mille ans, au nom de prétendues priorités de lutte – sous-développement, impérialisme…
Au nom de la Révolution !! Et les femmes algériennes se sont trouvées dépossédées des résultats de leur lutte.
C’est contre cette dépossession, contre ce vol, que les femmes iraniennes s’insurgent, qu’elles démontent les alibis en criant : « Sans la libération des femmes, la révolution n’a aucun sens ». Elles poursuivent la lutte parce que la lutte ne s’est pas arrêtée pour les femmes. La lutte ne s’épuise pas dans un moment historique privilégié. La lutte continue pour la réinvention du quotidien.
Nos pensées iront vers les femmes iraniennes tout au long de leur combat. Et par-delà notre solidarité, et pour qu’elle soit plus vraie et plus forte, ce que nous exprimons ici, c’est :
– Le même refus de l’oppression
– Le même refus de la soumission
Des femmes algériennes«