Textes parus dans Tribune internationale, n° 50, juillet 1989, p. 24-27
Sur l’affaire Rushdie
La situation en Iran et la prise de position de Khomeiny
Comme on le sait, c’est avec l’intervention de l’Imam Khomeiny (et celle de l’Etat iranien en tant que tel) que l’affaire Rushdie prend une ampleur mondiale, fait les gros titres de tous les journaux, entraîne des conséquences diplomatiques (rupture des relations diplomatiques de l’Iran avec l’Angleterre, etc…)
Naturellement, ce qui fait passer les choses à un autre niveau, et qui appelle inévitablement à une prise de position de tous ceux qui se réclament de la démocratie et des droits de l’homme, c’est la condamnation à mort de Salman Rushdie par l’Ayatollah Khomeiny et chef d’Etat de fait en Iran.
Il faut remarquer que l’intervention de Khomeiny est tardive. Elle ne se produit qu’après que de nombreux gouvernements (sans appeler à des « sanctions » contre Rushdie) aient réagi par la censure et après que des éléments du clergé sunnite au Pakistan et en Inde aient, en relation avec des objectifs précis, œuvré à susciter des manifestations.
D’octobre à février, ni l’imam Khomeiny ni aucune autre autorité religieuse d’Iran ne prononce une condamnation religieuse, ce qui, sur le terrain religieux, soit dit en passant, se conçoit. Le livre de Rushdie est de toute évidence « extérieur à l’islam », « païen », comme des tas d’autres. On peut le juger grossièrement profanateur et provocateur et l’écrire, mais cela suffit.
Or, le 14 février, Khomeiny explicite sa « sanction exemplaire » ainsi que Mamadou Dia définit son appel au meurtre. Il le fait dans les termes suivants qui s’adressent « aux musulmans du monde entier » :
« J’informe les musulmans que l’auteur de ce livre offense l’islam, le Prophète et le Coran (…) qu’il est condamné à mort ainsi que les éditeurs. Je demande à tous les musulmans d’exécuter rapidement l’auteur et les éditeurs, où qu’il se trouvent, afin que personne n’ose plus offenser les valeurs sacrées de l’islam ».
Le gouvernement iranien fait du mercredi 15 février une journée de deuil national. Le ministre de l’Intérieur, Ali Akbar Mothasani dit de Rushdie qu’il est « un agent de la CIA ».
Près d’une semaine plus tard, Hachemi Rafsandjani, président du Parlement iranien, et présenté comme chef de file des « modérés » au sein du gouvernement iranien, affirme son accord avec la décision de l’Imam, et s’adressant aux « gouvernements occidentaux » , dit : « je demande officiellement en ma qualité de président du Parlement de vous prononcer pour ou contre le livre « Les Versets Sataniques ». La publication du livre fait partie d’un plan dont les sionistes sont les réalisateurs. Si l’Imam est intervenu lui-même c’est qu’il est toujours vigilant et a compris que le problème ne pouvait être réglé par un simple tribunal islamique. »
Pendant cet intervalle, au niveau des relations internationales comme en Iran même, plusieurs événements « publics » se produisent, sans doute accompagnés par d’autres plus « occultes » . Tout d’abord les gouvernement occidentaux sont unanimes à « réprouver » l’acte de Khomeiny. Quant aux moyens d’exprimer cette « réprobation », la plus grande confusion règne (1). Le 20 février est connue une déclaration de Rushdie reconnaissant que « des musulmans sont réellement peinés par mon roman. Je regrette la peine qui leur a été causée ».
Cette déclaration est présentée comme un acte de « repentir » . Dans les milieux officiels de Téhéran, il règne une certaine confusion à laquelle le Premier ministre Khomeiny met fin en répétant que la sentence de mort est irrévocable.
L’intervention vengeresse de l’Imam et sa date tardive ne s’expliquent qu’en relation avec le développement de la situation politique en Iran.
Ce n’est pas une simple coïncidence si peu avant la condamnation à mort publique de Rushdie, l’un des « hommes forts » du régime l’un des représentants de cette « aile pragmatique » , Montazeri, qui avait été même présenté comme le « dauphin » de Khomeiny, avait expliqué que « des erreurs graves avaient ruiné l’image de l’Iran et effrayé le monde en lui faisant croire que nous n’avions qu’un seul objectif : tuer ». Il avait notamment dénoncé « l’extrémisme, l’injustice, l’incompétence des responsables, les luttes fractionnelles, le mépris du peuple ».
Il est clair que c’est à lui – ou plus précisément au courant qu’il représente dans l’appareil d’Etat et la hiérarchie cléricale qui le gère – que Khomeiny s’attaque le 22 février, huit jours après sa prise de position sur Rushdie.
« Je ne laisserai pas le pays aux mains des libéraux… Je n’admettrai pas que les hypocrites anéantissent l’islam de nos déshérités et je n’accepterai pas que les principes de la Révolution n’admettant ni l’Est ni l’Ouest soient ignorés ou bafoués… moi vivant, je couperai les mains des mercenaires des Etats-Unis et de l’Union soviétique partout où ces deux pays tentent de s’infiltrer » . Il attaque même ceux qui ont oublié « que nous avons mené à bien tous nos objectifs, même la guerre, que nous avons menée jusqu’à la victoire puisque nos ennemis n’ont rien obtenu. »
C’est le même Khomeiny qui déclarait quelques mois avant son acceptation de la résolution du Conseil de sécurité stipulant un cessez-le-feu avec l’Irak : « Il vaut mieux que vous spéculiez sur ma mort plutôt que sur mon éventuelle adhésion à une telle option. »
Nous ne nous éloignons pas de l’affaire Rushdie. Khomeiny a réaffirmé son rôle d’arbitre en se faisant consacrer, à peu de frais, comme le plus lucide, le plus intransigeant, le guide des musulmans dans le monde. Comme l’écrit la revue américaine « Time » : « Pourquoi une telle explosion contre un livre qu’on aurait pu aussi bien ignorer ? La réponse est tout autant politique que théologique. Maintenant que l’Iran a terminé -- sinon gagné — la guerre meurtrière contre l’Irak, le livre de Rushdie est devenu un instrument avec lequel Khomeiny peut à nouveau mobiliser ses forces contre un ennemi assez lointain dont les offenses peuvent être reliées au grand Satan ».
Il haut préciser : qui permet d’apparaître comme attaquant le « grand Satan » (l’impérialisme) sans le faire. La campagne contre Rushdie est en ce qui concerne l’impérialisme une campagne « symbolique » (même si au niveau individuel, la cible est bien réelle) qui n’a rien à voir avec la mobilisation contre l’ambassade américaine.
Pour conclure sur ce point, soulignons simplement que s’il est absurde de prétendre séparer Khomeiny, chef religieux et « gardien du dogme » de Khomeiny dirigeant de l’Etat, ce n’est pas seulement parce que dans l’affaire Rushdie il est indéniable que c’est l’Etat qui s’est engagé, c’est avant tout parce que l’Etat bourgeois reconstruit contre le mouvement des masses n’a pu l’être que comme Etat théocratique.
C’est là l’un des aspects politiques essentiels comme l’ont écrit des camarades trotskystes africains. Pour ne citer que quelques exemples de prises de position, les camarades du Niger écrivent : « En aucun cas, un révolutionnaire ne peut réclamer de l’Etat bourgeois un renforcement de l’appareil répressif. C’est contraire à tous les principes. Surtout que dans ce cas précis, l’affaire Rushdie n’est qu’un prétexte qui vise justement à restructurer les Etats musulmans. »
Et les camarades du Burundi ont écrit : « Il n’y a pas de « libertés blasphématoires », il y a des libertés tout court. En effet, combien d’hommes et de femmes ont été pendus ou brûlés pour des prétendus blasphèmes à l’encontre de la religion catholique. L’imam Khomeiny ne fait que réprimer toutes les libertés démocratiques en Iran comme bien d’autres dictateurs que nous connaissons en Afrique.
L’appel au meurtre d’un citoyen n’est donc qu’une conséquence de cette répression des libertés sous prétexte de religion. Comme dans toute dictature, il y a confusion totale entre la religion ou les croyances individuelles et le pouvoir étatique. »
Quelques autres aspects de la question
Dans son article « L’affaire des versets sataniques ou la nouvelle croisade contre l’islam », Mamadou Dia, président du Mouvement pour le Socialisme et la Démocratie du Sénégal, écrit : « L’Occident européen, en prenant fait et cause frénétiquement au nom des droits de l’homme, pour un auteur… »
En réalité, cette « frénésie » a été bien relative, les gouvernements, les représentants politiques de la bourgeoisie ont tenu à faire part de « leur compréhension » à l’égard des « musulmans offensés » (ce qui est certes, pure hypocrisie) et clairement laissé entendre que cette affaire ne devait pas entraîner une interruption du processus de « normalisation » des relations avec l’Iran. Les mêmes porte-paroles ont, sous des formes diverses, expliqué que les responsabilités étaient « partagées ».
C’est ainsi que le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Thatcher, Sir Geoffroy Howe a déclaré à la BBC le jeudi 2 mars : « le gouvernement britannique et le peuple britannique n’ont aucune affection pour ce livre. Celui-ci est extrêmement critique et même grossier à notre égard. Il compare la Grande-Bretagne à l’Allemagne de Hitler. Nous n’apprécions pas plus cela que les musulmans n’aiment les attaques contre leur religion que contient l’ouvrage. Nous ne patronnons donc pas ce livre, mais nous défendons le droit à la liberté d’expression et de publication ».
On pourrait multiplier les citations de ce type (Roland Dumas etc.). En voilà une de Jacques Chirac : « Je n’ai aucune estime pour Salman Rushdie, ni pour les gens qui utilisent le blasphème pour se faire de l’argent comme ce fumiste (je pèse mes mots) qui s’appelle Scorcese, l’auteur d’un navet « La dernière tentation du Christ ». Quand on déchaîne l’irrationnel, il ne faut pas s’étonner de la suite des choses, mais le viol des consciences est inadmissible ».
L’intérêt particulier de cette citation c’est qu’elle introduit une autre dimension : celle de « l’union sacrée » des différentes Eglises établies contre la liberté d’expression. Le gouvernement iranien a fait savoir qu’il ne participait pas à un Festival cinématographique car « La dernière tentation du Christ » y était représentée.
En France, le 21 février, le cardinal Decourtray déclarait : « Une fois encore, des croyants sont offensés dans leur foi. Hier, les chrétiens dans un film défigurant le visage du Christ. Aujourd’hui les musulmans dans ce livre sur le prophète. A côté des réactions fanatiques qui sont elles aussi des offenses à Dieu, j’exprime ma solidarité à tous ceux qui vivent, dans les dignité et la prière, cette blessure. »
Position qui sera reprise dans des termes voisins par le Vatican.
Enfin, le 6 mars, le grand Rabbin d’Israël a déclaré : « Il faut interdire ce livre qui peut être contagieux. Un jour on s’attaque à telle religion et le lendemain on sen prend à une autre… »
Un choix politique
Certains commentateurs ont donné l’impression que si l’on pratiquait la religion musulmane on devait automatiquement partager la position de Khomeiny. En d’autres termes, que la conviction religieuse entraînait nécessairement l’approbation de la « sanction exemplaire » .
Or, ce n’est pas le cas. Au nom même de la religion musulmane les positions les plus diverses se sont exprimées. Ainsi au Caire, le cheikh Gad-el-Har, haute autorité théologique, a suggéré « qu’un livre sort écrit pour réfuter les thèses calomnieuses contenues dans « Les versets sataniques » , estimant que « les condamnations avaient en fait servi l’éditeur » .
Neguib Mahfouz, Prix Nobel qui condamne très durement le contenu du livre (s’il est tel qu’on le lui a rapporté, ajoute-t-il) a dit : « aucun blasphème ne porte plus préjudice à l’islam et aux musulmans que l’appel au meurtre ».
D’autres personnalités — y compris qui se prononcent pour l’interdiction du livre — considèrent que Khomeiny n’avait aucune autorité pour prononcer sa condamnation. L’appui donné à la campagne contre Rushdie n’est donc pas une obligation de conscience qui s’imposerait à tout musulman, mais un choix politique.
Le MSD, d’après ses statuts, combat pour un « Etat socialiste, démocratique et laïque ». Mais que reste-t-il de cette affirmation lorsque, dans le journal du parti, le principal dirigeant réclame du gouvernement oppresseur et agent de l’impérialisme et du FMI qu’il ait recours a la censure contre une oeuvre littéraire, avec comme seul argument la défense d’un dogme et d’une conception religieuse ?
N’est-ce pas faire d’une religion un facteur déterminant de la politique du parti, de son activité pratique, de ses relations avec l’Etat - et non du comportement privé et individuel de certains de ses membres ? Et par là même dans les faits le constituer comme un parti confessionnel ce qui est contradictoire avec son existence comme parti indépendant ?
Le gouvernement d’Abdou Diouf ayant anticipé la demande qui lui est faite, il reste alors à exiger un « texte de loi édictant des sanctions contre tout contrevenant » (Lettre ouverte à Abdou Diouf dans « Yaakaar » n°3, organe du MSD).
Mais il faut faire appliquer cette loi et appliquer ces sanctions. Faut-il instituer une police religieuse qui aurait le droit de perquisition pour s’assurer que des citoyens sénégalais, de confession musulmane ou non, ayant pu se procurer l’ouvrage maudit, auraient pris la décision criminelle de vérifier par eux-mêmes si ce roman mérite ou non le tapage qu’on fait à son sujet ?
Est-ce là le modèle de démocratie que le MSD entend proposer au peuple sénégalais ?
Nous no pensions pas que Mamadou Dia considérait le régime de Khomeiny comme un exemple. Mais qu’est-ce d’autre qu’un éloge que d’écrire — en niant par ailleurs les faits les plus patents — que : « Nous croyons injuste d’incriminer l’imam Khomeiny pour son appel à une sanction exemplaire. Parlant non pas en tant que chef d’Etat ou de gouvernement, mais en tant que chef spirituel, gardien du dogme, il a fait son devoir en disant clairement le droit : la charia islamique » .
Phrase que suit la sommation : « les critiques contre l’imam Khomeiny ne s’adressent pas ou ne devraient pas s’adresser à ce dernier, niais plutôt à la loi islamique ».
Nous avons souligné que ce n’était pas l’avis de nombreux musulmans ; y compris de théologiens.
Mais cette phrase fait songer à ce qu’a écrit un correspondant musulman du « Monde diplomatique » défendant la position de Khomeiny et qui ajoutait : « la Bible prévoit aussi la mort pour qui insulte Jéhovah. Faudrait-il interdire la Bible ? »
Il ne s’agit pas d’interdire quelque livre que ce soit, ni le Coran, ni le roman de Rushdie.
Notre position est cohérente, nous condamnons les persécutions anti-religieuses qu’elles soient exercées par des gouvernements capitalistes ou par les cliques bureaucratiques qui prétendent agir au nom du « socialisme », qu’elles frappent les catholiques, les orthodoxes, les protestants, les juifs, les musulmans, ou les bouddhistes du Tibet.
Nous condamnons également toute persécution, toute chasse aux sorcières au nom de la religion, qu’elle frappe ceux qui ne pratiquent pas une religion ou pratiquent une autre religion que celle qui est organiquement liée à l’Etat (comme la persécution contre les Baha’is en Iran).
Il est vrai qu’en utilisant l’affaire Rushdie — et fortement aidés par Khomeiny et ses partisans — les impérialistes se livrent à une opération de dénigrement des peuples de culture musulmane, présentant tous les musulmans comme des « fanatiques » calomniant une civilisation qui a apporté une contribution importante au développement de l’humanité.
Monstrueuse hypocrisie de la part de ceux qui ont massacré, saigné à blanc les pays qu’ils colonisaient et qu’aujourd’hui ils ruinent par l’usage de la dette, on dignes descendants des auteurs du génocide de la population africaine dans l’esclavage.
Monstrueuse hypocrisie de la part de ceux qui regrettent pour leur compte les jours de l’Inquisition et qui ont pour but d’ajouter à la division des peuples pour perpétuer leur oppression, de préparer des attaques redoublées contre les travailleurs immigrés.
On ne peut y répondre que sur le terrain de l’indépendance politique de la lutte des exploités et des opprimés, de l’unité des travailleurs et des peuples.
Car il n’y a pas, par contre, d’attaques des pays impérialistes contre « l’islam institutionnalisé », contre les Etats « islamiques » lorsque la forme théocratique est la seule possible pour maintenir des Etats subordonnés à l’impérialisme.
C’est cette réalité qu’affirmait la Conférence de Caracas lorsqu’elle proclamait « les travailleurs du monde (ajoutons quelles que que soient leurs religions ou leur absence de religion) ont des intérêts matériels communs parce qu’ils ont les mêmes ennemis » (quelle que soit la religion ou l’idéologie dont se réclament les exploiteurs). C’est à cette réalité et à ce combat qu’il faut bien constater — non sans tristesse quand on connait la vie de ce combattant — que Mamadou Dia tourne le dos.
Il l’exprime — et comme une conséquence de sa prise de position politique sur l’affaire Rushdie lorsqu’il oppose « l’Occident » (exploiteurs et exploités confondus) à « l’islam » (exploités et exploiteurs confondus).
F. Forgue
1. Ainsi, au moment où les gouvernements de la CEE font entendre une protestation solennelle, le ministre des Affaires étrangères de Mitterrand, Roland Dumas, assure que cela ne remet pas en question « la présence de la France » pour le moment « où l’Iran se démocratisera ».
Sur l’affaire Rushdie : une résolution du Conseil Général (mai 1989)
Le Conseil Général a constaté l’absence du camarade Mamadou Dia régulièrement convoqué.
Certes, par sa lettre adressée au camarade Cristobal, le camarade Dia faisait connaître sa décision unilatérale de rompre ses liens avec la IVème Internationale (CIR). Le Conseil Général considère que ce procédé manifeste le refus de la discussion libre et démocratique indispensable ou développement d’organisations indépendantes.
La IVème Internationale (CIR), agissant sur la base de son programme, a mené une large activait dans la voie du regroupement des organisations, courants et militants qui, se prononçant pour l’indépendance des organisations des exploités et des opprimés à l’égard de l’impérialisme, du stalinisme. de la social-démocratie et des religions, était décidée à œuvrer dans la voie d’une Internationale exprimant les intérêts communs des exploités et des opprimés du monde entier contre leurs ennemis communs, les exploiteurs.
C’est sur cette base, comme l’établissent les documents qu’il a signés, les contributions qu’il a faites, que le camarade Mamadou Dia s’est associé à l’action de la IVème Internationale (CIR).
Le Conseil Général fait sienne la caractérisation des récentes prises de position du camarade Mamadou Dia faite par le camarade Seldjouk dans son rapport : « Mamadou Dia a décidé, alors même que tous les documents qu’il a signés jusque là indiquent une orientation contraire, de renoncer aux intérêts et antagonismes de classes pour se soumettre à « une communauté », l’Islam en l’occurrence. Pour nous, il n’y a pas plus de « communauté musulmane » que de communauté chrétienne, juive ou protestante. Il y a des classes : d’un côté des exploiteurs et des oppresseurs musulmans, chrétiens juifs ou protestants, et de l’autre, il y a des exploites qui, indépendamment de leur appartenance ou non à une religion, doivent former cette « immense armée unique de toute la classe ouvrière internationale d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. »
Il ne s’agit pas en effet d’un débat sur la religion mais d’une question politique centrale. La revendication démocratique de la séparation de l’Etat et des Eglises, la laïcité, le fait que les croyances religieuses comme affaire privée ne peuvent intervenir dans les prises de position d’une organisation politique, sont des éléments constitutifs du mouvement ouvrier indépendant et du mouvement des peuples opprimés contre l’impérialisme.
Il s’agit d’éléments de principe que, bien évidemment la IVème Internationale reprend à son compte, mais qui sont aussi à la base de la constitution de toute organisation indépendante des exploités et des opprimés.
Les positions exprimées par le camarade Mamadou Dia dans l’organe du MSD « Yaakaar » et précisées dans l’article destiné à « la presse indépendante » sont contradictoires avec ces principes. Réclamer du gouvernement Diouf, soumis à l’impérialisme et au FMI, qu’il interdise un livre au nom de la défense d’un dogme et d’une confession religieuse, est contraire à la démocratie comme l’est, bien sûr, le fait de renchérir en exigeant de lui « qu’il édicte des sanctions contre tout contrevenant ».
Une telle exigence, formulée dans le journal du parti, par le président du parti, signifie faire de la religion un facteur déterminant de la politique du parti (et non un facteur du comportement individuel et privé de certains de ses membres). C’est à dire qu’elle tend à faire du parti un parti confessionnel, ce qui est contradictoire avec son existence comme parti indépendant et démocratique.
Ecrire : « Nous croyons injuste d’incriminer l’imam Khomeiny pour son appel à une sanction exemplaire. Parlant non pas en chef d’Etat ou de gouvernement, mais en tant que chef spirituel, gardien du dogme, il a fait son devoir en disant clairement le droit : la Charia islamique. Les critiques contre l’imam Khomeiny ne s’adressent pas ou ne devraient pas s’adresser à ce demier, mais plutôt à la loi islamique. »
C’est en fait à partir d’une position politique (dont la validité du fondement religieux est d’ailleurs contestée par de nombreux musulmans) aboutir au soutien à rappel au meurtre et au delà, au soutien du régime de la République islamique d’Iran qui a écrasé par une féroce répression toute expression indépendante du mouvement ouvrier, massacré le peuple kurde (musulman), assassiné des milliers d’opposants.
Sur cette voie, le camarade Mamadou Dia est amené à rejeter ce qui fonde l’internationalisme, et qu’il avait lui-même exprimé avec force à Caracas : « Unité des travailleurs et des peuples des pays impérialistes dominateurs, exploiteurs et oppresseurs avec les travailleurs et les peuples des pays dominés par l’impérialisme, face au même ennemi, l’impérialisme, le néo-colonialisme. Tel a été l’objet de la Conférence de Caracas. Cette unité est celle des pauvres et opprimés des pays « riches » avec les pauvres et opprimés des pays « pauvres » contre l’internationale des riches des pays riches et des pays pauvres. »
A cela, en écrivant : « L’Occident européen montre aux musulmans leur devoir : s’unir – sunnites et chiites – pour faire face à cette nouvelle croisade idéologique et politique contre l’Islam », le camarade Mamadou Dia substitue l’opposition entre « Occident » (exploiteurs et exploités confondus) et une religion (exploiteurs et exploités confondus). Le Conseil Général prend acte du fait que ces positions sont contraires à toutes les traditions du mouvement ouvrier et démocratique dont se réclame la IVème Internationale et les militants et organisations qui œuvrent à l’échelle du monde pour la préparation de la Conférence mondiale pour l’Internationale ouvrière. Il décide de transmettre cette résolution à toutes les sections de la IVème Internationale (CIR) et aux membres du Comité de Liaison.