Lettre parue dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 39, mai 1965, p. 11–13
Ces extraits d’une longue lettre d’un camarade d’Alger font suite aux lettres du même camarade déjà publiées dans ICO (Nos 25 – 27 – 29 – 36).
« Lundi passé, le 22 mars 1965 a été présenté Aït Ahmed au juge d’instruction, en compagnie de ses coïnculpés. Puis il a été écroué à la « Barberousse » entre les mains de la police officielle (en renfort). Agissant ainsi, Ben Bella veut déjouer d’avance son « adjoint » Houari Boumedienne qui, on sait, n a pas attendu le bon vouloir de Ben Bella pour faire passer par les armes le colonel Chabani. Donc la proie d’Aït Ahmed passe pour le moment sous le nez des sanguinaires de l’ANP.
… Il se trouve parmi les co-inculpés en question, un cureton… cette fois-ci c’est un père blanc qui a vécu toute sa vie dans le coin d’origine d’Aït Ahmed (le bled s’appelle Djemaa Saharidj, en Kabylie). D’origine stalinienne, il aurait planqué pour le compte du F.F.S. (la bande de Aït) 129 millions (AF). Ce joli magot serait passé dans la caisse de l’Etat… pour un meilleur usage… (sauf prélèvements inavoués… bref.) Ce cureton sera naturellement jugé, plaidant non coupable et ignorant ce qu’il a planqué…
Tel le « père » (ou l’abbé) Berenguer qui, avec la bénédiction de Rome, « figurait » parmi ceux du FLN… d’aucuns dirent que ce Père blanc n’aura pas reçu les assentiments d’un Paul VI et pour cause ! D’ailleurs l’ex-Abbé devenu « frère Berenguer » n’est plus aussi bien coté au bureau politique. Et c’est surtout depuis que le citoyen (algérien) Si El Hadj Mohamed Duval… cardinal pour les amis et ambassadeur de la Ville Éternelle (de facto a jeté son ombre sur ce petit prêtre devenu superflu…
Aussi on attendait que ça évolue, Vatican dépense pour l’enseignement… C’est fou ce que les curés s’intéressent à l’instruction publique. Sachant que les fruits seront à point dans vingt ans… A notre siècle d’instabilité, la confiance du Pape dans une politique à longue échéance est remarquable. Faute de mieux ils enveniment la jeunesse… Que c’est beau…
… En parlant des Anglais, eux au moins, ils ont le pied sur terre… mieux les pieds sur terre d’Afrique. Arzew… Pétrochimie et encore bien de l’espoir. Plus de 760 Land Rover vendues aux algériens en 1964 seulement, chapeau au… La chance des anglais, c’est la faute des allemands. Car on dit que les algériens s’en foutent de Nasser avec son Israël, mais voici que les gars d’Erhard se sont pointés en promettant monts et merveilles à condition que les USA, les anglais, la France, etc., soient de but en blanc mis dehors. Sur ce, comme vous voyez les anglais ont bien joué…
Sur ce mécontentement général Ben Bella a répondu en invitant les cosmonautes (URSS) en les exhibant copieusement. Et ça fait son effet.
Toutefois, à ne pas négliger le fait que l’URSS se trouve ainsi épaulée à bon prix dans sa besogne de propagande. Avec à côté les Bulgares qui font « leur » exposition de l’art graphique, les hongrois qui tiennent à « leur » quinzaine culturelle, etc. Autant de bourrage de crâne.
Sur qui, vers quoi doit donc se rabattre l’indigène, à peine lettré mais à défaut copieusement gavé de toute cette merde ?
Pour mieux brosser cette question, voyons le cas de la presse locale. Par exemple, après l’indépendance, c’était indiscutablement « La Dépêche » qui se vendait le mieux. Depuis sa fermeture, l’opposition (de deux côtés) s’est rabattue sur « l’Alger Rep. » Non pas pour ses vérités éventuelles, mais parce qu’il n’y a pas de choix. Or, ceux qui ne veulent pas le Peuple, ce canard étant celui du Bureau Politique faute de mieux, on lit Alger Rép. Ainsi et également la « masse » se balance entre le « parti » (où on n’y va que de force et encore) et le « moins pire », c’est-à-dire les genres d’attroupements comme l’UGTA, Union des femmes, etc. Aussi ceux qui sympathiseront volontiers avec quelque opposition se rabattent donc sur les formations – apparemment – modérées. Ainsi ils subissent autant le virus en croyant s’échapper.
Pour en venir à l’UGTA et son 2ème Congrès, c’est visible, c’est le pouvoir qui cherche à se consolider en plaçant des « béni-oui-oui », des têtes qui ne disent rien à personne, des mecs qui émargent de quelque « comité de gestion » et qui sont trop heureux à prêter leur nom pour gagner un peu plus. Car en matière de pays ne suffit-il pas de citer les 30.000 AF des ramasseurs d’ordures ?
Le rôle des syndicats est loin de ce que l’on pratique déjà dans les pays capitalistes pour me borner à ignorer leur activité de béni-oui-oui ici ou dans d’autres socialismes… En effet, n ‘est-ce pas beau de dire que l’on chasse à jamais l’exploitation de l’homme par l’homme tout en remplaçant le méchant capitaliste par une personne morale (= société) qui vous suce encore plus le sang ?
Beaucoup de vrais militants de la rébellion disent aujourd’hui qu’il valait mieux la domination de la France qu’elle a eu au moins la délicatesse de ne pas outrager la famille en débridant les mœurs de jeunes musulmanes. Et ils disent encore bien plus… faudrait-il les assurer que la « milice » (police parallèle) de Ben Bella ne les attrape pas.
Pour terminer avec le 2ème Congrès de l’UGTA je vous signale simplement que les revendications formulées devront – logiquement – figurer depuis toujours sur le programme d’un gouvernement socialiste. Or, je répète, si Ben Bella a laissé pour les apparences, les gars de l’UGTA revendiquer (un chouilla) c’est pour prouver à quelque délégations la liberté d’expression et aussi pour rendre populaire l’UGTA puisque « ses » revendications sont celles les plus urgentes que le peuple fasse, dans sa masse. Pourquoi « pousser » la popularité de l’UGTA ? Simplement parce que le FLN a échoué. La réalité du FLN n’est qu’une poignée d’hommes qui veulent diriger une masse hostile, inerte, déroutée, dans un carrefour où tous les »voisins » bien pensants, déversent leur salade idéologique. Or, en absorbant les groupes de cette masse ici et ailleurs UGTA, FLN, etc., on achève de policer le pays à fond. Le but premier est de coller une carte verte et blanche dans la poche de tout le monde.
… Pour ceux qui ont assisté à ces manifestations du 2ème congrès UGTA on n’a vu que quelques éléments du FLN déguisés en « camarades » syndiqués qui ont donc amendé les textes, suivant l’orchestration digne d’un opéra tragi-comique. Rien n’a été négligé au départ, tout a été prévu.
Les ministères sont doublés par des services identiques du BP dépendant de la villa Joly, pas d’Assemblée dans le sens propre, un corps de Préfets suppléant aux municipalités inexistantes, remplacées par des délégations spéciales, votes pour le candidat unique, sans choix, où le bulletin blanc n’apparaît même plus dans les comptes… »