Article de Marcel Lapierre paru dans Le Peuple, 5 août 1931
Claude Mc Kay est un écrivain à peu près inconnu en France. C’est un noir américain né à la Jamaïque en 1890. Son enfance fut celle des petits paysans de couleur vivant dans les îles. L’un de ses frères, qui était instituteur, fut son premier éducateur.
Très jeune, McKay écrivit des poèmes qui lui valurent une grande renommée dans toute la Jamaïque. Le premier recueil qu’il publia était intitulé Chansons de la Jamaïque et composé en dialecte antillais.
Des séjours à l’Institut de Tuskegee et au collège agricole du Kansas ne réussirent pas à faire de lui un agronome.
Tourmenté par sa vocation poétique, McKay abandonna ses études. C’était en 1914. A Harlem — le quartier nègre de New-York — il dirigea, pour sa ruine, un restaurant-concert.
Voyageant à travers les Etats du nord, il fut successivement plongeur, marin, employé de Pullmann.
En 1919, il partit pour l’Europe : Belgique, Hollande, Angleterre.
A Londres, pendant un an, il travailla comme correcteur d’imprimes. Pendant cette période il publia son second livre : Printemps au New Hampshire, poèmes écrits en anglais.
Un an plus tard, il revint à New York et collabora à Liberator, la revue de Max Eastmann. Ce fut chez ce dernier qu’il rencontra Charlie Chaplin, lequel écrivit dans son livre Mes Voyages :
« Claude McKay, le poète noir, est très beau : un nègre pur sang de la Jamaïque. Je vois maintenant pourquoi on l’a surnommé « le Prince Africain » ; il a précisément les manières d’un prince.
« J’ai lu pas mal de ses poèmes, c’est un réel aristocrate avec, en plus, la sensibilité du poète et l’humour du philosophe. En outre, timide à l’excès. Un rien, à la vérité, le blesse. Mais sa dignité et ses façons sont telles qu’il semble planer ».
Cette année-là, McKay donna un nouveau livre de poèmes : Ombres d’Harlem.
Il reprit ensuite la mer, embarqué en qualité de chauffeur sur un cargo. Il a visité la Russie, l’Allemagne, la France.
Depuis, nous dit Georges Friedmann qui a préfacé l’édition française de Banjo, il a vécu le plus souvent sur la Méditerranée, à Marseille, à Antibes à Barcelone, travaillant à divers métiers. Il est installé maintenant près de Tanger.
C’est depuis 1924 qu’il a écrit ses deux romans : Home to Harlem et Banjo.
Les lecteurs français connaîtront McKay par ce second livre, qui a été traduit par Ida Treat et Vaillant-Couturier.
Banjo n’est pas exactement un roman. C’est une œuvre composée et qui tient à la fois du pamphlet, du recueil folklorique, du reportage et du récit social.
Toute l’action se passe à Marseille dans la « Fosse », le quartier réservé sur lequel Edouard Peisson, dans Hans le Marin a écrit de bien belles pages.
Les personnages sont les « Frères du port », hommes noirs ou marrons qui vivent avec insouciance dans « ce pays d’Alleluia ».
Il y a Banjo — ainsi nommé à cause de l’instrument dont il joue en maître — Ray, l’intellectuel, qui semble être le porte-parole de McKay, Dengel, Malty, Gingembre, Lonesome-Blue, le cafard solitaire, l’homme qui porte la guigne.
Tout en conduisant son lecteur dans les coins les plus discrets de la « Fosse », dans Budy-Lane et sur la place aux Tapeurs, l’auteur explique comment vivent les frères du port et les distingue nettement d’autres oisifs d’espèce amphibie.
En même temps, il fait raconter des histoires, des histoires comme en content les mammas des îles et surtout il donne la parole à Ray.
Ainsi, nous connaissons les opinions de McKay sur le « problème noir ». Le poète est partisan de la renaissance de la race, mais il ne la conçoit pas par l’action d’une conférence intellectuelle plus ou, moins adaptée à la « civilisation blanche ». Selon lui, la renaissance doit être le fait du fonds de la population noire, d’une évolution reprise à la base, aux sources des traditions ancestrales.
Enfin, on trouve dans Banjo des observations et des critiques sur la civilisation des blancs.
C’est un livre copieux, original et intéressant. (Rieder, éditeur).
Marcel LAPIERRE.