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Robert Louzon : Pour mettre fin à la seconde guerre d’Algérie : évacuer et rapatrier

Article de Robert Louzon paru dans La Révolution prolétarienne, n° 167, janvier 1962, p. 13-14


Lorsqu’eut lieu la première rentrée en France d’une division d’Algérie, j’indiquais que c’était là le commencement d’une évacuation totale, que, tout comme ça avait été le cas hier en Indochine et avant avant-hier au Mexique, une évacuation commencée après des années d’une guerre qui allait « se pourrissant » de plus en plus, ne pouvait être que poursuivie jusqu’à son terme. C’était un processus « irréversible » pour employer un mot à la mode.

Et de fait, une troisième division devait être rapatriée déjà dans les derniers mois de 61 ; la décision, dit-on alors, en avait été prise par de Gaulle, mais, toujours d’après les on-dit, le nouveau chef d’état-major, Pujet, avait opposé son veto et le « chef de l’État » s’était incliné.

Or, maintenant que de Gaulle a annoncé publiquement que deux nouvelles divisions d’infanterie, sans compter plusieurs formations d’aviation, allaient rentrer en France incessamment et qu’elles seraient suivies d’autres, il faut admettre que l’état-major s’est incliné. Et que l’évacuation totale de l’Algérie par l’armée française n’est peut-être plus qu’une question de mois, d’un an au plus.

Or, il va sans dire que tout retour d’une partie quelconque de l’armée française sa traduit nécessairement par l’abandon de nouvelles parties du territoire algérien au F.L.N. En effet, même lorsque ses effectifs étaient à leur maximum, l’armée française ne put jamais tenir tout le territoire algérien ; il lui faut donc en céder de nouvelles portions chaque fois qu’elle a à subir une réduction d’effectifs.

Par là se trouve appliqué l’article premier du projet de traité que publiait la « R. P. », de novembre dernier, traité dont il importe peu qu’il ne soit jamais signé, pourvu qu’en fait, on l’exécute.

Cette évacuation de l’armée française va donc mettre fin progressivement à la domination française, et du même coup elle mettra fin à la première guerre d’Algérie, celle qui oppose État français et peuple algérien.

Cette guerre aura donc duré un peu plus que celle qui mit aux prises le Vietnam et l’État français, ce à quoi on devait s’attendre puisque l’État français était plus solidement implanté en Algérie qu’en Indochine, et elle aura duré presque le double de ce qu’avait duré l’expédition du Mexique, la France n’ayant jamais eu de racines au Mexique. Par contre, elle aura été beaucoup moins longue que la guerre de libération des noirs d’Haïti, car à Haïti la France était solidement installée depuis deux siècles, et puis, la France de ce temps-là, c’était celle de la Révolution et de Napoléon !

Mais, quid de la seconde guerre d’Algérie ? Quid de la guerre des Européens d’Algérie eux-mêmes ? De la guerre directe entre les deux peuples, le peuple immigré et le peuple indigène ?

Pour beaucoup, le départ de l’armée française risque de déclencher une catastrophe. Le heurt des deux communautés.

Mais ce heurt a déjà lieu et l’armée française, qui est toujours là à pleins effectifs ou à peu près, est incapable de l’interdire. Chaque jour il y a une dizaine de Musulmans au moins qui sont révolvérisés par des Européens et un certain nombre d’Européens qui sont poignardés par des Algériens.

La vraie question se pose donc ainsi : après le départ de l’armée française, le heurt entre les deux communautés continuera-t-il, ou bien, devant le fait nouveau, cessera-t-il ?

Eh bien ! pour moi, je l’ai déjà dit, mais je crois devoir y revenir tellement la chose est d’importance, le seul moyen de mettre fin au combat entre les deux communautés, le seul moyen de terminer cette seconde guerre d’Algérie est de laisser les deux peuples seuls, face à face, sans intervention d’un tiers, la présence de celui-ci comportant le vice majeur de masquer la réalité. En effet, ce n’est qu’une fois que l’armée française sera partie, que les Algériens d’origine européenne réaliseront qu’il leur faut à tout prix composer avec les Algériens indigènes s’ils ne veulent point être anéantis.

Et ils le réaliseront très vite, si le gouvernement français a soin, au cours des mois durant lesquels se poursuivra l’évacuation de l’armée française, de proclamer urbi et orbi qu’il est prêt à recevoir en France, dans les meilleures conditions possibles, tous les Français d’Algérie qui voudraient venir s’y établir.

Il faut qu’il le proclame… et qu’il le fasse ! Que les Algériens rapatriés soient accueillis avec suffisamment de chaleur et suffisamment d’aide matérielle pour qu’ils puissent vanter à leurs connaissances demeurées en Algérie, l’hospitalité de la métropole, que celles-ci décident, en conséquence, de rentrer à leur tour en France, et qu’ainsi la boule de neige devienne avalanche !

Déjà, bon nombre d’Européens d’Algérie ont quitté définitivement l’Algérie et se sont installés en France d’autres sont encore en Algérie mais ils ont pris soin d’acheter des appartements ou des domaines en France afin d’avoir où se replier le moment venu ; et dans la ville qui sera sans doute la première des grandes villes à être occupée par le F.L.N., Constantine, l’exode des non-Musulmans a dès maintenant pris une telle ampleur qu’on y envisage de supprimer le fonctionnement de plusieurs services publics, celui des transports en commun par exemple.

Il dépend donc de l’accueil qui sera réservé aux Algériens par la France et des encouragements qui seront apportés par le gouvernement français à cette émigration à rebours, que le départ des Européens d’Algérie prenne les dimensions d’un véritable rush.

Mais alors, je vous le demande, quel pourra être l’effet de ce rush sur le moral de ceux qui étaient décidés à rester et à se battre, si ce n’est de le détruire ?

A un million, nombre qu’ils atteignaient à peu près avant l’entrée en action du F.L.N., les Européens pouvaient tenter de tenir, par leurs propres moyens, sans aide de la France, contre les Arabes ; en revanche, si, au départ du dernier soldat français, ils ne sont plus que 500.000 ils pourraient, peut-être, encore essayer de tenir, mais à une condition, c’est de ne pas avoir été démoralisés par la fuite de la moitié de leurs compatriotes, ce qui ne saurait être ; et si, plus encore, ils ne sont même plus 500.000, mais deux ou trois cent mille, alors la folie de toute tentative de résistance ne peut que leur apparaître à plein et… ils s’empresseront de traiter. Ils traiteront avec le F.L.N., qui ne demandera pas mieux !

C’est la peur qui engendre souvent la sagesse. Et il est même des cas, comme celui dont nous traitons, où elle est seule capable de l’engendrer.

Un traitement par la peur peut paraître dur, voire inhumain ; il n’en est pas moins nécessaire. Certainement des procédés beaucoup plus doux, plus « nobles » pourront être préconisés, mais ils seront inefficaces. La folie de la domination ne peut être guérie que par un traitement de choc. La plupart des hommes ne comprennent que lorsqu’ils sont vaincus.

R. LOUZON.

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