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Interview de « Mujeres Libres »

Interview parue dans Tout le pouvoir aux travailleurs, n° 7, 15 septembre 1977, p. 6-7

Nous reproduisons ici intégralement une interview de camarades du groupe « Mujeres Libres ». Nous pensons que c’est la meilleure façon de présenter le mouvement « Mujeres Libres ». La Commission Femmes de l’UTCL entend poursuivre des relations avec « Mujeres Libres », bien que nous ayons des divergences avec elles ; divergences dont nous avons discuté à Barcelone avec elles et que nous exposons ci-dessous :

Premièrement le mouvement « Mujeres Libres » est mixte, il ne se réclame pas du mouvement féministe mais du mouvement libertaire.

Nous, femmes libertaires de l’UTCL, pensons qu’un mouvement autonome se préoccupant du problème des femmes est nécessairement non-mixte, au moins dans un premier temps. En effet, l’oppression spécifique des femmes existe depuis très longtemps, les femmes en ont pris conscience, ont analysé leur oppression, ont entrepris des actions mais jamais le mouvement ouvrier n’a repris cela en charge. C’est pourquoi la seule garantie que nous ayons pour que notre lutte soit reconnue c’est de nous prendre en charge nous-mêmes, de nous déterminer nous-mêmes, pour qu’ensuite puisse être impulsé par nous un débat dans l’ensemble de la classe ouvrière pour la reprise en charge de nos revendications. De plus, nous pensons que des réunions non-mixtes sont nécessaires même au sein du mouvement libertaire, pour que nous puissions analyser notre oppression, exprimer nos revendications toutes ensemble. Quand des hommes sont présents à ce genre de réunions, même des libertaires, certains ricanent bêtement et lancent des vannes cinglantes que les femmes ressentent très mal.

Bien sûr, le débat sur ce problème doit être discuté avec l’ensemble des individus aussi, mais dans un deuxième temps ; car sinon il est évident que nous ne changerons pas la conception que les hommes ont de nous, et donc des relations sociales et humaines entre les deux sexes.

Une deuxième divergence qui existe actuellement entre « Mujeres Libre s» et nous porte sur l’analyse de l’oppression des femmes.

« Mujeres Libres » ne reconnaît pas l’oppression spécifique en tant que telle, mais seulement l’exploitation capitaliste qui défavorise plus particulièrement les femmes. Nous pensons qu’il y a là une contradiction. En effet, si on recherche les causes de la surexploitation des femmes, on s’aperçoit que celle-ci découle directement de la place qui est attribuée à la femme dans la société (infériorité de la femme, salaire d’appoint etc…).

Dire que c’est de la faute de la société ne suffit pas. Nous aussi sommes pour un changement radical des structures et des relations humaines et sociales, mais pour cela il faut d’abord changer la mentalité des hommes au sujet des femmes, mentalité née de la société patriarcale et capitaliste ; tel est l’un des objectifs de la lutte des femmes.

D’autre part « Mujeres Libres » se refuse à organiser les femmes dans les quartiers en dehors de luttes ponctuelles, elles ne veulent pas élargir leur mouvement à un mouvement de masse.

Cette conception nous paraît erronée car à partir du moment où l’on veut faire prendre conscience de l’exploitation et de l’aliénation capitaliste aux femmes et de leur situation particulière, on ne peut se contenter de les éclairer.

En effet, s’il est positif que chaque femme se prenne en charge individuellement, il est clair que pour nous les solutions aux différents problèmes économiques, sociaux et humains sont des solutions collectives qui entraînent une dynamique révolutionnaire. En ce sens, le fait que les femmes s’organisent est une avancée.

Enfin au sujet du viol, nous aussi nous ne sommes pas d’accord avec le slogan : « Femmes violées, hommes castrés ». Mais s’il est en partie vrai que la société et l’idéologie qu’elle porte sont responsables de la misère sexuelle des hommes et de l’attitude des femmes, ce constat ne suffit pas : Il faut trouver des solutions radicales pour que cela change tout de suite ! On ne peut pas se laisser violer sous prétexte que c’est la société qui est responsable et non pas le violeur !

Les hommes doivent prendre conscience que nous sommes des êtres humains à part entière et pas des objets accessibles à tout moment à leurs désirs.

Organiser l’auto-défense des femmes est une chose juste et en cela nous sommes totalement d’accord avec « Mujeres Libres » avec la nuance que s’il le faut nous passerons à l’attaque ! Seulement nous n’avons pas la même analyse des causes du viol car si la femme est « éduquée » à provoquer, l’homme est conditionné à violer. Il faut donc faire prendre conscience aux hommes du rôle qu’ils ont aujourd’hui, dans cette société.

De nos contacts avec « Mujeres Libres », nous avons retiré beaucoup d’éléments positifs, de plus leur spécificité libertaire va nous permettre de travailler ensemble sur les différents problèmes et plus particulièrement sur le lien entre mouvement des femmes et mouvement libertaire. De plus leurs positions ne sont pas définitives, cela ne fait pas longtemps qu’elles fonctionnent, elles se trouvent confrontées à tous les problèmes à la fois (vu la situation particulière de l’Espagne…) et sont en pleine recherche.

Quant à nous, la Commission Femmes de l’UTCL est partie prenante du mouvement des femmes et milite dans les groupes d’entreprises et les quartiers. Notre rôle à nous, femmes libertaires, est de relier la lutte des femmes à la lutte des classes et au combat révolutionnaire, de faire entrer les idées féministes à l’intérieur de nos organisations car la société communiste libertaire ne se fera pas sans une réelle libération des femmes (et non une certaine libération sexuelle *) et donc dès maintenant nous devons lutter pour faire changer la mentalité des camarades hommes libertaires et la mentalité de semble des hommes de la classe ouvrière.

Commission Femmes UTCL

* La libération sexuelle est trop souvent comprise par les hommes dans le sens où ils pensent pouvoir satisfaire tous leurs désirs, mais sans se préoccuper de savoir quels sont les désirs des femmes ; en ce sens ils les considèrent encore plus en tant qu’objets disponibles. La réelle libération sexuelle passe d’abord par la reconnaissance des femmes en tant qu’individus à part entière, la prise en compte de leurs désirs.


Interview de « Mujeres Libres » faite à Barcelone au cours des journées libertaires qui se sont déroulées les 22, 23, 24 et 25 juillet 1977.

Quelques femmes du mouvement libertaire en 1936 se sont rendues compte que malgré les données libertaires, la femme continuait à être opprimée.

On constatait aussi qu’il y avait un grand nombre de femmes ménagères qui restaient à la maison et qui par conséquent n’étaient encadrées dans aucun mouvement. Alors aussitôt que nous avons constaté cela nous avons commencé ce mouvement. Mujeres Libres n’est pas simplement un mouvement revendicatif, mais c’est un mouvement révolutionnaire.

Comme il s’agit d’un mouvement libertaire nous n’essayons pas simplement de réussir un changement dans un domaine très concret mais nous essayons d’arriver à un but plus ample : un changement de structure qui va plus loin que les revendications féminines. C’est le seul mouvement féminin peut-être pas féministe qui s’occupe du problème des femmes sans faire de discrimination de sexe, c’est-à-dire que dans notre groupe il y a aussi des hommes.

Comment le mouvement est-il organisé, comment est-il structuré ?

Au niveau des groupes, des groupes de travail. Il y a plusieurs thèmes que nous préparons par groupe, alors que nous nous réunissons entre nous et puis toutes ensemble aussi.

Alors nos projets sont de faire ces groupes de travail, de pouvoir les sortir un peu de nous, d’aller dans les quartiers et d’aller aux Athénées libertaires (mouvement culturel de la CNT) pour en parler et c’est pour cela aussi que nous faisons un magazine que tu as vu, je crois.

Les groupes de travail se forment en fonction des différents besoins que nous voyons qu’il y a dans les quartiers. C’est-à-dire que quand un groupe n’est plus effectif il disparait et il peut s’en faire d’autres ailleurs.

Les femmes dans le mouvement Mujeres Libres, de quelle classe sont-elles en général ?

Les femmes de Mujeres Libres, ça fait peu de temps qu’on s’est reformé, alors en ce moment il est intégré par des étudiantes, des femmes qui travaillent, quelques professions libérales et c’est tout.

A partir de la grève de Rocca, je ne sais pas si tu connais, c’est une grève assez importante qu’il y a eu, il y a un groupe de femmes qui sont ménagères là-bas au village qui sont intéressées par notre mouvement et qui peut-être feront partie de nous ou nous ferons partie d’elles.

Est-ce qu’il y a une lutte des femmes comme il y a une lutte de classe ?

Nous luttons pour l’homme et pour la femme. Nous pensons qu’il y a un problème identique pour les hommes et pour les femmes qui est dans la structure même de la société, ce contre quoi nous luttons.

Il y a des lois, ce sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes, point de vue travail, mais il est plus difficile d’accéder à un travail en étant femme, il est très difficile d’avoir des places de responsabilité. En cas de gestation, l’entreprise te prend en charge trois mois, tu as trois mois de congés mais tu n’as aucune attention particulière spéciale à partir de ces trois mois.

Il est plus difficile de trouver du travail en étant une femme. Mais, de toute façon ce que l’on voudrait dire c’est que pour une femme, il est plus difficile d’accéder à un poste de responsabilité, ou être un cadre moyen, mais ce n’est pas ce que nous poursuivons d’accéder à des places de pouvoir, nous constatons simplement cela mais ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voudrions qu’il y ait une égalité.

Quelles actions avez-vous menées depuis votre existence ?

Nous n’essayons pas de faire des campagnes au niveau massif, nous ne voulons pas une entrée massive de gens dans notre mouvement, faire des grandes manifestations, arriver à des luttes très importantes. Simplement, ce que nous cherchons, c’est de faire prendre conscience aux groupes de femmes dans les quartiers ou n’importe où afin que ce soit elles individuellement qui puissent réagir contre l’exploitation en se rendant compte que cette exploitation existe réellement.

A quelles luttes spécifiques avez-vous assisté ou participé ?

La lutte de Rocca, ici à Barcelone, celle de Enduico à Madrid. Et puis il y en a eu d’autres dans différentes petites fabriques. Nous sommes intervenues au niveau de les appuyer, de publier des articles dans notre magazine, ou des brochures comme pour Rocca, aussi une aide économique dans ce que nous pouvons.

Nous avons essayé de les appuyer, d’être avec elles, mais jamais de les capter pour notre mouvement ou de leur inculquer nos idées.

Les filles qui étaient à Enduico ne sont pas là ; alors nous ne pouvons pas tellement t’expliquer.

Et les femmes gay ?

Il y a des refus avec les femmes gay, parce que nous avons parlé avec elles, nous leur avons demandé de venir mettre leurs problèmes sur le tapis et nous croyons que l’initiative leur appartient à elles plutôt qu’à nous ; en tout cas nous sommes tout à fait d’accord avec elles, nous sommes prêtes à les appuyer à tout moment.

Et le viol ?

Les inscriptions que tu as vues là-bas au parc Guell (« A femme violée, homme castré ») nous ne sommes pas d’accord avec ces inscriptions. C’est un groupe féministe très extrémiste et qui n’a rien à voir avec nous.

Au sujet du viol, c’est un des thèmes que nous voulons aborder, mais nous ne l’avons pas encore abordé car, nous te l’avons dit, il y a peu de temps que nous fonctionnons et nous n’avons pas pu toucher tous les problèmes.

Il ne faut pas culpabiliser uniquement l’homme qui viole mais aussi la société qui en bien des cas et surtout en Espagne, mais partout je crois, la femme est enseignée à provoquer pour ne rien donner après. Mais nous pensons que c’est la faute de la société et pas uniquement du violeur. Nous avons aussi projeté de faire un groupe Mujeres Libres pour apprendre l’auto-défense, pas pour attaquer mais pour se défendre.

Les femmes sont dépendantes économiquement et sexuellement, quelles perspectives avez-vous pour la lutte ?

Nous voudrions d’abord te dire que nous ne pensons pas que la femme est plus opprimée en Espagne que dans les autres pays, mais simplement que les autres pays sont plus raffinés dans l’oppression. Nous envisageons la lutte dans les quartiers en parlant des problèmes sexuels qu’il peut y avoir, en facilitant si possible les contraceptifs, en essayant de voir les gynécologues pour que les femmes puissent parler librement de leurs problèmes et trouver des solutions au point de vue sexuel.

Nous essayons tout d’abord de faire connaitre à la femme tous les moyens contraceptifs qu’il y a pour qu’il n’y ait pas de gestation qui n’est pas voulue. Mais dans le cas où il y en a une, nous sommes pour l’avortement car nous comprenons que c’est nécessaire.

Économiquement, nous pensons tout d’abord, c’est que ni l’homme ni la femme ne devraient être opprimés par ce système, c’est-à-dire qu’ils devraient pouvoir ne pas être salarié, ni les uns ni les autres. Mais en tout cas nous, nous sommes très conscientes que, depuis notre enfance, on nous a conditionnées à un certain type de vie. Nous sommes en-dessous de l’homme économiquement, dépendantes. Les campagnes que nous essayons de faire seront au niveau de faire prendre conscience aux femmes qu’elles peuvent réussir par elles-mêmes, économiquement.

L’oppression des femmes en Espagne est moins raffinée, est-ce que vous croyez que c’est provoquer, que le mouvement des femmes ?

Au sujet de notre mouvement, nous sommes totalement ignorées, personne ne nous a dérangées, la police et tout ça. D’habitude c’est tous les mouvements de femmes qui ont le même traitement, parce qu’on nous regarde de façon paternaliste. Et c’est des hommes, alors c’est un peu violent pour eux de nous faire une violence, non ?

Le mouvement Mujeres Libres est pour les réformes sociales et les transformations des relations sociales, quels liens avec la CNT ?

Il n’y a aucun lien avec la CNT, simplement Mujeres Libres et la CNT sont deux mouvements libertaires qui peuvent à un moment donné s’appuyer l’un l’autre pour mener une lutte ensemble.

C’est un mouvement qui se voit comme autonome au niveau politique et organisationnel ?

Nous refusons les mouvements politiques, alors il ne s’agit pas d’un mouvement politique.

Quel est le soutien des militants hommes ?

Nous n’avons eu aucune aide ou d’un groupe d’hommes ou d’individus. Il y a des groupes et des individus qui nous attaquent.

Lesquels ?

Même des mouvements libertaires !

Il y a des hommes dans le groupe mais un de ces jours nous allons proposer d’en reparler…


« FEMMES LIBRES » Espagne 1936-1939 (la Pensée Sauvage)

Ce livre retrace l’activité de l’organisation féminine espagnole créée en avril 1936 qui se développa pendant la révolution espagnole. Les Femmes Libres étaient libertaires. Elles développèrent le niveau de conscience des femmes aussi bien au point de vue social et politique, s’identifiant aux intérêts de la classe ouvrière, qu’au point de vue féministe, pour la libération de la femme. Le féminisme prolétarien qui les caractérise est un des éléments les plus originaux de ce mouvement qui compta plus de 20 000 adhérentes.

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