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R. Gené : Guerre civile en Algérie, fracture sociale en France

Éditorial de R. Gené paru dans Rouge & Vert, n° 242, 25 octobre 1995, p. 3

L’annonce, puis l’annulation, de la rencontre Chirac-Zéroual a modifié la perception par l’opinion des attentats revendiqués par le GIA. Chacun est désormais contraint de se positionner sur la situation en Algérie et ses répercussions en France.

Il ne peut être question de montrer une quelconque faiblesse vis-à-vis du projet politique des intégristes mais au nom de cela on ne peut pas non plus passer sous silence les responsabilités du pouvoir algérien dans la crise et son aggravation. L’impératif d’être contre les intégristes invite à s’interroger sur la validité de l’alliance conjoncturelle ébauchée à Rome entre le FIS et les principaux partis politiques se réclamant de la démocratie. N’y a-t-il pas danger d’une évolution à l’iranienne ? Les fondamentalistes écartent très rapidement leurs cautions démocratiques. L’exigence de clarté vis-à-vis du pouvoir algérien milite pour considérer le soutien apporté par Chirac à Zéroual comme particulièrement inopportun. Il risque d’aboutir au contraire du but affiché : « Faire de l’élection présidentielle en Algérie l’amorce d’un processus de démocratisation se prolongeant par l’organisation de législatives ». On peut certes regretter le boycott des élections présidentielles par les principales forces démocratiques, mais il eut fallu tenir compte de leur contestation de la légitimité du scrutin et faire pression pour obtenir des garanties permettant leur participation. Au lieu de cela, l’appui au candidat de la nomenklatura l’a exonéré par avance de tout changement dans la conduite des affaires de l’Algérie.

En France, la vague terroriste a un double effet négatif. La communauté d’origine algérienne est désorientée et montrée du doigt. Les risques de recrudescence du racisme sont amplifiés. Les adversaires de l’intégration sont à l’œuvre. D’un côté les intégristes islamiques s’appuient sur les frustrations, notamment parmi les jeunes, pour distiller leur discours identitaire. Ils survalorisent les aspects les plus provocants, les plus détestables afin d’initier une rupture de fait entre une fraction de l’immigration musulmane et le reste de la société française. Une des pierres angulaires de la propagande islamiste consiste à affirmer que les musulmans n’ont pas d’avenir en France, que leur place est en Algérie. On constate malheureusement que de tels propos rencontrent d’autant plus d’échos que la montée de l’extrême droite et les politiques menées par les gouvernements de droite renforcent les exclusions à l’encontre des personnes d’origine maghrébine. Les mesures sécuritaires, les contrôles au faciès alourdissent encore un peu plus ce climat. La peur est savamment entretenues par les poseurs de bombe. Elle est utilisée par les tenants du Front national. Elle sert de justification aux mesures policières, discriminatoires prises par le trio Chirac, Juppé, Debré qui trouvent là un dérivatif pour occulter les échecs de leur politique.

Le relatif sang froid jusqu’ici manifesté par l’opinion publique pourrait être entamé. L’aggravation des tensions entre communautés n’est pas à exclure. Pour désamorcer la poudrière il est plus que jamais nécessaire de se faire les porte-parole de la voie de l’intégration, c’est-à-dire de la lutte contre le racisme et du combat contre les valeurs développées par les intégristes et leurs frères jumeaux représentés ici par l’extrême droite. Stopper l’engrenage, c’est à la fois arrêter les criminels, mais aussi faire reculer les zélateurs du tout sécuritaire. Traiter les causes du malaise actuel, c’est s’attaquer aux mille et un obstacles dressés contre l’intégration : le chômage, la déshérence des banlieues, la crise culturelle.

Les choix politiques de l’équipe au pouvoir ne permettent pas d’en prendre le chemin. C’est donc à la société civile, aux organisations démocratiques, aux syndicats, aux associations de montrer la voie. L’avenir ne peut pas se construire en dressant les communautés les unes contre les autres. Les déploiements policiers excessifs, surtout s’ils sont durablement inefficaces, ne peuvent que jeter le trouble, miner la cohésion sociale et faire finalement le lit de nos propres extrémistes.

R. Gené

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