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Algérie : Lutte contre les « fléaux sociaux ». Le vrai fléau, c’est la bourgeoisie !

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 34, 15 septembre-15 octobre 1979, p. 3-4

Groupe d’enfants dans une rue de la casbah d’Alger, en avril 1979, Algérie. (Photo by Michel HUET/Gamma-Rapho via Getty Images)

Début septembre, était déclenchée à Alger une vaste campagne pour lutter contre la délinquance et la malpropreté dans la ville. Cette campagne devait s’étendre aux villes d’Oran, de Constantine, etc., les jours suivant.

De même, la presse gouvernementale annonçait que les « bureaucrates corrompus » et le népotisme allaient être sévèrement combattus dans tout le pays. Bref, ce devait être un vaste coup de balai.

Pendant plus d’une semaine, on a vu un renforcement considérable des patrouilles dans les rues. La jeunesse inactive, des centaines de chômeurs se sont ainsi vus traqués, coursés et raflés par les flics, tabassés et arrêtés en grand nombre. Les premiers jours, ce furent près de 700 « vagabonds » qui furent mis en état d’arrestation. A ce rythme-là, toute la ville risquait d’y passer rapidement…

Les policiers, en uniforme bleu, avec leurs chiens, se sont postés à tous les carrefours, ont « remis de l’ordre » dans les files aux arrêts d’autobus, à coups de matraque bien souvent, et en ont profité pour arrêter tous ceux qui leur semblaient suspects. Ils étaient en effet couverts par des « tribunaux de flagrants délits » qui ont condamné à tour de bras pendant cette période, et dans l’arbitraire le plus complet.

De même, des opérations démagogiques ponctuelles ont eu lieu, comme d’appeler la population à laver les rues d’Alger à grande eau, de condamner les « délits de décharge publique », etc… Le gouvernement enfin, est allé jusque dans ses propres rangs, à grand renfort de publicité, rechercher ceux qui se livrent au « trafic d’influence », à la corruption, etc.

Alors, pourquoi cette soudaine campagne d’ « assainissement » ?

Il est sûr que les rues d’Alger ne sont pas toujours sûres la nuit. Ceci dit, la délinquance est le produit même de la société capitaliste en Algérie, et la conséquence inévitable de la misère et du chômage endémiques qui y règnent, ainsi que du manque dramatique de logements.

Il est donc bien évident que le gouvernement ne croyait pas liquider ce problème en quelques jours à coups de matraques ! Cette opération en fait a des raisons totalement différentes, dont trois principales :

– C’est d’abord une importante action démagogique, destinée à rénover l’image de marque du régime. Le gouvernement Chadli veut en effet donner l’impression qu’il est capable de balayer dans sa propre maison, ainsi qu’à l’extérieur, et qu’il est encore un régime fort.

– Ensuite, cette vague de répression est destinée à prévenir toute envie des travailleurs de faire des grèves ou des manifestations inopinées, à faire trinquer tous ceux qui parmi les classes laborieuses n’arrivent à vivre que par le vol, et à faire passer l’envie aux milliers de chômeurs de se révolter.

Car ne nous y trompons pas : dans ce genre d’opérations « coups de poing », ce ne sont jamais les gros bonnets, les spéculateurs professionnels ou les chefs du « milieu » qui pâtissent, mais bien plutôt les gens miséreux qui sont tenus de monter toutes sortes d’affaires, du chapardage au marché noir, pour survivre.

– Enfin, cette campagne d’ « assainissement » et de répression vise surtout à asseoir le régime Chadli et à lui donner l’occasion propice de renforcer considérablement ses forces répressives. Ce n’est pas pour rien que toute la presse, la télévision et la radio ont été à ce point mobilisées pour sensibiliser et convaincre les masses laborieuses de la nécessité pour l’Etat de consolider son arsenal répressif. La délinquance, créée et entretenue par la bourgeoisie et sa politique, lui sert ainsi d’alibi pour multiplier ses flics, donner plus de pouvoir à sa justice de classe, et renforcer son fichier central informatisé destiné à contrôler et mettre en carte tous ceux qui ne sont pas dans le rang.

Par ailleurs, pour ce qui est de la lutte anti-bureaucratisme, contre les pots-de-vin, les passe-droits, et les mœurs diverses des bureaucrates, il faut dire tout d’abord que ce langage ne nous est pas inconnu, et nous rappelle la démagogie à peu de frais dont se payait déjà le gouvernement Boumédiène.

Ce qui est nouveau, c’est la virulence et le ton employés par le régime Chadli. Cependant, la bureaucratie, les privilèges et les abus des membres de la classe dominante sont les bases mêmes du capitalisme en Algérie. Il est donc sûr que ce n’est pas non plus la propagande conjoncturelle qui arrangera quoi que ce soit à la réalité actuelle.

Par contre, on peut penser que cette poussée de démagogie pourrait servir au gouvernement en place à une remise en ordre dans ses propres rangs, à l’élimination de certains bureaucrates trop compromis par leurs exactions, et même à la mise en place dans certains secteurs d’hommes directement liés à la fraction au pouvoir. Les prochaines élections des APC pourraient aussi ne pas être étrangères à la soudaineté et à l’étendue de cette opération d’ « assainissement ».

Quoi qu’il en soit, il s’agit encore pour les travailleurs d’une tentative pour la bourgeoisie d’accroître et de consolider son pouvoir sur les classes exploitées.

C’est pourquoi il ne faut pas tomber dans le panneau de la lutte soi-disant menée contre les « fléaux sociaux ».

Le seul « fléau social » qui nous intéresse aujourd’hui, nous travailleurs, c’est l’extension du pouvoir des flics et de la justice bourgeoise : c’est à cela qu’il faut réagir !

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