Article paru dans Tribune ouvrière, n° 6, novembre 1954, p. 1-2
Dans le numéro 5 de « Tribune ouvrière », un camarade a posé la revendication du droit à la retraite à 55 ans pour les ouvriers comme pour les fonctionnaires. Le camarade conclut son article en écrivant :
« Nous estimons que la société a la possibilité d’offrir à ceux qui suent et surtout à ceux qui produisent, le repos à 55 ans. »
Si l’on considère la société actuelle, c’est-à-dire la société gérée par les capitalistes, c’est-à-dire la société basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, cette société là n’a pas la possibilité de permettre à L’ENSEMBLE des travailleurs de vivre en dehors de la production après un certain nombre d’années de travail. Le rôle de cette société exploiteuse n’est pas de satisfaire les besoins de l’ensemble de la population laborieuse, mais de satisfaire les besoins du profit des classes dirigeantes.
La retraite des vieux à 65 ans, dont le taux dérisoire ne permet même pas un entretien misérable des travailleurs que l’âge a arraché à la production, n’est pas prélevée sur les profits des capitalistes. Ce sont les travailleurs qui continuent à produire qui doivent payer à leurs aînés, par l’intermédiaire de la « Sécurité Sociale », le morceau de pain qu’on lance aux vieux à 65 ans. Car même la part versée par les patrons à la sécurité sociale est prélevée sur la masse des salaires et non sur la masse des profits.
Quand les patrons sont contraints sous la pression ouvrière d’accorder de meilleurs salaires, ils s’arrangent toujours pour reprendre rapidement ce qu’ils ont dû céder. De même s’ils devaient à la suite d’un important mouvement revendicatif rapprocher l’âge de retraite, ils ne manqueraient pas de faire supporter les frais de cette concession à ceux qui continuent à produire. Lutter pour l’avancement de l’âge de la retraite c’est, ainsi que nous le disions dans notre N° 3, à propos des conventions collectives, « lutter pour un adoucissement de notre condition d’exploité mais aussi admettre cette condition ».
Que les travailleurs soient obligés à certains moments de lutter pour des revendications économiques afin de freiner leur exploitation, cela est indiscutable. Mais cela ne doit pas leur faire perdre de vue qu’ils doivent viser beaucoup plus haut. Tant qu’ils n’auront pas su arracher le pouvoir politique aux classes exploiteuses, tant qu’ils reconnaîtront à ces classes le droit de diriger la société – et c’est leur reconnaitre ce droit que de leur demander d’améliorer leur sort – toutes les conquêtes qu’ils pourront arracher leur seront reprises d’une façon ou d’une autre.
La technique moderne devrait permettre un accroissement considérable du niveau de vie des masses travailleuses. Mais dans la société d’exploitation, il n’en est rien. Si le travail discipliné, rationalisé par la technique produit des merveilles, il dépouille le travailleur de toute sa personnalité, de toute sa dignité. Il le transforme en robot humain, il en fait une machine.
L’homme peut-il échapper au travail rationalisé, qui abrutit et détruit toute liberté ? Évidemment non. L’élévation du standing de vie, exige une production toujours croissante, le progrès, exige une spécialisation toujours plus poussée.
Mais si le travail spécialisé et rationalisé détruit la personnalité, la dignité et la liberté du travailleur, il crée des richesses immenses, qui peuvent devenir le moyen de développer cette personnalité, cette dignité et cette liberté. Dans la société actuelle, une minorité infime de privilégiés peut jouir des richesses produites, la grosse majorité est liée au travail et enchaînée aux machines. Et cela tandis qu’une couche intermédiaire tire sa subsistance en dirigeant ou en contrôlant le travail de la majorité, pour le maintien des privilèges de la petite minorité.
La retraite à 55 ans ne peut que consacrer la situation actuelle en maintenant le pouvoir des classes exploiteuses. Les travailleurs ne peuvent accepter d’être des robots 30 ou 40 ans de leur vie, et finir avec une petite retraite, mais abrutis par le travail, vidés, incapables de penser et de jouir du produit de leurs efforts.
Ils doivent lutter pour la diminution de leur temps de travail, afin de pouvoir jouir des richesses qu’ils produisent et avoir suffisamment de temps à consacrer à leurs loisirs, à des travaux scientifiques ou artistiques afin de se désintoxiquer de l’abrutissement du travail rationalisé, mais aussi à leurs tâches politiques de gestion de la société. En fin de compte, ce n’est que lorsqu’ils seront capables de ravir le pouvoir politique à une minorité d’exploiteurs pour gérer eux-mêmes, collectivement, la société qu’ils pourront vivre en hommes libres en mettant les machines et la technique au service de tous. Esclaves du travail et dépouillés des richesses produites pendant toute leur vie, les travailleurs ne peuvent espérer finir en hommes libres à 55 ans.
C’est en détruisant l’exploitation de l’homme par l’homme, qu’ils construiront une société où chacun travaillera selon ses moyens et vivra selon ses besoins.
Leur but ne doit pas être d’exiger une retraite de leurs maîtres, en récompense de leur vie d’esclaves. Leur but, est de s’émanciper de la tutelle de leurs exploiteurs pour devenir des hommes conscients et libres.