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La retraite

Article paru dans Tribune ouvrière, n° 20, février 1956, p. 1-2

Chaîne de montage de l’usine ‘Renault’ de Boulogne-Billancourt, en 1956. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)

Fin Janvier, chaque membre du personnel de la Régie Renault a reçu à domicile, une lettre l’informant que prochainement serait institué un système de retraite pour tous.

Ceux qui sont déjà d’un âge avancé ont accueilli cette nouvelle avec beaucoup de sympathie, ceux qui sont plus jeunes l’ont accueillie avec beaucoup plus d’indifférence : « où serons-nous dans 25 ou 30 ans ? »

Faut-il être pour ou contre la retraite ?

Dans notre numéro de novembre 1954 nous nous sommes déjà expliqué partiellement sur ce problème. Pour les patrons la retraite signifie la mise au rencart des ouvriers qui pendant plus d’un demi-siècle ont peiné pour gonfler leurs profits, et cette mise au rencart, les patrons entendent en faire supporters les frais à ceux des travailleurs qui sont encore en activité.

Quand les travailleurs auront réussi à se débarrasser de l’exploitation capitaliste, le problème de la retraite ne se posera plus. Car alors chacun, quel que que soit son âge, travaillera selon ses forces pour une société qui répartira équitablement le fruit du travail de tous.

Débarrassé de l’exploitation de l’homme par l’homme, des contradictions et du gaspillage que cette exploitation entraîne, le travail de l’homme sera considérablement réduit. A l’exception des malades, les hommes n’aspireront pas à se mettre à la retraite car le travail réduit au minimum dans les meilleures conditions, grâce à la science et à la technique, ne sera plus une contrainte et un esclavage mais sera devenu une activité normale et nécessaire.

En principe nous sommes contre la retraite comme nous sommes contre le salariat.

Le salaire est la part que, dans une société divisée en classes, les exploiteurs sont contraints d’accorder aux exploités pour maintenir leur système d’exploitation.

La retraite, au même titre que la Sécurité Sociale, les Allocations Familiales, les œuvres sociales, c’est du salaire différé pour reprendre un terme des sociologues modernes. Expliquons-nous.

Quand le capitalisme était encore au stade de la libre concurrence, l’employeur achetait la force de travail d’un prolétaire moyennant un salaire. Sitôt qu’il n’avait plus besoin du travail du prolétaire, le patron le remerciait sans se soucier de ce qu’il deviendrait. Comme le capitalisme était en pleine évolution, le travailleur débauché d’une entreprise se réembauchait dans une autre. Il y avait la misère pour ceux qui restaient trop longtemps en chômage mais il y avait aussi pour ceux qui avaient la chance de garder leur emploi, la possibilité de faire quelques économies pour leurs vieux jours. Cette dernière catégorie était évidemment une minorité mais leur exemple dans le cadre d’une situation de relative stabilité économique suffisait à maintenir un certain équilibre.

Depuis, deux facteurs importants sont venus modifier cette situation :

D’une part, l’évolution du capitalisme vers le monopole du capital financier a mis fin à la stabilité économique. Ceux qui avaient eu la chance de faire quelques économies les ont vu disparaître ; l’inflation, la dévaluation, le chômage, la guerre ont tour à tour fait retourner dans les caisses des « gros » les économies des « petits ».

D’autre part, le manque de sécurité des travailleurs dû aux crises du système d’exploitation capitaliste les a obligés à entrer en lutte de plus en plus vigoureusement jusqu’à menacer périodiquement les bases même ce régime. Pour éviter que des heurts trop violents aboutissent au renversement de sa domination de classe, le capitalisme a cherché les moyens d’amortir les chocs. Comme il voulait évidemment éviter le plus possible de prendre sur ses profits les moyens de rendre moins violents les heurts sociaux dus à l’anarchie de son exploitation, il a cherché à trouver ces moyens sur la part qu’il est obligé d’accorder aux travailleurs sous forme de salaires.

C’est ainsi qu’est née la notion de salaire différé. Le salaire différé consiste à retenir sur la masse des salaires une part qui sera répartie par la suite en cas de coup dur.

En France, nous avons eu les assurances sociales, puis la Sécurité Sociale, les fonds de chômage et maintenant le principe de la retraite.

La retraite n’est pas un cadeau du patron, pas plus que les primes périodiques. C’est une part de notre salaire. Et comme chaque partie de notre salaire, elle est fonction de notre lutte.

Si aujourd’hui, une commission paritaire (direction et syndicats sauf CGT) nous propose un système de retraite cela fait partie des « accords de Septembre », et ces accords souvenons-nous qu’ils n’ont pas été un cadeau des philanthropes mais le résultat d’une lutte ouvrière importante qui s’est déroulée en France, de Juin à Septembre. Nous avons déjà dit que les « accords de Septembre » intervenus à la Régie Renault avaient été pour la bourgeoisie française l’ouverture d’une soupape de sûreté. La crainte de voir Renault et la Métallurgie venir renforcer un mouvement qui risquait d’être grave de conséquence pour la Bourgeoisie française, a amené la Direction à stopper toute tentative de lutte par quelques concessions en donnant aux ouvriers l’impression qu’il était plus rentable de discuter que de lutter. Pour l’immédiat cela peut paraître justifié mais pour la suite cela ne résout rien. Les réformes sont un sous-produit de la lutte de classes. Les augmentations de salaires, l’augmentation du nombre de jours de congé, la retraite, ne nous amèneront pas progressivement à l’émancipation totale de la classe ouvrière comme voudraient nous le faire croire les syndicats. Car toutes ces réformes sont basées sur une stabilité du régime capitaliste. Or cette stabilité, nous le savons, est impossible. En cas de chômage par exemple, l’ouvrier cesse de cotiser et sa retraite est bien compromise, en cas de guerre, l’âge de la retraite est reculée car on a besoin de toutes les énergies « pour faire face à l’ennemi » ; les cheminots, les postiers en savent quelque chose. Mais même lorsqu’ils sont obligés de lâcher quelque chose les patrons ne le font pas de gaité de cœur et ne manquent pas au travers de leurs concessions, d’attaquer les ouvriers.

C’est ainsi que le système de retraite sera soumis à un référendum et la circulaire indique avec un cynisme où perce la rage : « si le personnel refuse le système qui est proposé il n’y aura pas de retraite« . Pas question pour les ouvriers qui vont cotiser, d’exprimer leur point de vue. C’est à prendre ou à laisser. Vous voulez une sécurité pour vos vieux jours ? soit. Mais puisque nous ne pouvons pas y échapper vous l’aurez comme nous le désirons. Voilà le langage des patrons auquel du reste des gens qui prétendent défendre les intérêts des ouvriers osent s’associer.

Bien sûr, il y a au travers de ce référendum une attaque directe contre la CGT qui ne faisant pas partie de le commission paritaire n’aura pas du moins pour l’instant, de fonctionnaire dans le nouvel organisme.

Mais il y a surtout une attaque contre les ouvriers : vous nous avez contraints, par la menace de votre action, à vous faire des concessions, et bien vous nous nommerez gérants de votre nouvelle conquête.

A ceux à qui le patronat a imposé plus d’un demi-siècle d’exploitation et les souffrances de deux guerres, la retraite apporte l’assurance d’une petite sécurité.

C’est pourquoi les travailleurs de chez Renault voteront pour la Retraite.

Mais si nous votons pour la retraite c’est par solidarité de classe pour ceux qui ont travaillé toute leur vie, mais non pas pour approuver le programme de la direction qui « donne » une retraite à « ses » ouvriers avec notre argent.

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