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Henri Colliard : Sectarisme et intransigeance

Article d’Henri Colliard paru dans Lyon républicain, 1er avril 1936, p. 5

Lyon, place de Paris (source : Le Progrès)

L’attitude des Jeunesses socialistes révolutionnaires détermine des réactions fort diverses. Mais il en est une qui nous impose une mise au point. Il existe en effet des jeunes, et la présente page est émaillée d’exemples de ce genre, qui du plus haut sommet de l’intellectualisme, sceptique et, dilettante nous reprochent je ne sais trop quel sectarisme terre a terre. Pour nous l’action révolutionnaire est une action ingrate, tissée de menus faits dont tous sont animés par une idée semblable ; c’est une longue patience vers l’acquisition d’arrache-pied du but immense de l’émancipation des hommes, et non pas une simple dissertation dans le vide destinée à n’être jamais suivie d’effets concrets. Pour nos amis, au contraire, l’action consiste en fait à contempler la lutte du sommet de l’arène, en menant grand tapage, en jetant des fleurs et en s’écriant de temps en temps : « Bravo toro ! » Ceux qui se croient les plus sportifs sont souvent ceux qui, spectateurs habituels des compétitions n’ont en fait jamais pratiqué le sport.

Nous sommes des sectaires ? Allons camarades, cette accusation de sectarisme qui bien souvent est l’argument des paresseux et des hésitants, est-elle exacte ou ne résulterait-elle pas plutôt d’un manque de discernement entre les deux notions d’intransigeance et de sectarisme ? Pour trancher la question, étudions les deux notions.

Qu’est-ce que l’intransigeance ? C’est l’attitude de ceux qui refusent de composer avec des principes qu’ils ont déduits de la réalité objective. La distinction entre la réalité objective et la réalité subjective est le premier postulat pour la détermination des principes généraux d’action. Les déterminer d’après une appréciation de la réalité subjective signifie en fait baser toute une attitude sur la mentalité temporaire des masses. On dira : « Les masses pensent ainsi, agissons selon leurs goûts et leurs désirs ». On cachera à leurs yeux tout ce qui pourrait leur déplaire et surtout les vérités que l’on ne juge pas bonnes à dire. La peur de se couper des masses est l’argument des centristes, oscillant sans cesse entre le réformisme pur et le marxisme-révolutionnaire. C’est là une méthode collaborationniste à outrance, que nous réprouvons formellement, qui consiste à s’abaisser à des mentalités fuyantes et passagères et dont l’effet certain est l’impossibilité totale pour les masses d’évoluer vers une position plus ferme.

Tout opposée an contraire est l’attitude de l’intransigeance politique. Un marxiste détermine la ligne politique juste grâce à une appréciation de la réalité objective. Il prend en considération le stade historique d’une situation considérée clans ses éléments constitutifs. C’est une saine interprétation du matérialisme historique, qui consiste à baser une politique en l’adaptant non pas à une superstructure sociale changeante et fluide, mais à l’infrastructure économique et sociale. Est donc intransigeant celui qui établit ses principes d’après une étude des faits et de l’expérience et s’y tient contre vents et marées. Il voit la vie comme un théâtre de lutte et sa connaissance exacte du rapport des forces du moment lui donne un élément de prévision.

Il pourra, en effet, en comprenant le sens de l’évolution des faits, prévoir dans une certaine mesure les réactions futures des masses. Son avance sur les événements lui permettra de faire évoluer la masse en l’affermissant sur sa position. Sa compréhension du processus historique lui permettra d’attendre son heure en s’imposant à la longue, son intransigeance d’un jour étant la garantie de son influence du lendemain.

A la notion d’intransigeance s’oppose celle du sectarisme. Nous pouvons le définir comme étant l’attitude de ceux qui refusent de composer avec des principes tirés d’idées préétablies et non plus tirées de la réalité subjective ou objective. On construit un système d’idées de toutes pièces en dehors d’une saine appréciation des faits. Une forme de sectarisme sera un détachement des luttes sociales, c’est-à-dire une rupture avec la vie elle-même. Ceux qui nous reprochent notre sectarisme sont des sectaires qui s’ignorent. Julien Benda, homme dont je réprouve au plus haut point les idées orgueilleuses et néfastes, est leur porte-parole. Une autre forme de sectarisme, celle-là dans le domaine politique à proprement parler, nous est démontrée par l’exemple de la troisième période d’erreurs de l’Internationale communiste, lorsque, sans apprécier sainement les faits. mais en raisonnant par postulats préétablis, elle confondait dans ses accusations les chefs sociaux-démocrates avec les chefs fascistes, et préconisait le front unique à la base contre les chefs. Une telle position ne devait pas résister à l’épreuve des faits, et l’effondrement actuel s’ensuivit. Autrement dit, rien n’est plus prés de l’esprit de collaboration et d’abdication que le sectarisme lui-même, alors qu’une doctrine d’intransigeance, forgée à l’épreuve des faits, tient tête aux tempêtes des événements et prépare l’avenir.

Nos camarades doivent comprendre que leur attitude ne peut donner aucun résultat concret. Notre époque est grande par le dilemme qui se pose aux hommes de conscience : l’effondrement de la civilisation dans le massacre de la guerre, ou son élévation à un stade supérieur par la révolution. Celui qui se réfugie dans une tour d’ivoire commet un véritable crime contre l’humanité tout entière. Nous les appelons à nous rejoindre et à comprendre que notre intransigeance n’est que l’élémentaire dignité de ceux qui refusent d’abdiquer. Le drapeau rouge de notre internationalisme révolutionnaire sera dans l’immense tourmente qui approche le drapeau de ralliement des bonnes volontés dressées contre l’assassinat et l’exploitation des masses pour les patries et l’ordre des coffres-forts. La tâche à laquelle nous vous appelons est immense et simple ; il s’agit du sort d’une génération et de l’affranchissement de l’humanité. Si vous comprenez votre rôle et votre devoir, vous poursuivrez avec nous l’action ingrate du pionnier et du lutteur, et si nous devons succomber, ce sera au moins avec la satisfaction ardente d’avoir, au milieu du troupeau des humains, donné un but à notre vie.

H. COLLIARD.

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