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Pierre Paraf : Un testament espagnol

Article de Pierre Paraf paru dans La République, 17 mai 1939, p. 2

L’AUTEUR de ce livre, Arthur Koestler, était correspondant du News Chronicle de Londres.

Journaliste et libéral, il se rendit dès le début de la guerre civile dans les deux camps espagnols. Il y apportait cette curiosité, cette fraîcheur, cette aptitude à capter le document humain qui sont en notre profession vertus essentielles. Il y apportait aussi la révolte du gentleman qui, sans se soucier des étiquettes politiques, n’a jamais admis qu’il soit forfait à l’honneur.

Arrêté et condamné à mort par les nationalistes après la prise de Malaga, pendant près de quatre mois il attendit son exécution, observant comment on fusillait ses compagnons de captivité.

« Ce livre commence donc en reportage, mais finit tout autrement. On fourrait l’appeler « variations sur la mort » ou plutôt sur la peur de mourir. »

Arthur Koestler donne, dans une brève introduction de son Testament espagnol (1), les deux raisons irréfutables de sa publication :

D’abord ce qui se passe dans la tête d’un homme condamné à mort présente un certain intérêt psychologique. Ensuite,

« l’expérience démontre que toute guerre se compose de dix pour cent seulement d’action et de quatre-vingt-dix pour cent de souffrance passive. C’est pourquoi ces notes émanant d’une muette maison des morts d’Andalousie reflètent peut-être plus fidèlement l’image de la guerre que les dépêches du front ».


La tragédie espagnole n’appartient pas encore au passé. Les plaies qu’elle a faites saignent toujours. Pourtant, dans le grand drame européen qui continue de se jouer, d’autres épisodes lui succèdent et l’on peut parler, écrire d’elle avec une liberté plus grande sans craindre d’affaiblir des soldats dont désormais le sort est momentanément réglé.

Les notes de M. Arthur Koestler ne dissimulent point, malgré sa sympathie pour la cause républicaine, tout ce qu’il y eut dans ses rangs d’improvisation, de fantaisie s’alliant mal avec les nécessités d’une guerre moderne, où l’enthousiasme ne suffit pas, ni le romantisme de rue.

« Des miliciens s’étaient refusés à rapporter des bêches au front pour creuser des tranchées. Ils avaient répondu avec leur double orgueil de Catalans et d’anarchistes : « Nous partons pour combattre et mourir et non pour travailler. »

L’auteur nous fait vivre, après la chute de Malaga, son arrestation par les troupes du général Queipo de Llano, sa condamnation à mort par la cour martiale, toutes les phases de ce dialogue avec la mort qui va se poursuivre pendant cent deux nuits, dans la faim, la soif, la saleté, alors que sa petite provision de papier s’épuise, que les nerfs se brisent, que l’on entend toute la musique des exécutions, le tintement aigu de la clochette du prêtre, les appels au secours, les « madre ! »…

L’énergique pression de l’Angleterre parvint à sauver le condamné.

Sorti de la « main des morts », il en a, de manière saisissante, décrit la terrible empreinte qui marque peu à peu ses captifs.

« On lutte pour une cigarette, pour la permission d’aller se promener dans la cour, de posséder un crayon… Le prisonnier sent pousser ses griffes… Ses lèvres deviennent plus étroites, son nez plus pointu. »

Et Arthur Koestler, derrière la prison de Séville, dresse la silhouette de la mort, de cette mort qu’il s’est toujours représentée sous des traits espagnols et dont les prêtres agitaient la clochette, comme des maîtres de cérémonies, des meneurs d’une danse macabre dont ils étaient eux aussi bien souvent les victimes et qui bénéficia des plus puissantes complicités et des plus hautes bénédictions.

Pierre Paraf.


(1) Albin Michel.

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