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Pologne : vive la révolte ouvrière

Article paru dans Front libertaire des luttes de classes, n° 5, février 1971, p. 4

Une nouvelle fois l’apparence vient d’être renversée : le dernier bastion de la « stabilité » policière dite socialiste s’est écroulé, sous les coups de boutoir du prolétariat polonais.

Gomulka est allé rejoindre Khrouchtchev, Dubcek, Rakosi, Gero et consorts dans les geôles « socialistes » déguisées en maisons de repos.

Mais les poubelles ne sont pas encore pleines… Témoin Ulbricht que les évènements de Berlin-Est en 1953 ont épargné, témoin aussi les staliniens français du P.C.F. qui s’acharnent à ne voir dans les événements récents de Pologne qu’un incident de parcours, témoin enfin l’analyse trotskyste qui continue d’interpréter la pratique stalinienne uniquement comme une déviation momentanée d’une couche de bureaucrates usurpateurs : SE CONDAMNANT AINSI A NE PAS CONSTATER LA RÉALITÉ DE LA LUTTE DE CLASSES dans les pays dits « socialistes ».

La dénonciation partielle et hésitante du phénomène bureaucratique. considéré par le trotskysme comme Inéluctable (cf. Brochure de ROUGE). empêche de voir clairement la montée sur deux fronts apparemment distincts de la lutte de classes en Pologne : le Front Ouvrier et le Front Étudiant.

Il ne faut pas en effet oublier que les récents événements de Pologne. étaient déjà inscrits dans les luttes du prolétariat polonais qui se sont déroulées depuis 1956.

Si le remaniement brutal et général des prix, en entraînant jusqu’à 30 % de hausse des prix des produits alimentaires, a donné lieu à la réplique ouvrière que l’on connaît, rappelons-nous que la révolte ouvrière de Poznan à la suite d’une réduction de salaires en 1956 n’avait pas une origine très différente sur le fond : les ouvriers s’insurgeaient contre l’exploitation du capitalisme bureaucratique d’État.

Que cette révolte dans le même temps se soit accompagnée d’un soutien aux révolutionnaires Hongrois, n’a pu qu’aider l’entreprise de récupération dirigée par Gomulka et autres crapules staliniennes, qui ont « CRU » voir dans ce qui n’était que l’expression de l’internationalisme prolétarien, une renaissance du nationalisme, et ce afin de s’emparer du Pouvoir.

La logique de l’histoire les conduisit ultérieurement à intervenir militairement aux côtés des Russes pour écraser les Tchécoslovaques.

Entre temps s’ouvrait un nouveau Front de Lutte contre lequel la logique policière du régime allait s’acharner : celui des intellectuels et des étudiants en octobre 1967.

La petite guerre entamée, dès octobre 1967 par Gomulka contre l’intelligentsia, lors de l’interdiction de la revue Pro-Prostu, qui ne constituait qu’une timide critique du stalinisme, prit des proportions d’émeutes en 1968 avec l’entrée en lutte des étudiants de Varsovie.

L’opportuniste Gomulka n’hésita pas à se hisser au pouvoir grâce au sang des ouvriers de Poznan, qu’il avait pu qualifier de provocateurs.

Les prétentions Gomulkistes à résoudre les difficultés économiques, qui l’amenèrent au pouvoir, ne se voyant pas confirmées dans les faits. l’ont contraint à se retirer.

Cette incapacité était déjà sensible lorsque des grèves se répandirent à Lódz en 1957, puis, dans l’ensemble de la classe ouvrière polonaise quand les normes de travail furent relevées. Ce désastre économique se termina par les stupides décisions du 5e Plénum du Comité Central en Mai 70 qui institua un nouveau système de stimulants économiques dans les entreprises faisant dépendre l’accroissement des salaires des résultats du travail de l’entreprise, ainsi que le retour à la vérité des prix, la réduction des subventions économiques et autres mesures nécessaires à l’assainissement de l’économie, entraînant fatalement des décisions impopulaires, telles que hausse de prix ou de normes dé production.

Si le désastre économique participe amplement aux motivations de la révolte ouvrière polonaise, les motivations politiques n’en étaient sûrement pas absentes et d’abord le revirement Gomulkiste qui conduit Varsovie dès 1958 à s’aligner idéologiquement sur Moscou.

Ce qui conduit les bureaucrates à limiter les conseils ouvriers, à déclarer incompatibles les grèves et la légalité socialiste, et à appuyer l’intervention soviétique en Hongrie. La nouvelle critique s’affichait au grand jour et notamment dans un document intitulé : « A la recherche du nouveau programme » qui énonçait :

« Le mouvement de jeunesse n’est pas dirigé contre la Pologne populaire, il la défend… l’objectif principal de notre action, celui qui donne son sens et sa valeur à notre lutte, c’est la libération totale et réelle de l’homme. l’abolition de toutes les formes de l’esclavage humain, politique, économique et culturel… Nous luttons pour un socialisme dans les faits ».

Voilà qui en dit long sur les capacités révolutionnaires qui agiteront bientôt la Pologne.

Mais en Pologne plus encore qu’en Hongrie et en Tchécoslovaquie, si la révolte ouvrière donne à la classe avec une conscience nouvelle de sa force en lui enseignant que la violence chasse aussi les bureaucrates du Pouvoir, le passé du Gomulkisme nous apprend que les « révoltes » bureaucratiques nationales ne dépassent pas le remplacement d’un bureaucrate par un autre : Gierek est un autre Gomuika. Ils ne sont que les reflets d’une lutte interne entre bureaucrates. En Pologne, comme en Tchécoslovaquie, les technocrates s’opposent aux bureaucrates. Gierek comme Gomulka en son temps, prétend lui aussi tirer l’économie du marasme en modernisant l’industrie et en accroissant le rendement. Lui aussi nuance sa critique sur l’antidémocratisme du régime Gomulka. Ce qui ne l’a pas empêché de condamner sévèrement la révolte étudiante de 68 et de traiter de Hooligans les ouvriers émeutiers.

De fait, la clique Gierek, Moczar, préparait son accession au pouvoir de longue date : les « partisans » travaillaient dans l’ombre depuis 1964. Gageons que la néo-bureaucratie fraîchement débarquée au pouvoir fera tout pour contenir dans un cadre étroit de réformes bureaucratiques le mouvement de colère des ouvriers polonais : Gomulka avant Gierek et Novotny avant Dubcek l’ont amplement démontré. Et cela les travailleurs polonais semblent l’avoir assimilé. Ils l’ont prouvé pratiquement en attaquant les bureaux à la fois du Parti et de la Police. La liaison critique de la coercition politico-policière s’est inscrite dans les faits. On ne transforme pas une société en changeant d’appareil.

Si le stalinisme quotidien a repris ses droits en Pologne, la société de classes polonaise en engendrant ses contradictions verra éclore d’autres révoltes.

N’oublions pas que les rapports de production capitaliste, l’économie marchande, n’ont pas été supprimés et il s’en faut de beaucoup (l’agriculture et l’artisanat sont pour l’essentiel aux mains d’exploitants privés) et le retour toujours plus grand du libéralisme laisse prévoir de nouvelles luttes des salariés contre le salariat.

La réponse des ouvriers de Gandsk se mettant en grève pour protester contre les condamnations de leurs camarades en est un signe. Le capital de la bourgeoisie privée occidentale et le capital d’État des bureaucrates de l’Est se désignent communément comme une seule et même cible, les révolutionnaires n’ont qu’à bien viser. Il leur reste aujourd’hui à s’organiser et à organiser le combat localement et internationalement. C’est peut-être ce qui manque le plus aux révolutionnaires polonais.

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