Articles de Louis Mercier parus dans La Révolution prolétarienne, 25e année, n° 412, nouvelle série n° 111, décembre 1956, p. 1-5
Quand le pouvoir totalitaire éclate, l’appareil d’État s’effondre d’un coup. L’illusion de la toute-puissance politique se dissipe et les forces populaires réelles se manifestent au grand jour. Le régime que l’on disait soutenu et plébiscité à chaque élection par la quasi unanimité des citoyens se retrouve sans base aucune. Le parti unique, censé représenter l’ensemble des populations laborieuses, s’écroule en quelques heures. La police « du peuple », perdant toute autorité, est immédiatement pourchassée, traquée et massacrée par ceux qu’elle prétendait défendre.
Ce phénomène, inexplicable et incroyable pour ceux qui sont victimes des propagandes dictatoriales, ne fait que refléter l’exacte situation sociale et exprimer le véritable sentiment des travailleurs, intellectuels, ouvriers et paysans.
La presse dirigée disait que le parti communiste hongrois représentait la classe ouvrière. La radio censurée affirmait que le bonheur s’organisait. Les dirigeants gouvernementaux allaient répétant que le pays marchait vers le socialisme. Et les propagandistes de l’appareil de parti ou d’État clamaient l’enthousiasme général. Quant aux compères ou aux intoxiqués des partis « frères », parmi lesquels tant d’intellectuels dont le cerveau fonctionne sans liaison avec les yeux, ils chantaient les louanges d’une démocratie populaire qui suivait les traces de l’Union soviétique, en pleine communion d’âme avec ses précurseurs, amis et protecteurs.
L’énorme mensonge a été crevé par un peuple unanime à rejeter, à vomir une dictature imposée par la force et la terreur.
Pendant huit jours, la révolution hongroise s’est librement exprimée. Bien que battus sur le plan militaire, les organismes ouvriers nés au feu du combat poursuivent leur lutte et sont devenus les seuls « interlocuteurs valables » face au fantôme Kadar et à la réalité de l’Armée rouge. Ce sont eux qui ont droit à la parole.
Naissance des Conseils
Dès le 28 octobre 1956, le président du Conseil, Imre Nagy, reconnaît l’existence d’un pouvoir émanant directement du peuple : « … le gouvernement adopte les nouvelles formes démocratiques qui ont surgi de l’initiative du peuple, et s’efforcera de les incorporer dans l’administration d’État ». (Discours à la radio de Budapest, le 28 octobre 1956, à 17 h. 24.)
Que signifie cette déclaration ? Simplement que le pouvoir central n’a plus d’autorité et que spontanément, les usines, les services, les administrations, les villages, les régions ont créé leurs propres organisations.
De fait, les manifestes et les proclamations émanant de divers points du pays montrent qu’il existe des comités révolutionnaires dans les provinces de Borsod, Baranya, Szatmar, Veszprem, Szabolcs, Szeged que des comités dits « nationaux » s’expriment dans les provinces de Vas, Zala, Györ et Sopron : que d’autres comités fonctionnent dans les villes de Györ, Sopron, Szombathely, Komarom, Sarnar, sans compter ceux des divers districts de Budapest. Le plus important de ces comités semble être celui de Györ dont le contrôle s’étend sur les régions ouest de la Hongrie.
Au soir du 28 octobre, ces divers comités tentent de coordonner leurs efforts en créant un comité national. A l’échelon de la province et du district, la même tendance se manifeste pour l’articulation des organes naturels nés de la carence et de l’impuissance du pouvoir central, comme de la nécessité de répondre aux besoins essentiels de la vie sociale et de la lutte armée. Car partout se forment et agissent des comités : il y a un comité national pour une jeunesse libre ; un comité révolutionnaire des universités de Budapest ; un comité des jeunes travailleurs de la capitale ; des comités du personnel des ministères, de la magistrature, des artistes de théâtre et du cinéma, des intellectuels, de l’Académie des Sciences.
Les Conseils ouvriers
Le 26 octobre, le premier conseil ouvrier est formé à l’entreprise « Egyesult 12209 ». Ce n’est là que l’indice d’un mouvement général qui se manifeste sur tous les lieux de travail. En effet, le même jour, le Comité central du parti ouvrier hongrois (communiste) approuve l’élection de comités d’entreprise en liaison avec les syndicats, reconnaissant que la vague de fond emporte le parti, cette vague de fond lancée par des membres du parti lui-même. La répercussion est manifeste au sein du mouvement syndical dont le presidium propose, dans une résolution adressée aux ouvriers et aux employés, que les entreprises et les mines soient dirigées par les comités ouvriers.
L’allure de la révolution est influencée par les impératifs de la lutte armée, et l’on voit surgir, en même temps que les conseils ouvriers, des comités militaires, les uns émanant d’ex-policiers ralliés, d’autres de soldats ou de détachements entiers de l’armée, d’autres enfin désirés par des ouvriers ou des jeunes en armes.
Les deux pouvoirs
Le 27 octobre, Radio-Kossuth annonçait, vers midi, qu’une communication de l’Association nationale des syndicats décidait que, dorénavant, les entreprises seraient dirigées par les conseils ouvriers et que, par cette mesure, le contrôle des entreprises par le peuple se trouvait achevé.
Plus tard, ce même jour, Radio-Kossuth annonçait que des informations provenant de toutes les régions du pays signalaient la formation de comités ouvriers d’entreprise. Dans son discours du 28 octobre, à 17 h. 25, Imre Nagy déclarait que le gouvernement approuvait la création de conseils ouvriers.
Il est évident qu’en défendant la création de conseils ouvriers, le gouvernement cherchait à obtenir l’adhésion et le soutien des travailleurs.
Après la deuxième intervention soviétique, les conseils ouvriers n’ont plus donné signe d’activité pendant quelques jours. Le gouvernement Kadar, dans sa déclaration du 4 novembre, avait bien promis que les entreprises seraient dirigées par les travailleurs, mais cette déclaration n’était pas claire en ce qui concernait le sort des conseils ouvriers. Dans sa déclaration du 6 novembre, le Comité central du parti socialiste ouvrier hongrois annonçait l’existence de ces conseils ouvriers, mais ne disait rien de leur activité.
Il semble qu’au cours de sa première semaine d’existence le gouvernement Kadar, incapable de dissoudre les conseils ouvriers, ait tenté de les repousser à l’arrière-plan en ne leur reconnaissant qu’un rôle consultatif.
Les événements ont montré que les conseils ouvriers ne furent pas satisfaits de ce second rôle et ils démontrèrent par la grève que leur pouvoir s’était considérablement développé.
A partir du 12 novembre, les appels des conseils ouvriers se firent de plus en plus nombreux à la radio. Ils demandaient notamment l’abolition des normes de travail, l’augmentation des salaires et des garanties quant au droit de grève.
Le 12 novembre, l’Association nationale des syndicats hongrois libres publia une proposition concernant l’élection de conseils ouvriers. Cette proposition correspondait à peu près au décret émis le 21 novembre.
Le 13 novembre, le gouvernement Kadar accepta la proposition des syndicats et ordonna que les entreprises élisent, dans les trois semaines qui suivraient la reprise du travail, des conseils ouvriers permanents qui remplaceraient les conseils provisoires. Des éclaircissements apportés par les membres du gouvernement en cette matière demandaient aux travailleurs de ne pas élire des éléments « contre-révolutionnaires » aux conseils.
Mettant à profit l’acceptation gouvernementale, les conseils ouvriers reprirent leurs activités sur l’ensemble du territoire. Le 13 novembre, les conseils ouvriers de Budapest tirent un meeting à Ujpest et désignèrent un comité central des conseils ouvriers de Budapest, lequel, dès ce moment, joua un rôle dirigeant dans la définition de l’opinion des travailleurs.
Les revendications ouvrières
Le 14 novembre, le Comité central des conseils ouvriers de Budapest présenta une liste de revendications au gouvernement en huit points :
1) Nouvelle désignation de Imre Nagy comme premier ministre ;
2) Les anciens membres des services de sécurité d’État seront renvoyés et ne pourront plus faire partie des nouvelles équipes de police. En même temps, garantie sera donnée que la nouvelle police ne sera pas utilisée pour les objectifs du parti ;
3) Libération des combattants de la liberté, y inclus Pal Maleter ;
4) Retrait des troupes soviétiques de Hongrie ;
5) Garantie que la radio et la presse n’exprimeront que des faits véridiques ;
6) Fin du système du parti unique et élections libres aussitôt que possible ;
7) Certaines catégories de travailleurs, notamment ceux des magasins et de l’industrie alimentaire reprendront le travail ;
8) Les travailleurs s’engagent à reprendre le travail si leurs revendications sont acceptées.
Le premier ministre Kadar rencontra la délégation du Comité central des Conseils ouvriers de Budapest le 14 novembre. Suivant un compte rendu de cette conférence publié par le journal « Nepszabadzag », le 15 novembre Kadar acceptait ces demandes avec certaines restrictions, mais son communiqué était rédigé de façon ambiguë et pouvait être interprété de diverses manières. La même ambiguïté se retrouvait dans une mise au point faite par différents ministres. Néanmoins, les conseils ouvriers annonçaient qu’ils reprendraient le travail conditionnellement et qu’en même temps, ils poursuivraient les négociations avec le gouvernement.
En fait, 30 % seulement des travailleurs reprirent le travail et la plupart n’effectuèrent que des réparations. La proportion des mineurs qui reprirent le travail était plus réduite encore : au lieu des 60 à 90.000 tonnes quotidiennes, la production tomba à 5 et 10.000 tonnes.
Il fut décidé notamment, à l’initiative du Comité central des conseils ouvriers de Budapest, d’organiser un meeting le 21 novembre, auquel tous les conseils ouvriers provinciaux étaient invités à participer. Le but de ce meeting était la formation d’un « parlement ouvrier ». Toutefois, les troupes soviétiques empêchèrent ce rassemblement. En réponse, les conseils ouvriers lancèrent un appel à la grève générale de 48 heures dont les travailleurs de l’industrie alimentaire, des transports et de la construction étaient exceptés. Cet appel fut suivi dans tout le pays.
Le même jour, le 21 novembre, après l’interdiction du rassemblement général, les conseils ouvriers envoyèrent une nouvelle délégation au gouvernement pour transmettre à Kadar les cinq revendications des conseils :
1) Le gouvernement reconnaît les conseils ouvriers comme le seul corps compétent représentant les intérêts des travailleurs dans les négociations ;
2) Le gouvernement s’engage à reprendre les négociations avec les conseils ouvriers le 24 novembre au plus tard ;
3) Les huit points définis par les conseils ouvriers seront la base des négociations ;
4) Le gouvernement s’engage à informer la presse conformément à la vérité ;
5) Le gouvernement remettra en liberté immédiate tous les prisonniers politiques et fera rentrer les déportés.
Ces revendications furent complétées par l’annonce selon laquelle si le gouvernement n’appliquait pas le premier point, le 22 novembre, la grève reprendrait dans les quarante-huit heures.
On peut supposer qu’un compromis intervint entre le gouvernement et les conseils ouvriers puisque, le matin du 22 novembre, on annonçait que le gouvernement reconnaissait le conseil des ouvriers de Budapest comme l’organe représentatif pour les négociations et acceptait que la radio publie ses communiqués. Dans ces conditions. le conseil appela les travailleurs à reprendre le travail.
En dépit de cette annonce, le gouvernement, ou le commandement soviétique, fit tout ce qu’il put pour rendre la situation plus difficile pour les travailleurs. En plus de la « politique de la faim », de nombreux membres dirigeants des conseils ouvriers, tant de Budapest que de province, furent arrêtés, puis relâchés vingt-quatre heures après, dans le but de freiner l’activité des consens ouvriers en les intimidant.
La « défense élastique » de Kadar
Sous la pression générale, le presidium publia un décret, le 21 novembre, sur le fonctionnement des conseils ouvriers. Dans le domaine économique, le décret admet que les conseils ouvriers seront appelés « à diriger toutes les activités de l’entreprise ». Ceci correspond à la revendication exprimée depuis plusieurs mois selon laquelle la direction économique centralisée et bureaucratique serait remplacée et que l’indépendance des entreprises serait reconnue. La planification avait été simplifiée et quelques rares indices avaient été conservés sur les cent indices centraux de planification ancienne (24 juin).
Sur ce plan, le décret va assez loin et seul le programme des investissements demeure hors de portée des conseils ouvriers. C’est à l’État que revient la décision portant sur le pourcentage des profits que l’entreprise peut conserver et du pourcentage que celle-ci doit remettre à l’État.
Même si une plus grande indépendance avait été accordée aux entreprises, cela ne signifie nullement que les travailleurs aient obtenu plus de pouvoirs. L’entreprise continuait à être dirigée par le fameux triangle d’usine : directeur, secrétaire du parti, président du comité d’usine. De ces trois représentants, un seul relevait des travailleurs (le président du comité d’usine) et en principe seulement. Les deux autres émanaient des autorités : parti et État.
Or, les conseils ouvriers demandent que le directeur soit également élu par eux. Ce qui signifie que la vie intérieure des entreprises se trouverait entièrement contrôlée par les conseils ouvriers.
L’enjeu
Les conseils ouvriers révolutionnaires semblent représenter, dans la plupart des centres industriels et des villes autres que Budapest, la seule administration réelle.
Entre le gouvernement Kadar, réduit au seul contrôle de la capitale et disposant d’un petit appareil dont Ferec Muennich dirige le secteur police et armée, d’une part, et les conseils ouvriers d’autre part, la différence de pouvoir est considérable. Seule la présence de l’Armée rouge permet au gouvernement de ne pas être balayé et d’espérer fortifier sa position en comptant sur la faim et la lassitude. Mais l’Armée rouge (dont les effectifs d’infanterie ne semblaient toujours pas, au 30 novembre, avoir occupé le territoire hongrois pour relever ou doubler les unités de chars) ne peut assurer l’administration du pays. C’est pourquoi, sur le plan des activités qui ne sont pas immédiatement essentielles pour l’U.R.S.S. (contrôle des postes stratégiques, des nœuds ferroviaires, des frontières, des principales administrations d’Etat), les comités ouvriers peuvent négocier, avec quelques chances de succès, avec le gouvernement. Mais Kadar s’ingénie à garantir, même sur le papier, les positions « tabous » dont il doit assurer la défense pour le compte des Russes. Conseils ouvriers partout, mais pas dans les chemins de fer ni sur les aérodromes. Gestion ouvrière des usines, bien sûr, mais pas de droit de regard sur les investissements ! Sacrifier l’apparence pour sauver l’essentiel, telle est la tactique de Kadar. Dans des limites étroites, mais permettant cependant la manœuvre, le gouvernement, l’autorité militaire soviétique, les conseils ouvriers poussent, forcent et tâtent.
En certaines régions (districts de Borsod et de Gamor, la « Ruhr hongroise »), de véritables pouvoirs autonomes se sont constitués, protégés par des formations armées groupées dans les zones montagneuses de Matra et de Bukk qui couvrent les approches de Miskolc. D’autres districts industriels et miniers, comme Györ et Somogy, suivent le même chemin.
Localement, les Russes se font aussi discrets que possible pour laisser à Kadar une chance de renouer avec le pays réel.
Voilà ce que l’on peut savoir et qui n’est certainement pas tout, mais qui est assurément autre chose qu’un « retour à Horthy ».
Louis MERCIER.
Sources : presse hongroise, bulletins radiophoniques, témoignages de réfugiés, matériel des correspondants de presse en Hongrie.
ANNEXE I
Extraits du décret du Conseil présidentiel de la République populaire hongroise ou sujet des Conseils ouvriers
ARTICLE PREMIER
1° Les conseils ouvriers devront être élus dans toutes les entreprises industrielles, commerciales, mines. entreprises agricoles d’État, y compris les entreprises industrielles de la M.A.V.
2° Les travailleurs des bureaux, instituts et organisations qui ne fournissent pas un travail productif, et les travailleurs des chemins de fer, postes, transports publics électriques et aériens ne pourront pas désigner de conseils ouvriers.
3° L’application de ce paragraphe ne concerne pas les artisans, les travailleurs à domicile, les agriculteurs et employés d’autres associations qui sont dirigées par des organes élus dans les assemblées générales.
ARTICLE II
Un comité ouvrier définitif ne peut être élu que si les deux tiers des travailleurs au moins sont présents au travail.
ARTICLE III
1° Les membres des conseils ouvriers sont élus par les travailleurs des entreprises, directement et par vote secret, au cours des réunions d’entreprises. Les élections seront préparées par les comités syndicaux des entreprises avec le concours élargi des travailleurs.
2° Aux élections d’entreprise, tout travailleur de l’entreprise a le droit de vote à la réunion, et tout travailleur employé dans l’entreprise depuis au moins un an peut être élu. Le directeur, l’ingénieur en chef et le comptable en chef de l’entreprise ne peuvent être élus aux conseils ouvriers. Cependant, le directeur participe aux réunions des conseils ouvriers et a le droit de participer à la discussion.
ARTICLE IV
Toutes les catégories de travailleurs doivent être représentées aux conseils ouvriers. Les deux tiers des membres du comité ouvrier doivent être désignés par les travailleurs qui participent directement à la production (travailleurs manuels, contremaîtres, techniciens et ingénieurs). Au cours des élections les travailleurs devront voter non pour des listes mais pour des individus. Les travailleurs ont le droit de modifier les listes, c’est-à-dire d’ajouter les personnes proposées par eux-mêmes sur les listes initiales. Au cours du scrutin secret, les travailleurs ont le droit de biffer tout nom de la liste et de le remplacer par un autre. La liste des noms des élus aux conseils ouvriers doit être communiquée aux travailleurs, autant que possible le jour même de l’élection ou au plus tard vingt-quatre heures après l’élection.
ARTICLE V
Vingt-quatre heures aprés l’élection au plus tard, le conseil ouvrier élu devra se réunir et désignera parmi ses membres un bureau présidentiel de cinq à quinze membres, un président, un vice-président et un secrétaire.
En plus du directeur de l’entreprise, le représentant du comité syndical de l’entreprise, le représentant de l’organisme de contrôle d’État et le représentent du syndicat intéressé peuvent participer aux réunions du conseil ouvrier avec droit à participer à la discussion.
ARTICLE VI
Pour la première période, les membres du conseil ouvrier seront élus pour un an. La même personne ne pourra être élue aux fonctions de président plus de deux fois. Pour changer un membre du comité, une majorité des deux tiers des travailleurs sera nécessaire.
ARTICLE VII
Le présidium est l’organe exécutif du conseil ouvrier par lequel il est élu.
ARTICLE VIII
Le conseil ouvrier a pouvoir de décision sur les questions les plus importantes de l’entreprise. Il dirige l’ensemble des activités de l’entreprise. Ainsi :
1° Il assure la continuité du travail productif et ln plus grande productivité de l’entreprise.
2° Il surveille les salaires ouvriers et les diverses allocations.
3° Il assure l’accomplissement des obligations envers l’État.
4° Il veille à ce que l’entreprise remplisse les obligations prescrites par le contrat collectif dressé en coopération avec le syndicat et accepté par les travailleurs et il aide le directeur à maintenir la discipline du travail.
5° Il décide des plans de l’entreprise et du nombre des travailleurs.
6° Il a pouvoir de décision en ce qui concerne la structure de l’entreprise et le fonctionnement des organes de direction individuels.
7° Dans le cadre des règlements locaux, il détermine les salaires minima et maxima pour les ouvriers et les employés, approuve l’emploi d’ouvriers ou d’employés et enfin décide des formes de paiement de l’entreprise et détermine le domaine de leur application.
8° Il a pouvoir de décision en ce qui concerne l’usage des bénéfices demeurant à l’entreprise, après paiement à l’État du pourcentage dont la détermination sera fixée ultérieurement par l’État.
En conséquence, il fixe la proportion et l’extension des sommes du profit de l’entreprise qui doivent être virées à la production, aux investissements et aux améliorations sociales et culturelles, de même que celles qui doivent être ristournées aux travailleurs sous forme de répartition des bénéfices.
9° Il fait au gouvernement des propositions con-cernant le commerce direct ou les contrats d’export-import.
ANNEXE II
Appel du Comité d’organisation provisoire de la Fédération Nationale des Syndicats libres de Hongrie
I) Le Comité d’organisation provisoire constate que l’activité des syndicats hongrois a été paralysée ces dernières années par la politique stalinienne et sectaire, qui a porté préjudice à l’ensemble de la classe ouvrière, les syndicats n’ayant pu intervenir comme défenseurs de l’intérêt des salariés. Le Comité d’organisation provisoire condamne cette lacune, en affirmant sa volonté de faire revivre les anciennes traditions syndicales, afin que le mouvement syndical puisse remplir sa vraie mission, qui est celle de défendre les intérêts des travailleurs.
2) Les syndicats libres de Hongrie sont des organes unitaires. soucieux de sauvegarder les intérêts des ouvriers syndiqués, indépendamment du gouvernement au pouvoir et indépendamment de tout parti politique. Les syndicats libres approuvent les buts et principes énoncés par le nouveau gouvernement national. ces principes étant compatibles avec l’intérêt général des ouvriers.
3) Les syndicats libres de Hongrie sont les bastions du régime démocratique. Ils entendent participer à des élections libres et représenter la classe ouvrière au parlement et dans les différentes instances révolutionnaires, tout en conservant le droit de grève pour étayer leurs revendications.
4) Les syndicats libres de Hongrie se félicitent à l’idée de la constitution d’organes spéciaux par la jeunesse ouvrière. Ils assurent cette dernière de leur appui moral et matériel et entendent lui venir en aide pour la réalisation de ses aspirations matérielles et culturelles.
5) Les syndicats libres approuvent la constitution de conseils d’ouvriers. L’existence de conseils d’ouvriers assure un régime d’autonomie, qui permet, voire qui exige, la suppression des liens bureaucratiques.
6) Notre politique syndicale tend à l’institution de salaires adéquats. Nous condamnons et entendons supprimer le système des normes de production exagérées. Nous revendiquons une élévation des rentes de vieillesse, compte tenu des années de travail. Nous revendiquons la suppression de l’impôt de 4 pour cent infligé aux époux sans enfants. Nous demandons instamment au gouvernement de procéder à une réglementation équitable du régime des allocations familiales. L’institution, par l’État, d’un secours de chômage nous paraît, en outre, absolument nécessaire.
7) Nous entendons procéder à une réduction progressive de la durée du travail, particulièrement dans celles des industries où le travail est pénible, insalubre et dangereux. Nous entendons, en outre, améliorer les conditions de travail, en interdisant le travail de nuit pour les femmes et les jeunes gens.
8) Les syndicats libres se proposent de promouvoir la construction d’habitations ouvrières.
9) Les syndicats libres de Hongrie proposent au gouvernement ce qui suit :
a) de s’adresser aux gouvernements d’autres pays pour l’obtention de prêts à long terme, ceci afin de pouvoir réparer les dégâts subis pendant la révolution et pour consolider les bases de notre vie économique. Ils recommandent d’accepter une aide économique de tout pays qui n’entend pas poser des conditions menaçant l’indépendance de la Hongrie ;
b) de demander l’appui des Nations Unies pour maintenir et développer les réalisations démocratiques, dues à la révolution nationale.
10) Le Comité d’organisation nouvellement constitué a fait part de l’intention des syndicats hongrois de quitter la Fédération syndicale mondiale. Il affirme sa volonté d’entretenir des relations avec toutes les organisations syndicales libres internationales, afin de promouvoir la solidarité ouvrière à l’échelon international.
Le Comité d’organisation provisoire de la Fédération nationale des syndicats libres de Hongrie.
Au moment de signer le bon à tirer de ce numéro, nous apprenons les derniers événements de Hongrie : la grève générale du 10 décembre, l’appel à la solidarité ouvrière.
Il fallait répondre au moins par une initiative audacieuse : LA GRÈVE INTERNATIONALE DE SOLIDARITÉ : LE BOYCOTTAGE DES PRODUITS RUSSES.
Certes il y aurait eu des résistances, peut-être des bagarres. Raison de plus pour courir le risque. Croit-on par exemple que si dans toutes les capitales occidentales, pendant quelques heures, les transports étaient arrêtés, les écoles fermées, les P.T.T. paralysés, les assassins de Budapest et de Moscou n’auraient rien senti ? C’est bien de dénoncer la carence de l’O.N.U. A condition d’accomplir soi-même tout ce que l’on peut faire. « Si chacun faisait ce qu’il doit, rien de plus — disait Romain Rolland — la Fatalité ne serait point. Elle est faite de l’abdication de chacun. »
Le peuple hongrois est debout
Ils pleurent, nos bons intellectuels au cœur sensible ; ils pleurent l’âme tranquille. Leurs articles et leurs discours mortuaires ont déjà enterré les révolutionnaires hongrois. Que les maquis tiennent dans les régions de marais et de montagne, que les Conseils ouvriers luttent pied à pied contre le gouvernement Kadar, porte-voix de l’Armée rouge, leur importe moins que la satisfaction du devoir accompli. Ils ont soutenu les insurgés par des télégrammes et des messages et, pour faire la balance égale, ils ont dénoncé l’impuissance de l’O.N.U., accusé de provocation Radio Free Europe. Ainsi pourront-ils montrer leurs archives aux rédacteurs de l’Histoire : ils sont parés.
Car de la tragédie hongroise il ne resterait rien d’autre que des cris d’horreur, des indignations profondes, des doigts tendus vers les responsables, des yeux brûlés par les larmes et des âmes douloureuses mais satisfaites, si le peuple hongrois ne continuait, seul, sans intellectuels, ni Free Europe, ni O.N.U., à se battre.
Que devions-nous, que pouvions-nous faire ? Deux choses essentielles : propager aux quatre coins du monde les faits de Hongrie, répercuter les paroles, les appels et les décisions du peuple hongrois. Mais en même temps, frapper l’ennemi, l’oppresseur, l’assassin du peuple hongrois : le régime post-stalinien russe. D’une part, dire la vérité et faire taire les menteurs. Atteindre l’économie soviétique par un boycott international des produits russes de l’autre.
Au lieu de ces actions possibles, nous n’avons jusqu’à présent que d’interminables et combien discutables interprétations des événements, des conseils a posteriori sur la façon de conduire une révolution, et rien, absolument rien sur le plan de la lutte contre la dictature soviétique.
Mais le peuple hongrois est toujours debout, et se bat.
Le mot d’ordre du boycott, surgi spontanément de la classe ouvrière, en Hollande comme en Indonésie, repris en principe par les internationales syndicales, a été finalement remisé par les bureaucraties, elles aussi riches de gestes philanthropiques, prolixes en lamentations mais avares d’actions.
Le boycott était-il inefficace, impraticable ? De la fameuse « Commission des Douze », désignée par la C.I.S.L. pour étudier l’application du principe, nul n’a éclairci la question.
Ce que nous savons, c’est que la Pravda du 12 avril 1956 annonçait que le commerce global de l’U.R.S.S. avait dépassé vingt-cinq milliards de roubles en 1955, soit près du double du total de 1950.
Ce que nous savons, c’est que pendant les six premiers mois de l’année 1955 (Vnechniaia Torqovlia, janvier 1956), la France a acheté pour cent dix-sept millions de roubles de produits et de matières premières à l’Union soviétique (1).
Ce que nous savons, c’est que l’Angleterre a importé d’U.R.S.S. pendant la même période, pour deux cent quarante-cinq millions de roubles ; la Belgique pour vingt-deux millions ; les Pays-Bas cinquante millions ; la Grèce dix millions ; l’Italie, quarante millions ; la Norvège trente-et-un millions ; l’Allemagne occidentale vingt-sept millions ; la Suède quarante-et-un millions, etc.
La conférence de l’I.T.F., réunie d’urgence à Londres les 8 et 9 novembre 1956, décidait :
« Le mouvement international ouvrier ne peut manquer de donner une expression pratique au soutien du peuple hongrois et à la dénonciation de ses oppresseurs. La conférence appelle la C.I.S.L. à entreprendre le boycott international des marchandises et services russes, et déclare que les sections de dockers et de marins de l’I.T.F. sont prêts à prendre toute leur part de l’action et appelle toutes les autres catégories de travailleurs des transports à jouer, de leur côté, leur rôle respectif. »
Le 15 novembre, les représentants de la C.I.S.L., de l’Organisation régionale européenne et de l’I.T.F. réunis à Hambourg pour examiner les mesures d’aide au peuple de Hongrie, déclaraient :
« qu’une action ayant été jugée s’imposer sans délais, ils avaient décidé de constituer un comité de trois représentants de chacune des organisations internationales directement intéressées. »
Le Comité de la C.I.S.L. se réunissait à son tour, à partir du lundi 26 novembre. La décision finale nous parvenait par l’intermédiaire des nouvelles en trois lignes, dans les journaux du 4 décembre : Pas de boycott des produits originaires de l’U.R.S.S.
(Et nous allions oublier la déclaration de Ramadier et son argumentation concernant les envois de pétrole russe en France. Rien de plus logiquement socialiste que de compter sur l’U.R.S.S. pour obtenir ce pétrole que la politique socialiste française voulait protéger contre la menace russe en Proche-Orient !)
Mais les Hongrois continuent à se battre. Et il devient difficile de reporter la responsabilité de ce combat sur l’O.N.U. ou sur Radio Free Europe.
Peut-être les Internationales ouvrières finiront-elles par deviner que les travailleurs hongrois se battent contre l’Armée rouge, qu’ils se battent parce qu’ils ne peuvent plus rien faire d’autre, et qu’ils attendent non des pleurs et des messages, mais des actes de solidarité ouvrière.
Laisserons-nous le dégoût nous envahir ? Ce serait trop facile. Il reste qu’en France comme ailleurs, le boycott doit être organisé, conjointement à l’aide aux réfugiés hongrois, travailleurs pour la plupart. Des Comités d’entente entre syndicats libres, F.O., autonomes, C.F.T.C., peuvent être créés là où ils ne se sont pas tout naturellement constitués. Car le peuple hongrois est debout et se bat. Ce sont les peuples libres qui dorment.
L. M.
(1) Produits pétroliers, minerai de manganèse, métaux ferreux. produits chimiques et teintures, bois et celluloses, coton, laine, pelleteries, poissons et conserves, etc.