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Antoine Antignac : La calomnie

Article d’Antoine Antignac paru dans Le Libertaire, 10e année, 4e série, n° 20, 19 mars 1904, p. 2


La calomnie est une arme lourdement maniée par les uns, finement par les autres. Elle tranche les réputations, fauche les caractères, trouble la sérénité ou le repos des personnes sur lesquelles elle s’abat avec perfidie. Ses ravages sont considérables, parce qu’il est souvent difficile de les prévenir ou que, parfois, on les ignore.

La calomnie est l’instrument des sots, des méchants ou des jaloux. Quand elle s’exerce dans l’ombre, elle est redoutable ; publiquement, elle est aussi lâche.

Réduire à néant la pureté morale, la probité intellectuelle ou matérielle des gens dont la sincérité irrite ; dresser avec irréflexion ou volontairement un réquisitoire contre des individus à la conscience nette, insinuer qu’ils sont des êtres pervers, baver sur eux comme une limace sur une feuille de papier blanc ; parce qu’on est constipé cérébralement, bilieux, ignare, se permettre d’accuser des citoyens d’horreurs invraisemblables, n’est-de pas la preuve de l’indignité des calomniateurs, de leur manque de sens critique ?

La calomnie est le signe le plus significatif de la faiblesse d’esprit, le symptôme de la stupidité des diseurs de mensonges, des émetteurs d’infamies.

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Cette maxime est en honneur chez les politiciens, les jésuites et même dans une certaine partie du peuple. L’intérêt, la peur et la bêtise sont les principaux mobiles auxquels les êtres humains obéissent. On prend si peu la peine de se renseigner, de parler pour formuler une pensée, soit par calcul, soit par aveuglement, que les sorties les plus injustifiées ont lieu contre de très braves gens. La flèche empoisonnée de la médisance est décochée au cœur des victimes, et les bourreaux se lavent les mains comme Ponce-Pilate après la condamnation de Jésus-Christ.

Vous connaissez tous l’extraordinaire maestria avec laquelle les gouvernants, les journalistes de la presse autoritaire se livrent à l’agréable jeu des insinuations, des sous-entendus, au préjudice de ceux qui les gênent ou ont un idéal différent du leur.

Ce jeu est le passe-temps favori des parasites et des dévoyés.

Il est doux de piétiner, de salir ceux-ci ou ceux-là, à la diable, quelquefois par tactique, par désœuvrement, avec la rancœur de l’impuissance, pour emplir son escarcelle, défendre coûte que coûte, vaille que vaille, un parti, satisfaire des instincts débridés, ou se donner l’âcre plaisir de la diffamation, parce qu’on a un encéphale insuffisant.

Les calomniateurs n’ont rien de commun avec les esprits nerveux, incisifs, parfaitement désintéressés, s’exprimant sur toutes choses et sur tous avec une rare franchise, une vigueur aiguë.

La calomnie est due à une mauvaise analyse des faits et des personnes, elle a sa source dans les préjugés, l’ambition, l’envie de jouir par tous les moyens, l’inaptitude à concevoir la justice, la vérité, la raison, l’impossibilité momentanée de comprendre autrui.

La calomnie est vaste ou mesquine, selon les mentalités et les situations. Dans les sphères bourgeoises ou aristocratiques, elle est un principe, un parti-pris évident, une institution nécessaire. Dans les milieux populaires, elle est le résultat de l’inconscience et de la corruption, bien des choses étant pourries dans notre société.

La calomnie se manifeste aussi, de particulier à particulier, avec sa tendance à l’extensibilité, sa propension au grossissement ; d’imperceptible qu’elle était, elle se développe peu à peu sous de multiples influences, augmente sans cesse ; ombre au début, empruntant ses éléments constitutifs à toutes les lâchetés de la vie, elle est énorme à la fin.

Beaumarchais a donné de la calomnie une admirable définition dans une pièce étincelante d’esprit, ruisselante de verve.

La calomnie est d’abord un bruit indistinct, un murmure très léger, pianissimo ; plus tard, ce bruit est déchirant, fortissimo.

La calomnie est de l’animalisme.

Reste des âges de ténèbres, l’humanité nouvelle en rejettera jusqu’au souvenir.

Antoine Antignac.

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