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Le conflit du Proche-Orient

Article paru dans Solidarité ouvrière, troisième année, n° 31, novembre 1973, p. 2-3

Des membres des commandos palestiniens

– au-delà des nationalismes, c’est l’impérialisme international qu’il faut abattre

– la solidarité des travailleurs des pays industriels avec ceux du Proche-Orient passe par la destruction de leur propre bourgeoisie

Après le Vietnam, le Pakistan, le Biafra, le Proche-Orient est devenu le terrain de lutte des différents camps impérialistes par prolétaires interposés. Une fois de plus quand les « grands » s’affrontent indirectement, le problème se pose en termes de libération nationale.

Mais aujourd’hui, devant l’internationalisation du capital, le développement des firmes multinationales, l’emprise du marché capitaliste sur toute la planète, la notion de libération nationale a perdu tout son sens. La constitution d’un « peuple » en Etat national, outre qu’elle consisterait à permettre aux bourgeois nationaux de mieux exploiter les prolétaires nationaux, ne viserait qu’à créer un Etat inévitablement lié à l’un ou l’autre impérialisme.

Le monde étant entièrement partagé en zones d’influence impérialistes, les conflits « locaux » comme ceux du Proche-Orient visent à créer un nouveau partage du monde. Ainsi, aucun peuple ne peut « se libérer » sans l’aide de l’une ou l’autre puissance impérialiste et sans tomber sous la dépendance étroite de celle-ci. Les luttes de libération nationale ne sont donc plus que des moyens de fournir les boucheries inter-impérialistes en chair à canon de paysans et de prolétaires du tiers-monde.

Ces luttes ne constituent en rien un pas, une étape vers la révolution prolétarienne mondiale, mais un élément capital dans les solutions que tente d’apporter la bourgeoisie internationale aux contradictions du système en fournissant des débouchés à son économie de guerre.

Dans le concert de protestations qui se sont élevées contre la guerre, bien peu se sont inspirées de positions authentiquement internationalistes et prolétariennes y compris dans l’extrême gauche. Ainsi peut-on lire dans « Rouge » n° 225 :

« Dans la guerre en cours, aucun marxiste ne peut être neutre sous prétexte qu’il s’agit d’un conflit entre bourgeois. »

Dans la mesure où on pose l’alternative en ces termes : être neutre, ou soutenir l’une ou l’autre bourgeoisie, on montre une incapacité fondamentale à poser le problème sous l’angle de l’internationalisme prolétarien. Car, depuis quand celui-ci a-t-il préconisé la neutralité ? Une fois de plus, « Rouge » raisonne avec les arguments de la bourgeoisie.

Il ne s’agit ni d’être neutre ni de prendre position pour l’une ou l’autre bourgeoisie, mais de prendre position pour les masses prolétariennes, c’est-à-dire précisément à refuser le choix tel que le propose la bourgeoisie, ce dont « Rouge » semble incapable.

Cette guerre est menée par la bourgeoisie arabe pour recouvrer ses frontières d’avant le cessez-le-feu, et par la bourgeoisie israélienne pour maintenir ses acquis et obtenir des avantages décisifs. C’est un problème qui n’est pas celui du prolétariat arabe ou israélien.

D’une part, en Israël, il y a l’exploitation du prolétariat juif et palestinien (370 000 Palestiniens « israéliens » plus 70 000 importés des camps) au nom d’un nationalisme religieux ; d’autre part, il y a l’exploitation du prolétariat arabe au nom d’un nationalisme arabe plus ou moins mystique. Il est de l’intérêt des bourgeoisies israéliennes et arabes, de détourner le prolétariat du Proche-Orient dans son ensemble de sa tâche, qui est de s’unifier dans ses organisations de classe, c’est-à-dire non pas sur des bases nationales ou religieuses mais internationales, et fondées sur le rôle dans la production.

Pour nous, il n’y a qu’une alternative : soutenir la bourgeoisie arabe ou israélienne, ou impulser l’organisation des travailleurs arabes et israéliens contre leurs bourgeoisies respectives. L’une et l’autre s’excluent mutuellement, aucun panachage opportuniste n’est possible.


AU Moyen-Orient, les révoltes de la paysannerie pauvre et des masses prolétarisées sont une constante depuis le début du siècle. Après la première et la deuxième guerre mondiale, la bourgeoisie égyptienne s’est alliée au colonialisme anglais pour mater sauvagement des révoltes paysannes. La bourgeoisie palestinienne, entre 1936 et 1939, participa à la répression lors de grèves déclenchées par le prolétariat palestinien.

Aujourd’hui, le colonialisme anglais et français a été remplacé par l’impérialisme nord-américain ou russe, par la bourgeoisie israélienne, mais les féodaux et la bourgeoisie arabes demeurent.

Entre 1970 et 1973, les régimes arabes déciment les camps palestiniens avec la bienveillance de l’Egypte et de la Syrie, avec l’aide indirecte et directe d’Israël, empêchant les Palestiniens réfugiés chez eux d’apporter une aide militaire à leurs frères.

PANARABISME ET RESISTANCE PALESTINIENNE

La bourgeoisie palestinienne et la bourgeoisie arabe ont réussi de tout temps à contrôler le détonateur que constituent les masses prolétarisées palestiniennes, en créant par « en haut » un haut comité arabe. Aujourd’hui, elles organisent une « résistance palestinienne » dont les dirigeants ne font que représenter les intérêts des divers Etats arabes. Le principe de base de ces organisations est la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats arabes, l’affirmation du respect des « Etats frères », et l’étouffement de toutes les divergences dans la lutte « unitaire » contre l’ennemi commun. C’est-à-dire que les organisations palestiniennes sont loin d’être formées sur des bases de classe du prolétariat palestinien. Parmi ces organisations, il y a l’O.L.P. dont le premier dirigeant fut Ahmed Choukeiri, appelé « le Tartarin de Palace » au Caire, marionnette au service de l’Etat égyptien. Ce monsieur qui endossait une tenue de combat pour se rendre dans la bande de Gaza n’oubliait jamais d’enlever son bracelet-montre en or avant de prendre la parole pour le remplacer par un autre, en acier… El Fatah, créé sous le contrôle de l’Egypte, est passé sous le contrôle financier de la Syrie. Le F.P.L.P. est financé par l’Irak, le F.D.P.L.P., considéré comme l’extrême gauche palestinienne, reste fidèle au principe de non-ingérence et de lutte unitaire, c’est-à-dire au principe de collaboration avec la bourgeoisie. Ainsi, il a pu écrire (« Lutte palestinienne » n° 3, 1969) :

« … La question n’est pas d’entourer la Palestine d’Etats libérés du colonialisme ou du néo-colonialisme, ou d’Etats représentant la vraie gauche dans la région (…) Il n’est donc pas indispensable qu’il y ait d’abord la libération des masses arabes des régimes représentant la petite bourgeoisie ou se rattachant directement au colonialisme … »

On ne peut être plus clair : surtout, ne posons pas la question sociale…

Pour les masses palestiniennes prolétarisées, le principe de non-ingérence n’est que la couverture de la conservation sociale des régimes bourgeois arabes au Moyen-Orient. Les classes dominantes des Etats arabes se tiennent la main dans le but ouvertement reconnu de maintenir la paix sociale. Quant à la résistance palestinienne elle-même, elle ne touche qu’une infime minorité de réfugiés palestiniens, parmi 160 000 au Liban, 130 000 en Syrie, 700.000 en Cisjordanie, 300 000 sur le territoire de Gaza. Et pour cause. Essentiellement composé de fils de gros propriétaires fonciers expropriés, de notables, d’intellectuels, la résistance palestinienne vise avant tout, derrière le nationalisme exacerbé des dirigeants, à reconquérir des privilèges perdus. Loin de poser le problème en termes de classe, les dirigeants palestiniens s’allieront aux bourgeoisies arabes en place pour écraser tout mouvement d’émancipation sociale.

CRISE SOCIALE EN ISRAEL

Le conflit qui oppose Israël et les Etats arabes a ses racines apparentes dans l’occupation d’une terre arabe par les juifs et l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens. L’occupation de cette terre, au nom d’antécédents historiques datant de 2 000 ans, pose deux types de problèmes, suscitant chacun deux types de contradictions. La pénétration, dans un contexte islamique, d’une enclave hébraïque avive de part et d’autre les mysticismes nationaux antagonistes, d’autant plus que tous deux sont profondément frustrés, l’un par la colonisation européenne, l’autre par les pogroms et la répression raciste. Mais ceci n’est pas une contradiction fondamentale, contrairement à ce que veut laisser croire la propagande sioniste. Rappelons que pendant les mouvements insurrectionnels de 1936-1939, les travailleurs palestiniens préconisaient la création d’un Etat où juifs, musulmans et chrétiens disposeraient de droits égaux.

L’autre contradiction, fondamentale elle, est créée, à travers l’implantation des Juifs européens en Palestine, par l’introduction du mode de production capitaliste dans des zones sous-développées et féodales.

Pour les anarcho-syndicalistes, l’existence d’un Etat n’est pas une situation de « droit » qui relève de la justice ou de l’injustice, mais une situation de fait. Les Etats se construisent tous par la violence, et Israël ne fait pas exception. Lors de la constitution de l’Etat d’Israël, les deux tiers des terres furent confisqués aux Palestiniens, souvent par la violence la plus barbare, par le rasage et la destruction à la dynamite de 385 villages sur 475.

L’Etat d’Israël n’a pu se construire que grâce à l’appui de l’U.R.S.S. et des Etats-Unis après la guerre : il n’a pu se maintenir que grâce aux « réparations » versées par l’Allemagne (3,4 milliards de D.M.), au soutien économique et militaire des Etats-Unis : entre 1949 et 1969, 11 milliards de dollars du gouvernement U.S., 25 milliards de dollars de transferts privés.

Mais malgré cette aide financière, la situation économique ne cesse de se dégrader. Le fossé s’accroît entre classes dominantes – surtout composée de Juifs européens arrivés avec leurs capitaux – et la classe exploitée, surtout composée de juifs venus des pays arabes et des 370 000 arabes de nationalité israélienne, auxquels il faut ajouter 70 000 Palestiniens venus des territoires occupés et travaillant en Israël.

La hausse des prix et des impôts, le blocage des salaires, la concentration de l’économie sur l’effort de guerre (20 % du produit national brut) et l’importation d’armement, la dévalorisation de la livre israélienne de 20 % en 1970, la répression des grèves et des manifestations de l’opposition, l’intégration de la centrale syndicale à l’Etat ouvrent les yeux à un nombre croissant de travailleurs.

Le mythe de la concorde nationale s’effrite avec l’accroissement du fossé entre les classes, créant ainsi, à terme, les conditions propices à l’unification de classe du prolétariat israélien et arabe dans le Moyen-Orient, seule issue possible à un conflit fratricide.

L’emprise des illusions nationales que la bourgeoisie diffuse, aggravée d’illusions religieuses, est d’une telle force que dans l’état actuel de la situation, il est difficile de s’y opposer en obtenant des résultats immédiats tangibles. Cependant, nous pensons que les travailleurs révolutionnaires arabes et israéliens ne doivent pas hésiter à se démarquer clairement face à ses illusions, en dépit de la répression qu’ils encourent, en dépit de l’isolement momentané dans lequel ils risquent de se trouver, en dépit de la tentation à un facile opportunisme de gauche.

Les internationalistes israéliens et arabes aujourd’hui, sont certainement très loin de constituer une force suffisante. Mais ils ne doivent pas oublier qu’en septembre 1915, les internationalistes de la conférence de Zimmerwald – quelles qu’aient pu être les positions que certains d’entre eux ont développé par la suite – tenaient dans trois voitures…

IL N’Y A PAS DE BOURGEOISIE « PROGRESSISTE » !

LE VERITABLE ENNEMI ? C’EST LA BOURGEOISIE INTERNATIONALE !

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