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Le conflit israélo-arabe

Article paru dans Le Libertaire, 75e année, nouvelle série, n° 5, juin 1970, p. 1 et 3

Nasser pictured with Egyptian jet pilots at Bir Gifgafa air base in Sinai, 22 May 1967 (Source)

Les peuples, n’étant pas mûrs pour rendre impossible les conflits armés (il leur suffirait pour cela de refuser de s’y prêter), sont périodiquement appelés à partir en guerre – et ils y vont. S’ils y vont en rechignant, s’ils n’y vont pas de gaité de cœur, ils y vont quand même. Et c’est là ce qui compte pour les intérêts des gouvernements, des états-majors, des groupes industriels et financiers.

Chaque conflit a ses « particularités », qui toujours font remettre la paix à plus tard. Celui qui oppose Israéliens et Arabes est de ceux dont les imbrications sont multiples, souvent confuses et remontant parfois loin dans le passé.

Israël est, par le nombre de ses habitants et l’exiguïté de son territoire, une nation de petite dimension, surtout si l’on tient compte des nombreuses populations et de l’étendue des pays arabes, qui, s’ils en avaient eu les moyens, l’auraient déjà rayé de la carte.

Conscients de cette situation, les Israéliens, puissamment soutenus financièrement et politiquement par des minorités juives réparties de par le monde, ont constitué une puissance politique, économique et militaire qui fait pâlir d’envie leurs adversaires. Et pour peu que leurs dirigeants aient des vues expansionnistes, il est à redouter que ceux-ci ne trouvent des prétextes pour tenter de les entraîner dans la pire des aventures.

Le droit pour Israël de demeurer sur le sol de la Palestine, où il s’est implanté surtout par la force, lui est contesté par les nations arabes et avant tout par ceux des Palestiniens qui, à la suite de violents combats, puis de l’armistice de 1949, n’acceptant pas d’être intégrés à la « Communauté nationale » nouvellement constituée, sont devenus des réfugiés dans l’Etat ô combien fragile et artificiel – qu’est la Jordanie.

Les Israéliens se réfèrent à l’histoire pour justifier leur implantation nationale, qui, selon eux, n’est qu’un retour de plein droit dans ce pays de Chanaan si cher à leurs lointains ancêtres. Qu’après les persécutions dont ils ont été – et sont encore parfois – l’objet, qu’après les souffrances endurées et les hécatombes faites dans leurs rangs se soit développé chez les juifs un courant (le sionisme) en faveur de la création d’un foyer « national » qui, les groupant, fasse d’eux autre chose que des « étrangers » fréquemment vus en indésirables, rien de surprenant ni de plus naturel. (Ce qui ne justifie pas pour autant des références à l’histoire remontant au temps des Philistins – ou même des Macchabées.) A argumenter de la sorte, on pourrait bientôt remettre en cause toute la géographie politique du monde : la Grèce d’Alexandre, la Rome des Césars, la France de Charlemagne, l’Espagne de Charles Quint, etc. Que de sources de querelles, de remises en question de toutes les frontières existantes (qu’on ne parlerait d’ailleurs que de déplacer) en oubliant que ce qu’il faut, c’est les supprimer. On regrettera que l’occasion qui s’offrait aux juifs de créer une Société d’un type nouveau n’ait pas été saisie par eux, mais on sait bien que tel n’était pas le but de maints sionistes influents. L’expérience sociale pourtant intéressante des kibboutzs, ces communautés de travail où les travailleurs, armés, pratiquent l’autodéfense en même temps que l’autogestion (ou ce qu’il est couramment convenu d’appeler ainsi) n’a abouti qu’à servir et consolider la structure d’un nouvel Etat avec son capitalisme classique et sa bourgeoisie.

Les travailleurs israéliens se battent aujourd’hui pour la nation israélienne, et toute l’énergie, toute la combativité dont ils font preuve, ne paraît pas sur le point d’être, dans un élan salutaire, dirigée contre leur ennemi le plus proche : leur propre bourgeoisie.

Est-ce à dire que du côté arabe, les perspectives soient plus séduisantes ? Qui oserait le soutenir ? C’est au nom de la nation arabe (encore faudrait-il savoir ou celle-ci commence et où elle finit) que Nasser, qui a besoin de redorer son blason, essaie, dit-il, d’entraîner les pays arabes – Egypte en tête – dans une action, militaire ou autre, dont l’objet serait la disparition pure et simple d’Israël. (Toutefois, ici, une réserve s’impose, car ce que veut surtout ce conquérant d’opérette, c’est garder le pouvoir, avec ou sans Israël pour voisin.) Champion de l’« Arabisme », c’est au nom de l’anti-impérialisme que ce dictateur, qui veut jouer les Saladin, prétend enrôler sous sa bannière tous ceux qui veulent combattre pour la « libération du monde arabe ».

La phraséologie du pseudo-libérateur est reprise par ses satellites, ses rivaux et ses imitateurs. De l’Euphrate au Nil, en passant par la Mecque et en poussant jusqu’à Alger, on parle beaucoup de lutte contre le néo-colonialisme, contre l’impérialisme camouflé, ce à quoi nous applaudirions volontiers des deux mains si ce révolutionnarisme à l’emporte-pièces, en l’occurrence au service d’une démagogie sans frein, ne tendait à dissimuler des intentions contraires aux espoirs de ceux auxquels ils s’adressent.

Plutôt que de verser dans un authentique internationalisme qui risquerait de ternir leur étoile en ne flattant pas le peuple et ferait d’eux des pionniers d’une cause qu’ils entendent bien ne pas embrasser (même s’il leur arrive d’utiliser des formules marxistes), les leaders arabes, fussent-ils ceux des feddayins, se contentent d’évoquer le « socialisme arabe ». Un socialisme national… Il y a là un relent du National Socialisme qui fut la pierre angulaire de l’Hitlérisme et semble bien ne pas déplaire à tous les hommes en place ou aspirants hommes d’état faisant allégeance à Nasser. Un « socialisme » que, même s’il lui est arrivé – et cela pour consolider des positions personnelles de leaders en mal de grands effets – de porter des coups à des puissances financières, refuse au peuple le droit de présider à sa propre destinée et par voie de conséquence celui de décider du partage. Un socialisme plus attaché à la religion (musulmane) qu’à la liberté, un socialisme au pas cadencé, plus propre à accoucher de casernes et de prisons qu’à préparer la grande fraternité humaine.

La plupart des leaders des pays arabes nouvellement libérés des puissances coloniales sont moins préoccupés du bien-être du peuple (« leur » peuple comme ils se plaisent à dire), que de faire brillamment carrière dans la politique, même quand ils nous entretiennent des réfugiés palestiniens dont la détresse est pour eux une aubaine – un article qui fait recette. L’arrivisme s’en donne à cœur joie et ce n’est pas le cas Arafat, grand homme des commandos, tout heureux d’avoir trouvé un terrain à la mesure de ses ambitions, qui infirmera nos dires. (N’est-il pas candidat au poste de commandement d’un éventuel Etat palestinien ?)

Or les réfugiés palestiniens sont les premiers intéressés par la solution du conflit israélo-arabe. L’action des commandos peut être la marque d’une volonté d’en finir avec la condition misérable et révoltante qui leur est faite depuis leur transplantation, les « pays frères » (arabes) n’ayant jusqu’à ce jour rien fait (si ce n’est des discours enflammés et vengeurs) qui puisse améliorer leur sort, l’Egypte de Nasser elle-même s’étant plus attachée à jouer les « va-t-en-guerre » qu’à leur apporter une aide effective. Toutefois, chez les Palestiniens parqués en Jordanie, même s’il y a de la combativité, il n’est pas prouvé – loin s’en faut – qu’elle s’exerce au mieux des intéressés. Ce n’est pas parce que l’on aura changé de maître que la cause du peuple aura été servie.

Ainsi, une fois de plus, nous assistons à une guerre faite par le peuple pour la consécration de l’autorité, de la puissance de ceux qui l’exploitent et le gouvernent côté israélien, ou aspirent à le gouverner effectivement pour le mieux exploiter – côté palestinien.

D’un côté comme de l’autre l’on se bat contre soi-même autant que contre celui d’en face. Imagine-t-on la stupéfaction que provoquerait chez les gouvernants et dans le négoce du pétrole une fraternité qui passerait outre aux exhortations belliqueuses des deux bords ? Mais nous n’en sommes pas là. Cette guerre qui n’est aujourd’hui que l’un des aspects – un prolongement – des luttes d’intérêts gigantesques qui se déroulent en haut lieu pour le partage des ressources mondiales de pétrole se terminera, n’en doutons pas, dans les règles de l’art, c’est-à-dire quand ces messieurs, enfin d’accord, en auront ainsi décidé. Ceux qui en seront morts entre-temps ? Bagatelle. Dieu, qui préside aux cérémonies dans les deux camps – ici par le truchement du Talmud et là par celui du Coran – reconnaîtra les siens. Et en attendant ce grand jour, le successeur de saint Pierre, gardien à distance des Lieux Saints, formera des vœux pieux pour tous les combattants, si bien que la chrétienté ne sera pas en reste.

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