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Moyen-Orient

Article paru dans Lutte Continue, organe de la gauche marxiste, n° 7, 10 juin 1973, p. 7-8

In the mountains east of the Jordan River, a patrol from the Popular Front for the Liberation of Palestine punctuates a battle hymn with Soviet, Czechoslovak (vz. 58), and (top left) Egyptian weapons. Early 1969. (Source)

Les récents affrontements entre l’armée libanaise et la résistance palestinienne, conséquence de l’attaque des commandos israéliens contre le siège des organisations de fedayin à Beyrouth viennent de replacer le Proche-Orient au premier plan de la scène politique, et notamment des préoccupations d’une certaine extrême-gauche.

A nouveau, les tiers-mondistes de tout poil s’agitent aux cris de : « Palestine vaincra ! », « sionisme = fascisme », voire : »la guerre du peuple est invincible », etc., saluant la « juste lutte » de la Résistance palestinienne « avant-garde de la révolution socialiste arabe » contre Israël « produit de l’impérialisme » et la « réaction arabe traîtresse ».

Admirons cette dernière formule : ce qu’ils reprochent aux classes bourgeoises dirigeantes arabes, c’est de « trahir la lutte contre le sionisme », autrement dit de ne pas se battre contre Israël (pris comme un tout ce qui signifie qu’il n’y aurait plus de classes sociales) au lieu de leur reprocher d’ … être, c’est-à-dire d’exploiter férocement les masses arabes. Envers et contre tout, ces gens qui osent se réclamer du marxisme exaltent les nationalismes les plus divers, CRETINISME de notre époque, (ou plutôt avatar de la phase contre-révolutionnaire qui s’achève). Ils persistent à se gargariser des slogans les plus primairement manichéens, à s’asphyxier d’idéologie ; leur « dialectique » consiste à être pour le « Bien » contre le « Mal » chaque fois qu’un coup de feu claque sur la planète. L’essentiel, c’est de « choisir » alors qu’il leur faudrait d’abord comprendre.

Israël et la lutte palestinienne

Or, au risque d’ébranler les tabous « gauchistes », il faut mettre les points sur les i :

1- Israël n’est pas né du « sionisme », idéologie politique, contrairement à ce que voudraient faire croire tant les pro-sionistes que les anti-sionistes : c’est avant tout de la contre révolution mondiale, du stalinisme et du fascisme.

Si Israël joue incontestablement aujourd’hui le rôle de tête de pont de l’impérialisme américain au Moyen Orient, la formulation « Israël produit de l’impérialisme » est affligeante. D’abord parce qu’il faut en finir avec le mythe de l’impérialisme unique ; ensuite parce que précisément c’est par un mouvement nationaliste réel que s’est créé Israël, notamment dans une lutte contre l’impérialisme britannique qui soutenait les régimes arabes (toujours le pétrole !). Par contre, le principal appui d’Israël était à ce moment… l’impérialisme bureaucratique russe. Ce n’est qu’en 1952 que l’URSS opéra un virage à 180°, soutenant notamment le régime nassérien. On voit donc que le jeu des impérialismes est très complexe dans une région ardemment convoitée (voir aussi par exemple le « retournement » de la France vis-à-vis d’Israël sous De Gaulle, le bourgeoisie française ayant acquis des positions solides dans les pays arabes).

2- La lutte des fedayin n’a fondamentalement jamais été qu’une lutte nationale d’un peuple à qui on refuse d’exister et on ne voit pas comment elle pourrait déboucher sur une perspective socialiste (sauf par la magie !)

3- Cette lutte elle-même est aujourd’hui complètement plongée dans l’impasse : la Résistance palestinienne n’a plus aucune perspective politique. C’est pourquoi il faut s’attendre à la multiplication des actes de terrorisme à l’instar de Lod, Munich, Khartoum, symboles du désespoir dans lequel sont plongés les nationalistes palestiniens qui ne peuvent que provoquer une accentuation des massacres en retour.

le mouvement palestinien

L’apparition de la résistance palestinienne comme force politique autonome s’est produite sur les décombres de la défaite des pays arabes face à Israël. La guerre des 6 jours avait en effet brutalement révélé non seulement l’écrasante supériorité technique et militaire d’Israël (qui n’a fait que s’accentuer), mais en même temps la NON-ADHESION des masses arabes aux régimes en place, notamment à ceux baptisés progressistes. La haine raciale exaltée par leurs classes dirigeantes fut insuffisante pour qu’elles se battent réellement, laissant ce soin aux mercenaires de la Légion Arabe. Tout au contraire, la bourgeoisie israélienne obtint un sentiment d’Union sacrée sans précédent de ses travailleurs qui avaient mené des grèves sauvages très dures en 65 et 66. L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) n’était alors qu’un jouet des classes dirigeantes arabes : dirigée par le sinistre Choukeiry, elle se proposait d’exterminer les juifs.

C’est donc au sortir d’une guerre-éclair qui avait bouleversé le rapport de forces au profit d’Israël qu’émergea la Résistance palestinienne et notamment El Fath, dirigé par Arafat. L’objectif du Fath est clair : « libérer la Palestine ». C’est-à-dire non seulement récupérer les territoires occupés depuis juin 67 mais détruire « l’Etat sioniste » au profit d’un Etat binational laïque et démocratique dans le cadre d’une nation arabe. Contre les tendances de gauche de la Résistance, notamment le FDPLP qui dès 69 soulignera que la Révolution palestinienne passe par la destruction des régimes réactionnaires arabes, le Fath proclamera toujours le principe de non-ingérence dans les pays arabes. En fait, El Fath est l’incarnation typique d’un mouvement nationaliste petit-bourgeois comparable idéologiquement au FLN, d’ailleurs recevant des subsides très importants de Fayçal ou de l’émir de Koweït, montrant son aspect « révolutionnaire » en brisant des grèves d’ouvriers en Jordanie (69). Lorsque la situation se dégrada sensiblement en Jordanie entre le royaume Hachémite et la Résistance, El Fath chercha jusqu’au bout un compromis – comme Arafat vient de le faire à nouveau au Liban – : cette organisation est en plein dans l’idéologie panarabiste, c’est-à-dire réactionnaire.

Quant à l’Etat « unitaire, bien national, etc., il s’agit d’un leurre : même en considérant cette hypothèse – plus qu’improbable -, ou bien cet Etat serait effectivement « démocratique » (au sens bourgeois du terme c’est-à-dire de l’égalité formelle) ce qui conduirait rapidement à sa sud-africanisation vu la supériorité écrasante technique et culturelle des cadres juifs, ou bien il ne le serait pas plus qu’en Irak, ce qui signifierait… une oppression inversée.

La création du FDPLP avait fait naître beaucoup d’espoirs (et d’illusions) dans l’extrême-gauche : s’affirmant « marxiste-léniniste », proclamant le principe de la « révolution socialiste arabe« , affirmant que cette révolution passait par Amman et Le Caire, le FDPLP a incontestablement une phraséologie plus séduisante. Malheureusement ses positions sont totalement utopiques. Le point de départ de sa stratégie, c’est la lutte contre Israël qui est le facteur qui cristallisera les masses arabes et les radicalisera, d’où une lutte contre les régimes en place. Cette dynamique entraînera un phénomène similaire en Israël, d’où fusion vers un même mouvement.

Ainsi, le FD – qui soutient les bureaucrates du Sud Yémen – n’a jamais envisagé de se lier au prolétariat israélien :

« La classe ouvrière juive a toujours été aliénée… nous invitons tous les progressistes israéliens à dégager la lutte soit séparement, soit au sein du mouvement armé palestinien » (Hawatmeh).

contre les palestiniens : liquidation

Mais les fedayin ne furent jamais capables d’inquiéter sérieusement l’Etat israélien ; la bataille de Karameh fut le seul engagement sérieux et fit illusion. Cette incapacité militaire et politique (isolement de la Résistance même dans les terrains occupés) est à la base directe des actions du FPLP (détournements d’avions, prises d’otages… ) ayant notamment pour théâtre l’Europe : le FPLP est une organisation au moins aussi nationaliste-droitière que le Fath avec en plus une certaine irresponsabilité en dépit de son « marxisme-léninisme »(sic). (C’est le FPLP qui a embauché les Japonais dans la tuerie de Lod).

Or, le massacres de septembre 70 révéla au grand jour l’isolement des fedayin par rapport aux masses arabes, sauf chez les étudiants (Egypte, Liban, surtout, où se sont produites d’importantes émeutes « nationalistes de gauche »… C’était la fin des illusions : dans le cadre d’une normalisation progressive du Moyen-Orient et surtout à cause des nouvelles réalités économiques (échanges réguliers Israël-Jordanie), Hussein appuyé par les paysans bédouins très hostiles aux Palestiniens signa en fait la LIQUIDATION de la résistance (processus parachevé en Aout 71).

Les organisations furent contraintes de se replier au Liban : aussi, en bombardant systématiquement le sud-Liban, la bourgeoisie israélienne tenta de faire endosser par sa collègue libanaise la responsabilité d’une solution « à la jordanienne » ; le très spectaculaire raid de Beyrouth accéléra les choses…

Ainsi, la « lutte du peuple palestinien » n’a jamais été qu’une lutte de « libération nationale », c’est-à-dire pour accéder à la « citoyenneté capitaliste » sur une base nationale. L’échec de la résistance a tragiquement prouvé que cette perspective même était bloquée : c’est l’impasse totale, et les slogans creux ne permettent pas d’en sortir.

… et développement du capitalisme

Dans cette région où les impérialismes les plus divers se sont affrontés notamment à cause de l’attrait du pétrole, l’impérialisme russe a subi des déboires sérieux. Certes la bureaucratie du Kremlin s’était accommodée au besoin des liquidations périodiques des PC staliniens par les castes bureaucratico-militaires au pouvoir (ainsi par le régime nassérien). Cependant, le départ brutal des conseillers militaires russes d’Egypte après l’élimination des pro-moscovites, la répression exercée en Irak et en Lybie où Kadhafi joue les Nasser (1), le massacre du PC soudanais, la création de l’Etat égypto-libyen (qui s’avère très difficile) sont les signes de ces déboires : toutefois cela ne signifie pas que l’impérialisme américain en soit le bénéficiaire direct. Il y a une fantastique rivalité entre les grandes puissances et entre les compagnies multinationales: France, Allemagne de l’Ouest, Italie sont ainsi appelées à y jouer un rôle croissant.

Parallèlement à cette complexité d’affrontements, on assiste a une tentative d’un traité de paix entre Israël et les Etats arabes depuis le Plan Rogers (1970) ; c’est cette marche à l’entente qui est désespérément freinée par les actes terroristes de « Septembre Noir ».

Mais si diplomatiquement la situation est « gelée », économiquement il n’en est pas de même.

La bourgeoisie israélienne qui dispose d’une avance technologique colossale, est ainsi parvenue à un accord de fait avec Hussein « le boucher » : la politique des « ponts ouverts » avec la Jordanie permet l’écoulement de la production locale des territoires occupés vers le royaume hachémite et les autres parties du monde arabe. Dans les territoires occupés (annexés du reste par la Transjordanie en 1948), Israël développe une « révolution capitaliste » : ainsi à Gaza, seule région où le terrorisme était vraiment actif, un boom économique spectaculaire se développe, il n’y a pratiquement plus de chômage ; dans le N-E du Sinaï, le centre urbain de Yamit aura environ 250.000 habitants avec industrie, tourisme et port.

Par dessus tout, cependant, le fait capital est l’utilisation croissante de la main d’œuvre des territoires occupés, à bon marché par Israël : ainsi 50.000 prolétaires arabes travaillent sur le « marché israélien », ils sont « transportés ».

Or c’est la que s’annonce l’avenir pour les révolutionnaires, dans un pays ou les contradictions sociales se sont révélées au grand jour : émeutes et grèves « sauvages » en 1965-66, manifestations contre la cherté de la vie, grève des dockers d’Ashdod et naturellement le mouvement des « Panthères Noires », c’est-à-dire des juifs « orientaux (venant en fait pour la plupart des pays arabes). Ces juifs « sépharades » vivent dans des conditions de discrimination, comme les Arabes israéliens, la classe ouvrière est d’ailleurs constituée à 75 % d’ouvriers d’origine orientale et arabe.

Ainsi, paradoxalement (en apparence), une perspective révolutionnaire dans la région a les plus grandes chances de survenir en Israël d’abord. Cette société ne tient que par la perspective d’une guerre nationale (le budget de la défense a été encore augmenté de 60 %).

sionisme et panarabisme contre le prolétariat

C’est ce tonneau de poudre de la guerre nationale qui bloque aujourd’hui toute perspective révolutionnaire au Moyen-Orient : il est très révélateur que les grévistes de Lod comme ceux d’Helwan en Egypte furent accusés d’être des agents de l’ennemi.

Dans ces conditions, le terrorisme, le contre-terrorisme provoquent un engrenage infernal qui ne sert qu’à replonger les prolétariats israéliens et arabes dans l’Union Sacrée.

Ainsi le « problème palestinien » est-il utilisé par les classes dirigeantes arabes (qui n’ont jamais été que des caricatures des classes traditionnelles : bourgeoisie ou bureaucratie) pour faire oublier aux masses qu’elles exploitent, leur propre misère. La lutte « contre le sionisme » sert de dérivatif ; elle a fonction de masquer les VRAIS problèmes des ouvriers et des paysans du Moyen-Orient, leur exploitation (2).

Aujourd’hui, aucune solution partielle ne peut plus être révolutionnaire : qu’il y ait des compromis entre les Grandes puissances, qu’Israël décide d’annexer définitivement les territoires occupés et de les intégrer totalement à son économie, ou qu’un Etat Palestinien autonome soit crée en Cisjordanie par exemple, toutes ces solutions ne peuvent être que contre-révolutionnaires. Ainsi la chimérique « Palestine arabe » à la place d’ « Eretz-lsraël » n’est qu’une utopie réactionnaire.

Au moment où dans le centre de gravité politique du monde (les pays industrialisés) le prolétariat se recompose politiquement une véritable avant-garde révolutionnaire peut surgir au Moyen-Orient comme partie intégrante de la Révolution mondiale : pour cela elle doit balayer tous les tabous, ne rien respecter, unissant les masses palestiniennes aux prolétaires israéliens, égyptiens ou syriens, faisant entrer la lutte contre l’expansionnisme de la bourgeoisie israélienne dans un combat général de classe brisant le cadre réactionnaire du nationalisme arabe.


(1) ce « progressiste » comme a toujours dit la gôche, vient de proclamer une « révolution culturelle… contre le capitalisme et le communisme juif et athée ».

(2) ne parlons pas de la constitution de « Comités Palestine » en France pour rassembler les immigrés arabes ! Avec la bénédiction de Terrenoire, du FJP, de l’ambassade d’Algérie et Fayçal !

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