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Moyen-Orient : réaction sur toute la ligne

Texte de la Commission Proche-Orient de l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste paru dans Front libertaire des luttes de classes, n° 37, 26 décembre 1974, p. 6-7

President Richard Nixon with Egyptian President Anwar Sadat, Waving from a Motorcade Driving through Alexandria, Egypt, 6/12/1974 (Source)

Il y a à peine un peu plus d’un an qu’éclatait la quatrième guerre israélo-arabe, que circulent déjà des rumeurs d’une éventuelle reprise des hostilités.

Ces rumeurs, fondées ou non, nous poussent à analyser la situation qui semble s’aggraver depuis un certain temps.

QU’EN EST-IL EXACTEMENT ?

Le capitalisme est en pleine crise et cela les travailleurs le savent bien, car c’est eux qui, journellement, en ressentent les dures conséquences sur leur emploi et leur niveau de vie.

Aux revendications légitimes des travailleurs, le capital répond, par l’intermédiaire de ses représentants, que le pétrole est la cause principale de l’inflation et donc de la crise économique.

Or il se trouve que, compte tenu des profits considérables réalisés par les sociétés pétrolières et du prélèvement fiscal de l’Etat, la part de pétrole dans le taux d’inflation est seulement de 4 % sur un taux d’inflation annuel de 18 %

Mais la subtilité du capital dans le fait qu’il ménage la chèvre et le chou : ne pas marquer une séparation trop décisive avec Israël, mais en même temps favoriser les gouvernements arabes. Si Fourcade et ses partenaires de l’ONU semblent tellement s’intéresser à la cause palestinienne, ce n’est que pour préserver leurs intérêts de classe qui sont très menacés en ces temps de crise.

Les U.S.A., qui jusqu’à maintenant soutenaient inconditionnellement l’Etat d’Israël pour des raisons économiques, stratégiques et politiques, en viennent à remettre en cause leurs engagements en demandant à Israël de négocier soit avec la Jordanie, soit avec l’OLP.

Une chose devrait être claire pour nous, c’est que les pays occidentaux ne s’allient avec autant d’enthousiasme avec les gouvernements arabes que dans un intérêt purement économique : en vue d’essayer de résoudre leurs contradictions.

Si les capitalistes d’Etat, eux, ne sont pas en présence de la même crise, ils n’en sont pas moins présents dans cette partie du monde pour des intérêts strictement stratégiques et économiques (commerce, armement, Méditerranée).

Il suffit, à ce sujet, de citer les propos de Belayev, journaliste de la « Pravda », actuellement au Caire pour préparer la visite de Brejnev : « Nous n’accepterons jamais une paix qui irait à l’encontre des intérêts soviétiques. »

Ce n’est que dans ce sens que nous pouvons comprendre les récentes mouvances diplomatiques et le caractère bourgeois des alliances trop rapides ou trop sournoises (U.S.A.- Europe-U.R.S.S.).

Actuellement, les intérêts économiques se situent plutôt du côté des gouvernements arabes, et les différentes bourgeoisies occidentales sont amenées à favoriser l’isolement de l’Etat d’Israël.

ISRAEL ISOLE

Le refus d’Israël d’évacuer les territoires occupés en 1967 a contribué également à son isolement sur le plan diplomatique. L’Etat sioniste se sent menacé par un éventuel lâchage américain (éventuel, car il y a contradiction entre la crise qui pousse les U.S.A. à la conciliation avec les gouvernements arabes et l’électorat juif américain qui préfèrerait le maintien du soutien à Israël).

Nous pouvons faire un parallèle avec le mois de mai 1967 où Israël était dans une situation analogue d’isolement et de lâchage… français : c’était le prélude à la guerre des Six jours.

CONSEQUENCES DE CET ISOLEMENT EN ISRAEL

Elles sont doubles, car nous assistons à une montée du nationalisme et à une montée des luttes.

Montée du nationalisme :

Face à l’isolement constaté, des membres influent du Parti Travailliste demandent à I. Rabin, président du Conseil israélien, de faire appel au Likoud (regroupement nationaliste assez puissant et à caractère fascisant), en vue de la création d’une large union nationale.

La fermeté et l’intransigeance du sommet arabe de Rabat favoriseraient, en Israël, cette « union sacrée » tant espérée par le Likoud. Toujours dans cette perspective, Rabin continue de déclarer qu’il refuse toute négociation avec les terroristes de l’OLP : aurait-il oublié que les premiers terroristes sur cette même terre de Palestine étaient ses compatriotes de la Haganah et du Irgoun ?

Il est à noter l’importance que peut représenter la création de la Défense civile, milice qui s’est créée après les attentats de Ma’alot et Kiryat Shmona : il va sans dire que c’est là un danger supplémentaire pour le prolétariat israélien cette milice pourrait servir de courroie de transmission à une possible coalition où le Likoud occuperait une place de choix Mais cette union sacrée, semble-t-il, ne fait pas l’unanimité : les heurts entre policiers israéliens et manifestants dans le quartier populaire de Hatikva (faubourg de Tel Aviv) sont là pour le prouver.

Montée des luttes sociales :

En effet, le niveau de vie des ouvriers israéliens ne cesse de baisser :

. Hausse du coût de la vie, baisse relative des salaires ;

. Hausse des matières premières, l’essence à 3 francs le litre, le plus cher du monde.

Le tout couronné par une dévaluation de l’ordre de 43 % de la Livre israélienne indexée sur le dollar.

Beaucoup parmi le prolétariat refusent de faire les frais d’une crise provoquée par les capitalistes, et c’est ce qui explique que la Histadrout (syndicat patron et unique) semble être débordé sur sa base par les comités ouvriers qui réclament des augmentations de salaire de l’ordre de 40 %.

La classe ouvrière israélienne, par l’intermédiaire des organes de lutte qu’elle se crée, réagit énergiquement au plan d’austérité que veulent lui imposer les dirigeants travaillistes.

La création de ces comités ouvriers est un grand pas qu’a fait la classe ouvrière israélienne en vue de son indépendance face au syndicat et au réformisme.

Mais, cette même classe sortira-t-elle de l’intoxication chauviniste dans laquelle l’a placée la bourgeoisie israélienne ou oubliera-t-elle les conflits de classe pour aller en guerre contre  » l’ennemi commun » ?

Cette position difficile dans laquelle se trouve le prolétariat israélien et qui est à placer dans le contexte de l’isolement de l’Etat d’Israël nous amène à nous poser quelques questions.

QUI A VERITABLEMENT CREE CET ISOLEMENT ET A QUI PROFITE-T-IL ?

Sans conteste les gouvernements arabes ont fait pencher la balance de leur côté en isolant l’Etat d’Israël et en le mettant devant ses contradictions, ce qui est une bonne chose.

Mais l’arme du pétrole, qui, en principe, est justifiée, car les pays capitalistes pendant trop longtemps ont bénéficié de matières premières à des prix dérisoires, se retourne contre son principal bénéficiaire. En effet, à qui reviennent de droit les avantages de l’augmentation du prix du pétrole, si ce n’est au prolétariat arabe lui-même ?

Or c’est là une logique que les gouvernements réactionnaires arabes n’acceptent pas. Ils préfèrent investir dans les pays capitalistes et jouer les millions recueillis dans les casinos en France. Quant au prolétariat arabe, ses représentants sont écroués, ses syndicats interdits et son sort bafoué.

Les « masses arabes » sont dans un état d’aliénation et d’oppression qui n’est pas à la gloire de leurs dirigeants et de leurs « progressistes soviétiques ».

La lutte contre Israël unit les nations contre l’ « ennemi commun », mais c’est là un moyen efficace pour les dirigeants de masquer les véritables préoccupations et d’enrayer les luttes.

ON NE PEUT S’EMPECHER DE CRITIQUER LES DIRIGEANTS :

· d’Irak, qui viennent de prendre cinq « contre-révolutionnaires » mais qui continuent de soutenir la cause palestinienne

· d’Arabie Saoudite, qui soutiennent Arafat car il encourage l’islamisation et qui distribuent des pamphlets antisémites aux visiteurs de leur pays (« Protocoles des Sages de Sion » et « Mein Kampf »).

Tous ces gouvernements qui, soi-disant, luttent contre le sionisme comme représentant de l’impérialisme au Proche-Orient, gardent des relations plus que privilégiées avec les U.S.A. Nous pouvons dire qu’ils sont tout autant qu’Israël les représentants de l’impérialisme au Proche-Orient, et qu’ils véhiculent la même idéologie (armée, religion, etc.). A maintes reprises pendant et depuis la guerre d’octobre 1973, les gauchistes français sont tombes dans un piège, ils ont cru à la « nécessite » de soutenir des gouvernements bourgeois (Sadate, etc.) contre un autre gouvernement bourgeois (Golda Meir) : c’est là un choix que nous, communistes libertaires, devons refuser. Et c’est à partir de ce même refus que nous mettons en cause la représentativité d’Arafat et le bien-fondé de ses positions.

SOUTIEN AU PEUPLE PALESTINIEN : DANS QUEL SENS ?

Il est vrai que c’est la minorité agissante, qui se trouve représentée au sein de l’OLP, qui a remis à l’ordre du jour le problème palestinien. Mais tant que les Palestiniens resteront attachés aux subsides des dirigeants réactionnaires, ils ne pourront être que les exécutants des volontés de ces dirigeants.

Ces dirigeants, dont Arafat, refusent de distinguer les éléments nationalistes et contre-révolutionnaires des révolutionnaires et donc se cantonnent dans une politique régionaliste et dans un refus de prendre part aux luttes des masses ouvrières en Jordanie.

L’Etat d’Israël a misé, entre autres, sur cette lacune et spécule sur le fait que les Palestiniens, qui sont sous occupation, travaillent, ne contesteraient pas, acquerraient des connaissances techniques et désapprouveraient les actes violents des organisations palestiniennes. Or, les derniers évènements en Cisjordanie où des manifestations palestiniennes ont débouché sur des heurts violents et une forte répression semblent démunir Israël de la dernière carte dans le jeu diplomatique.

LUTTE CONTRE LE SIONISME ET LES REGIMES ARABES

La lutte contre le sionisme est inséparable de la lutte contre les régimes arabes.

La résistance palestinienne se trouvera dans l’impasse du fait de ce qui a toujours été son mode d’organisation, à savoir qu’elle a toujours développé uniquement le côté militaire de la lutte et a délaissé son rôle de catalyseur de l’auto-organisation des masses palestiniennes et arabes, sur une base de lutte des classes dans les camps de réfugiés et en Cisjordanie.

Les actions de terrorisme n’aident pas à une véritable prise de conscience et à une auto-organisation populaire, mais ne sont que des flambées de poudre périodiques ravivant les sentiments nationalistes.

L’analyse de la nature particulière de la colonisation sioniste nous a permis de voir qu’il existe irrémédiablement en Israël un prolétariat israélien et qu’il serait aberrant de réduire toute la population à la bourgeoisie et aux institutions sionistes. Nous devons donc condamner les courants de la résistance qui refusent de faire la distinction entre le prolétariat israélien et les structures réactionnaires et sionistes de l’Etat, le renvoyant ainsi dans les bras de la réaction.

De plus, l’Egypte essaye de pousser l’aile droite de la résistance à la création d’un Etat autonome qui servirait à enfermer le peuple palestinien entre le marteau israélien et l’enclume jordanienne.

Les derniers évènements (ONU) laissent supposer que les dirigeants palestiniens, toujours prisonniers des pressions des gouvernements arabes, finiront pas accepter la création de cet Etat après négociation avec Israël. En effet, ce dernier sera bien obligé, vue les pressions exercées et l’isolement, de négocier avec les « terroristes ».

Outre les écrivains, universitaires et intellectuels friands d’avantages bureaucratiques, le nouvel Etat palestinien serait composé aussi par l’ancien Premier ministre de Jordanie : Suleiman Naboulsi et l’ancien président de la municipalité de Naplouse : El Masri. L’avenir de cet Etat a l’air très prometteur.

Contre la réaction qui sévit sur toute la ligne, il est nécessaire de développer la lutte révolutionnaire au Moyen-Orient et d’œuvrer pour une lutte commune des travailleurs palestiniens, arabes et israéliens.

Cette lutte commune doit se situer contre les bourgeoisies respectives et les impérialismes qui soutiennent et maintiennent la région dans un état de guerre et de chauvinisme national.

Il découle de cette analyse que la solution socialiste révolutionnaire du conflit israélo-arabe passe par la destruction des Etats israélien et arabes, la formation d’une fédération des conseils ouvriers du Moyen-Orient.

L’avenir montrera si le projet est utopique.

Commission Proche-Orient

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