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Terrorisme individuel – terrorisme d’Etat

Article signé Jean Marque paru dans Bulletin de liaison entre travailleurs, n° 2, janvier-février 1978, p. 5

Des policiers français inspectent l’Audi dans laquelle on a retrouvé le corps de Hanns Martin Schleyer, à Mulhouse, le 19 octobre 1977. (Photo AFP) (Source)

Les évènements récents ont mis à nouveau en lumière le phénomène du terrorisme. L’affaire de détournement d’un avion par des sympathisants de la Fraction Armée Rouge (R.A.F.) nous intéresse doublement.

Tout d’abord par le choc émotionnel qu’une telle affaire suscite. Chaque fois que de tels évènements se déroulent, l’ensemble de la presse internationale joue pleinement son rôle de mystification donnant l’impression d’une unanimité dans la réprobation de la « violence sauvage ». Lorsqu’il y a mort d’homme, comme ce fut le cas à Mogadiscio, l’émotion est à son comble, les passions se déchaînent dans de gigantesques proportions, et comme toujours, les réactions passionnelles donc irrationnelles, l’emportent sur l’analyse méthodique, et c’est normal, notre presse n’est pas là pour nous inciter à la réflexion.

Et pourtant, au-delà de tels épisodes, certes dramatiques, l’assassinat, la
prise d’otages sont des données constantes de la vie sociale. La différence, c’est que ces assassinats, ces prises d’otages quotidiens sont imperceptibles.

La menace nucléaire et militaire en général, utilisée par les capitalismes
nationaux comme moyen de pression les uns sur les autres ne sont jamais que des prises d’otages à grande échelle. Ce sont des populations entières, innocentes, qui sont prises ainsi en otages. Personne ne s’en préoccupe outre mesure. De même, l’obligation quotidienne du travail salarié est une menace intolérable puisque le seul choix qui s’offre à nous est : travailler ou crever. Chaque jour également, le capitalisme tue, en affamant les 2/3 de la population du globe, mais aussi par le travail : des milliers d’hommes chaque jour meurent « d’accidents du travail » dus le plus souvent à des conditions de sur-exploitation. D’autres s’intoxiquent quotidiennement et meurent de ce que l’on appelle « maladies du travail » (silicose, saturnisme, cancer, etc.). On pourrait citer une liste bien plus longue des meurtres du capitalisme, la place n’y suffirait pas.

D’une manière générale, les rapports entre les capitalistes sont des rapports de violence ; les rapports qui s’établissent au sein de la production sont également violents. De même, la violence existe à tous les niveaux de la société : les C.R.S., Guy Lux, l’école, le cinéma, la presse, la société de consommation ne sont que des aspects différents d’une seule et même violence, une violence de classe, celle du capitalisme.

Cette violence là, cela s’appelle du terrorisme d’Etat. Toutefois la violence de l’Etat et la violence individuelle sont corollaires.

La mise en condition violente par le système engendre des réactions violentes de la part de ceux qui y sont soumis. Le terrorisme individuel n’est qu’un aspect de ces réactions, aux côtés des grèves, des insoumissions et des refus collectifs ou individuels de toutes sortes. C’est la violence de l’Etat qui engendre la violence individuelle, et non l’inverse ; le terrorisme de la « bande à Baader » n’est qu’un produit de la violence globale. Toutefois, si la grève ou une action collective consciente et contrôlée par le prolétariat sont ou peuvent être des éléments positifs (en tant que jalons dans la maturation de la conscience de classe), on ne peut faire l’éloge de ce qui reste action individuelle – même s’il s’agit d’un groupe – ni y voir un signe positif ; c’est la preuve de la décomposition du vieux monde, non de l’émergence d’un monde nouveau.

Par sa forme le terrorisme individuel est étranger à la lutte de classe car il est l’œuvre d’éléments extérieurs au prolétariat. Le terrorisme individuel nie les potentialités révolutionnaires du prolétariat. Dans le cas de la R.A.F., cette négation naît d’une incompréhension totale du processus de maturation de la société.

La conséquence en est que la R.A.F. reproduit (à sa manière) les tares de tous ceux qui se sont substitués ou se substituent au prolétariat. En toute logique (et c’est la réalité) son idéal politique n’est que le capitalisme d’Etat (de type tiers-mondiste). Cela s’illustre parfaitement par le soutien aux luttes de libération nationales et ses sympathies vis-à-vis des organisations palestiniennes et du régime d’Aden.

(Jean MARQUE – Décembre 1977)

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