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Bulletin de Zimmerwald : Nationalisme et internationalisme au Moyen-Orient (Arabes et Juifs) par R. Ryba

Article paru dans La Révolution prolétarienne, 22e année, n° 374, nouvelle série n° 73, juin 1953, p. 31-32

BULLETIN DE ZIMMERWALD

LA REUNION DU DIMANCHE 17 MAI

Le Cercle décide tout d’abord d’adresser à la presse une protestation contre l’arrestation de Masmoudi et son transfert en Tunisie. En voici le texte :

Sur mandat d’un tribunal militaire de Tunis, Masmoudi, président de la Fédération du Néo-Destour en France, est arrêté et aussitôt extradé. Aucun motif valable n’est donné pour justifier cette procédure expéditive.

Pour le gouvernement français et ses représentants en Tunisie, il n’y a pas de légalité qui compte ; il n’y a que les bas moyens d’une politique de force et d’une politique de clan qui n’osent pas dire leur nom. Sir mois après l’assassinat de Farhat Hached, ses amis restent déportés mais les assassins sont toujours en liberté. Au lendemain de l’assassinat de Kastally, qui acceptait la comédie des élections organisées par Hauteclocque, ce sont encore des militants du Néo-Destour qui sont arrêtés. Toujours la même tolérance vis-à-vis des clans âpres à défendre leurs privilèges ; mais pour les militants tunisiens, l’emprisonnement et la déportation. Pas de justice : le fait du prince.

Le gouvernement français risque ainsi de compromettre définitivement la réalisation pacifique d’une solution du problème tunisien conforme aux intérêts de tous les peuples. En persévérant dans la voie d’une répression aveugle, il endosse, en fin de compte, la responsabilité de tous les attentats. La tâche des hommes libres est de dénoncer ses crimes.

Aussitôt après, Chambelland nous présente quelques réflexions sur le livre de Rosmer : Moscou sous Lénine.

Rosmer, en un style dépouillé de tout artifice littéraire, expose dans son ouvrage ce qu’il a vu à Moscou, avec les yeux du révolutionnaire. De ce fait, comme le dit dans la préface Albert Camus, son point de vue diffère en tous points de celui de l’anticommuniste vulgaire. « L’homme qui adhéra sans réserve à la grande expérience dont il parle dans ce livre, qui sut aussi reconnaître sa perversion, n’a jamais pris prétexte de l’échec pour condamner l’entreprise elle-même. » A la question principale qui est sur toutes les lèvres : « Staline a-t-il continué Lénine ? Le ver était-il dans le fruit et la dégénérescence fatale ? », Rosmer suggère une réponse négative, sans jamais nous l’imposer. C’est dire que si l’on n’accepte pas toutes ses conclusions (Humbert-Droz nous présenta le mois dernier des conclusions différentes), on ne peut pas négliger l’opinion d’un des acteurs et témoins de cette grande époque. Le point central du livre est ce deuxième congrès de I’I.C., qui fut un effort pour regrouper les éléments révolutionnaires de diverses tendances : syndicalistes, anarchistes, socialistes. Cet effort de regroupement qui fut considéré au début avec faveur par des hommes très différents a échoué par suite de l’incompréhension de Zinoviev et de Radek, par suite de la pression des anarchistes russes déjà persécutés sur les anarcho-syndicalistes étrangers. Mais la grande cause de cet échec réside dans l’absence de révolution européenne, dans l’isolement de la Russie. La mort de Lénine, puis l’éviction de Trotsky n’ont fait qu’accélérer une dégénérescence désormais fatale

L’échange de vues qui suit l’exposé de Chambelland montre l’intérêt que tous les lecteurs trouveront au livre de Rosmer. Des discussions approfondies sur les problèmes de la révolution porteront alors tous leurs fruits.


L’exposé de Raphaël Ryba sur le nationalisme et l’internationalisme au Moyen-Orient (Arabes et Juifs) fut exempt de tout préjugé nationaliste. Ryba eut le mérite assez rare de préconiser une solution pacifique et fédéraliste en Palestine, sans éluder jamais les problèmes difficiles que causent l’existence voisine d’un jeune Etat nationaliste juif et d’Etats arabes également chauvins et incompréhensifs. Il sut même humaniser et poétiser cet aride conflit d’après-guerre.

Bien que parlant en son nom personnel, il s’efforça d’exposer tout d’abord le point de vue de son organisation : le Bund, groupe antisioniste de fondation et socialiste internationaliste. Le Bund, en effet, considère que l’existence de l’Etat d’Israël ne résout aucunement le problème juif millénaire, problème lié a l’évolution socialiste du monde entier, à ses transformations économiques, à un idéal de justice sociale pour tous, même pour les Arabes. L’Etat d’Israël ne peut absorber tous les juifs de la « diaspora » et ne tend qu’à exacerber les sentiments nationalistes de part et d’autre. Mais il est trop tard pour se lamenter sur la fondation de cette Palestine juive et il faut à tout prix l’intégrer pacifiquement au monde arabe.

Le point le plus douloureux de cette affaire est celui des réfugiés arabes dans les pays voisins d’Israël et c’est sur lui que Ryba fera l’essentiel de son exposé. L’existence de ces centaines de milliers d’Arabes isolés dans des camps et chassés de leur pays ne peut que retarder l’avènement d’une conscience socialiste dans les pays arabes (de multiples autres facteurs, coloniaux ou économiques, aggravent encore cet état retardataire, malgré la grande misère de ces peuples). Il est assez paradoxal de constater que le peuple le plus persécuté du monde, le peuple qui a connu les camps nazis d’extermination, en est réduit à imposer aux Arabes des conditions d’exode presque analogues. Peu importe le nombre d’Arabes qui ont quitté la Palestine : 1 million, disent les Arabes ; moins de 500.000, disent les sionistes. Peu importe que l’exode ait été forcé ou en partie volontaire. L’injustice reste la même pour ceux qui ont dû abandonner leur foyer et leurs terres dans des conditions inhumaines. Il est vrai que nous autres Français, nous voyons aussi d’anciens résistants devenir les bourreaux du peuple vietnamien qui réclame son indépendance nationale ! Mais, dans un cas comme dans l’autre, une telle attitude n’est pas seulement indéfendable sur le plan moral mais absurde sur le plan pratique et « réaliste » ; les meilleurs propagandistes de la Ligue Arabe sont les sionistes qui imposent des mesures discriminatoires aux Arabes de Palestine. Rien ne se résout à notre époque sur le plan national étroit, surtout dans un petit pays comme la Palestine ! Les sionistes, qui ont créé là-bas une colonie de peuplement en sont réduits aux arguments des colons français au Maroc : le spectacle de leurs réalisations matérielles, souvent admirables, ne justifie pas le revers d’injustice et d’oppression raciale. Même l’argument de nécessité n’est pas entièrement valable : les juifs pouvaient souvent aller ailleurs qu’en « Terre sainte », si une propagande sioniste effrénée ne les avait pratiquement forcés à adopter cette solution, qui n’en est pas une.

La seule solution acceptable, c’est le retour des réfugiés arabes, après entente préalable avec les voisins d’Israël et instauration d’un Etat fédéral en Palestine. Peu de sionistes s’en rendent compte, malheureusement. Et tout cela risque de créer un nouveau foyer d’incendie à la moindre occasion, tout cela est exploité par tous les impérialistes qui s’intéressent au Moyen-Orient et à son pétrole ; les nationalistes arabes ne sont pas les seuls responsables.


REUNION DU DIMANCHE 7 JUIN

Les membres du Cercle Zimmerwald se réunissent le dimanche 7 juin à 15 heures, 78, rue de l’Université, Paris 7 (métro Solférino).

Deux sujets seront traités. Le camarade Sal Tas, journaliste, qui revient d’Afrique, parlera de :

– La situation en Afrique du Sud sous le régime Malan :

– L’insurrection Mau-Mau au Kenya.

Jacques Maurice des Cahiers Socialistes de Belgique fera un exposé sur La Sarre et le problème de l’union européenne.

Une libre discussion suivra comme d’ordinaire.

Nos camarades sont priés d’amener, sous leur responsabilité, leurs amis que l’activité du Cercle Zimmerwald intéresse.

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