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Jean Rous : Aux côtés des peuples d’Outre-mer

Article de Jean Rous paru dans Socialisme et Liberté, n° 1, février 1948, p. 22

LOIN de se constituer comme une union fédérative des peuples sur la base démocratique, à la manière du Commonwealth britannique, l’Union française devient chaque jour davantage la pure et simple couverture du colonialisme.

Les gouvernements antérieurs ont leur responsabilité dans cet état de choses, mais force est de constater que la politique coloniale de MM. Schuman et Coste-Floret constitue une nette accentuation dans la voie réactionnaire. Les évènements récents le démontrent aisément. La Chambre Consultative de l’Union française avait été constituée, sans autre pouvoir malheureusement que celui de donner des avis sur les problèmes dits d’Outre-Mer. Or, la première manifestation de M. Coste-Floret à son égard a été d’interdire à la Commission du Règlement de l’Assemblée d’entendre un rapport sur le conflit franco-vietnamien. Défense de s’occuper des affaires sérieuses qui intéressent les peuples, tel est devenu le mot d’ordre !

Cette attitude ne comporte pas qu’un caractère de principe.

En Algérie, à la suite d’un statut qui ne contenta personne, le camp « colonialiste » représenté par le M.R.P. et les radicaux, à peu près tous à quelques exceptions près, passés au R.P.F. ou alliés avec lui, se dressent face au camp populaire représenté par le P.P.A. (Messali Hadj) et les « Amis du Manifeste » (Ferhat Abbas).

LES COLONIALISTES CONTRE CHATAIGNEAU

Un gouverneur progressiste Yves Chataigneau avait su se concilier l’estime du peuple musulman.

Mais à la suite d’une campagne réactionnaire, il se trouve menacé. Le gouvernement veut lui substituer un « homme à poigne », capable de mater les Algériens. Devant ces menaces, dont celle concernant le départ d’Yves Chataigneau, revêt surtout un caractère symbolique, le peuple algérien a su trouver le chemin de l’union. A l’heure actuelle, le P.P.A. et les Amis du Manifeste qui se combattaient parfois très vivement pour la plus grande joie du colonialisme, sont en train d’élaborer un pacte d’union pour une République Algérienne. Ils se sont mis d’accord sur un programme de revendications, au centre duquel se trouve « La Constituante ». Cet événement mérite d’être remarqué.

AU MAROC, MEME LE SULTAN EST NATIONALISTE …

Au Maroc, les élections pourtant purement consulaires et administratives, ont révélé la même opposition catégorique qu’en Algérie : d’une part, les gros colons groupés derrière le R.P.F., d’autre part, les nationalistes qui, en grande majorité, font confiance au Parti de l’istiqlal (indépendance). Il se produit au Maroc, un phénomène assez curieux : le souverain, le Sultan a pris parti pour les revendications nationalistes, alors que les colonialistes attendaient des hommes de sa famille qu’ils fussent des instruments dociles.

De sorte que l’antagonisme entre le Sultan et les représentants du colonialisme, n’a pas qu’un caractère purement pittoresque. Sans vouloir préjuger de l’évolution ultérieure du Sultan, sans s’associer aux intérêts et aux mobiles qui le mènent, les anticolonialistes, n’ont pas à le combattre comme un ennemi principal, ainsi que le demandent certains cercles administratifs qui se piquent de « gauchisme » mais s’accommodent fort bien de l’oppression colonialiste.

D’une manière générale, on observe dans le monde du nationalisme arabe, une sorte de « tournant ». Abdel Krim vient de passer du ton belliqueux au ton de la négociation. Il accepte d’examiner un plan d’orientation progressive vers l’indépendance. Au lieu de prendre au mot et d’engager la discussion, le gouvernement français préfère une politique où se mêlent les reformes bâtardes et la répression. Il se cache la tête dans les sables du désert.

REPRÉSSION A MADAGASCAR

La répression ? C’est à peu près la seule « politique » qui s’affirme à Madagascar. D’après une correspondance récente, la situation dans ce pays se trouve ainsi résumée par un de nos amis personnels, observateur de bonne foi, militant chrétien :

« Je vous signale, écrit-il, que la responsabilité des élus malgaches dans le déclenchement de la rébellion m’apparaît infiniment moins certaine ici que je le croyais en France. Vraiment, bien troublante cette affaire de rébellion ! Le grand procès des dirigeants du M.D.R.M. est déjà commencé : 10 condamnations à mort avant-hier ! Mais c’est peu à côté des populations exterminées dans leurs villages, des brûlés vifs sur la place publique et de ceux qui sont jetés vivants en avions au-dessus de leur terre natale. »

Ces faits, qui ont été signalés par ailleurs à la Ligue des Droits de l’Homme ont motivé de la part de son Comité central unanime une demande de dessaisissement du Tribunal de Madagascar, au profit d’une cour de la Métropole, ainsi qu’on l’a fait couramment dans le passé pour toutes les affaires « coloniales » délicates. Le gouvernement a refusé. Au moment où l’on célèbre l’anniversaire de « J’accuse », on assiste au déroulement d’une affaire Dreyfus contre tout un peuple, selon l’expression d’un membre de l’Institut ! Et M. de Chevigné vient d’être nommé proconsul dans la grande île !

RUINES ET HAINES EN INDOCHINE

Pour revêtir les aspects d’une guerre en bonne et due forme, le conflit franco-indochinois n’est pas moins angoissant du point de vue démocratique. Cette guerre accumule les victimes, les ruines et les haines. Il était possible d’y mettre un terme, si l’on avait accepté de négocier avec le chef de la résistance, le président Ho Chi Minh, en accordant au Viet-Nam l’indépendance et l’unité dans l’Union Française, avec une armée et une diplomatie.

Mais, sous prétexte d’anti-communisme, on préfère négocier avec Bao-Daï, l’ex-empereur, qui ne représente, de l’avis unanime, que quelques groupes xénophobes et réactionnaires. Cependant, pour ne pas perdre la face, Bao-Daï lui-même n’a pu accepter à Genève les propositions du gouvernement français.

En bref, c’est le chaos, l’impuissance, la faillite. Le M.R.P. et le parti radical sont du côté de la réaction colonialiste. Le devoir du socialisme démocratique et révolutionnaire est de ne pas devenir leurs complices dans une « Troisième Force » qui serait là-bas une farce tragique, mais de demeurer aux côtés des peuples coloniaux pour les soutenir à fond dans leur lutte émancipatrice, et de leur montrer la voie – qu’ils obtiendront par leur action révolutionnaire – de la Libre Fédération.


« Certains gouvernements quand ils envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu. »

Benjamin Constant

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