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Pierre Lambert : L’assassinat de Bekhat. Les responsables

Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 475, 31 octobre 1957, p. 1 ; suivi d’un article paru dans La Vérité, n° 478, 28 novembre 1957, p. 2

AHMED BEKHAT, secrétaire général de l’U.S.T.A., vient d’être assassiné. Bien des questions troublantes se posent sur ces attentats systématiques organisés contre les dirigeants de l’U.S.T.A.

Ainsi, mon regretté camarade Bekhat me rapportait dernièrement que, dans une récente réunion organisée à Genève sous les auspices de la C.I.S.L., le secrétaire général de l’U.G.T.T. lui déclara : « On vous exterminera ».

Chacun connaît l’appui que l’U.G.T.T. offre à cette singulière centrale qui a nom U.G.T.A. Cela s’explique aisément, lorsqu’on sait la haine mortelle qu’a vouée Bourguiba à l’irréductible leader anti-impérialiste Messali Hadj, pour des mobiles qui n’ont rien d’obscur.

Mais il y a un aspect qu’on tend à passer systématiquement sous silence, et qu’il est du devoir des militants ouvriers de toutes tendances de mettre en lumière.

Il s’agit de l’appui ouvert, permanent, matériel, apporté par l’appareil du P.C.F. aux criminels, bénéficiant de nombreuses et étranges bienveillances.


Le 30 avril 1957 (1), la presse rapporte que deux membres de la C.A. de l’U.D.-C.G.T. du Rhône ont été arrêtés : deux membres du F.L.N., en possession d’un arsenal extrêmement puissant devant servir à armer ceux qui abattent les dirigeants ouvriers de l’U.S.T.A.

L’Humanité se tait pendant un temps, puis parle de provocation dirigée contre la C.G.T. M. Jacques Soustelle, député du Rhône, demande à interpeller, puis oublie son interpellation. Une protestation émanant des milieux les plus larges, intellectuels et syndicalistes, contre les attentats dont sont victimes les dirigeants de l’U.S.T.A., Ahmed Semmache, Hocine Maroc, et le compagnon de Messali Hadj, Abdallah Filali est envoyée à la presse.

Notre ami Jean Cassou accompagne cette protestation d’une lettre personnelle aux directeurs des organes de gauche. Non seulement l’Humanité, mais les autres organes crypto-staliniens passent cette protestation sous silence.


Pour nous, Trotskystes, cela ne nous étonne guère. Et nous pouvons écrire que cela n’étonne pas les démocrates sincères. L’appareil international du Guépéou, avec le plein appui de son agence française, a exterminé par ses méthodes de gangsters, d’innombrables militants ouvriers de toutes tendances : les trotskystes russes, en premier lieu Léon Trotsky, et tous les opposants réels ou supposés à la politique stalinienne, tels que les communistes Zinoviev et Kamenev, Toukhatchevski et Rajk, les sociaux-démocrates russes, etc.

En Espagne, les gangsters du Guépeou étaient principalement sous le contrôle de la direction du P.C.F. : Nin, le dirigeant du P.O.U.M., l’anarchiste italien Berneri, le trotskyste Erwin Wolf, parmi des centaines d’autres, ont été assassinés sous la responsabilité directe de J. Duclos et Cie.

En France, pendant l’occupation, les trotskystes Blasco (ancien délégué au C.E. de l’Internationale communiste), Salini et Reboul, le militant syndicaliste révolutionnaire de l’Ecole Emancipée, Gilbert Serret, ont été liquidés sur l’ordre direct des agents français de Staline.

En fait, il n’y a rien d’étranger dans le silence de Soustelle, leader des ultras. Il comprend l’aide inestimable que lui apporte le stalinisme, en aidant le F.L.N. à exterminer les dirigeants ouvriers de l’U.S.T.A. Nous ne sommes plus en 1937, ni en 1943.

Le mouvement ouvrier ne tolérera plus les méthodes du Guépéou.

P. LAMBERT.


(1) Nous écrivons cet article dans des conditions telles qu’il ne nous est pas possible de citer des nombreux extraits de presse. La semaine prochaine nous apporterons toutes précisions utiles.


L’enterrement d’Ahmed Bekhat

UNE importante délégation de travailleurs algériens (la direction de l’U.S.T.A. avait demandé à l’ensemble de ses militants et sympathisants de s’abstenir pour ne pas donner prise à la répression), plusieurs personnalités des mouvements de gauche, parmi lesquelles Pierre HERVE, Jean ROUS, Marceau PIVERT, des militants syndicalistes français, au total 250 à 300 personnes, se sont regroupées, jeudi 21, devant l’Institut médico-légal, autour du corps d’Ahmed BEKHAT, secrétaire général de l’U.S.T.A., assassiné le 26 octobre sur ordre du F.L.N.

Après avoir défilé devant le cercueil de BEKHAT, une grande partie de l’assistance a formé le convoi jusqu’au cimetière de Thiais Là ont pris successivement la parole les représentants du syndicalisme algérien et français. Un membre du Bureau provisoire de l’U.S.T.A. rappela où sont les responsables des meurtres de militants syndicalistes, rendit hommage à la foi, au courage et à l’honnêteté de Ahmed BEKHAT et insista sur l’indispensable fraternité entre la classe ouvrière algérienne et la classe ouvrière française.

– Georges LAURE, secrétaire général de la F.E.N., apporta l’hommage très chaleureux et très ému de tous les syndicats de l’Enseignement.

– SIDROT, représentant de Force Ouvrière, puis Louis HOUDEVILLE pour la C.F.T.C., saluèrent la mémoire de BEKHAT (« il est mort, mais son nom demeure vivant »).

– Pierre LAMBERT (C.G.T.), très brièvement mais très énergiquement, rappela combien grande est la maturité de la jeune U.S.T.A. et affirma sa confiance en l’avenir de ce syndicat, luttant pour l’émancipation de tous les travailleurs.

Après ces interventions, un message de MESSALI Hadj a été lu : texte plein de douleur, de force et de confiance, évoquant la vie de BEKHAT, fils de fellah, fellah puis ouvrier lui-même, lancé très jeune dans l’action (il est mort à 27 ans, après 10 ans de lutte contre le colonialisme), passionné par l’action syndicaliste à laquelle il s’était entièrement consacré ; assassiné, comme le furent MATTEOTI en Italie et Ferhat HACHED en Tunisie, par les ennemis des travailleurs, MESSALI termine par quelques paroles d’hommage à la mémoire de BEKHAT et de tous les martyrs du peuple algérien.

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