Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 411, 25 mai 1956, p. 1-2
IL suffisait de suivre les informations contradictoires, le silence unanime d’une presse colonialiste et « néo-colonialiste », intéressée au plus haut point à nier l’influence déterminante de Messali Hadj, pour comprendre ! (1)
N’est-il pas remarquable de constater le black-out organisé par la
presse « libre » de toute tendance sur le reportage accompli en Algérie par la journaliste française Claude Gérard ; reportage publié par l’hebdomadaire « Demain ». Pourtant, quand R. Barrat avait interviewé des dirigeants du FLN, Belkacem-Ouamrane (« France-Observateur » 15 sept. 1955), la presse alors en avait largement fait état. Instructive comparaison …
Claude Gérard confirme donc de façon éclatante un fait connu des autorités et volontairement dissimulé au grand public : l’existence de puissants maquis se réclamant de Messali Hadj et du MNA, intimement liés à la population algérienne :
« Nous ne sortirons de la misère qu’avec l’indépendance, et sans notre armée nous n’obtiendrons jamais l’indépendance », déclare un fellah à Claude Gérard qui ajoute :
« Votre armée ? Vos combattants ? J’oubliais. Ce sont les fellaghas. J’en reviens à mes premières réflexions. Cette sorte d’entente tacite de la population, ce lien entre elle et ses fellaghas, dont la solidité me paraît indiscutable : voilà l’essentiel du « système inconnu ». »
Voila donc ce qui devait être caché : l’intime unité du peuple algérien, des combattants avec Messali Hadj et le Mouvement National Algérien.
Le plus pesant silence est donc tombé sur le reportage de Claude Gérard. Discrétion elle-même, doublée par une intense et verbale campagne de dénigrements et de sous entendus, dirigée contre cette journaliste dans certains milieux progressistes et mendéssistes. (2) Il n’y a là rien d’étonnant. La rage les a saisis, eux, qui prétendaient au monopole des informations « dirigées ». Car ils prennent conscience que des comptes vont leurs être demandés, par ceux qu’ils ont, disons pour être gentils, mal informés. (3)
Il faut à présent poser la question : Pourquoi mentaient-ils, et sciemment, ces « spécialistes » ? Nous y avons déjà répondu : En célant la vérité, à savoir le développement d’une force messaliste dans les maquis, ils espéraient forger, avec l’appui d’une campagne de presse parfaitement orchestrée, les « interlocuteurs » de leur choix. Pas ceux du peuple algérien, à qui ils dénient le droit de se déterminer souverainement par l’élection d’une Constituante. Non, des interlocuteurs valables assurant la pérennité de l’Union Française.
Voilà pourquoi ils ont tous menti. Car ce qui fait au lecteur moyen l’effet d’une bombe, leur était bien connu à eux. Ils connaissaient les sentiments de tout un peuple, tels que Claude Gérard les rapporte :
« Je suis assise dans une pauvre masure au milieu de cinq ou six montagnards qui ne s’aperçoivent pas à quel point je suis effrayée … Des femmes et des enfants sont assis autour d’un feu allumé dans un simple trou du sol ; Montrant la pauvreté de leurs robes et de tout ce qui les entoure, elles répètent : « Miséria … Miséria ». Mais que veulent-elles donc m’expliquer ? On dirait qu’il est question de la France. Elles me demandent si j’ai vu quelque chose ou quelqu’un. J’entend un nom. J’hésite. Ces femmes, ici, feraient de la politique ? A tout hasard je répète le nom que j’ai cru entendre : Messali ? Mais oui, c’était bien cela : « Messaâli – Messaâli ! » crient-elles avec exubérance. Une vieille se met à pleurer. Toutes m’entourent. Elles m’embrassent. Une petite fille se hausse sur la pointe des pieds et me tend les bras. Je ne m’attendais certes pas à pareille démonstration. Je devais, par la suite, être moins surprise. En fait, j’ai souvent assisté à ce genre de manifestation au cours de mes originales excursions. »
Y croyaient-ils eux-mêmes à leurs spéculations constructives ? Pensaient-ils sérieusement qu’une politique de paix aurait pu être édifiée contre le MNA, ou seulement sans lui ? Non, ils n’y croyaient pas. Ils estimaient seulement avoir la possibilité d’imposer leurs vues politiques à Messali Hadj, au MNA, au peuple algérien. Naïveté sans pareille, bien à la mesure de cette « élite » d’intellectuels, journalistes et avocats petits-bourgeois, prenant très au sérieux leur fonction de « conseilleurs éclairés ». Comme si une Révolution, nourrie par une action de quarante ans de Messali Hadj, entraînant dans son sillage des masses de millions d’hommes, bouleversant l’équilibre traditionnel des rapports sociaux en Algérie et en France, allait s’arrêter devant leurs bavardages !
Quant à ceux qui décident, du côté français, les dirigeants impérialistes, eux, ne s’y trompent guère. Ils emprisonnent à tour de bras les messalistes, qui, en grosse majorité, peuplent prisons et camps de concentration.
Les avocats petits-bourgeois n’étaient pas en peine d’arguments : « Oui, cela est vrai » : il est impossible de nier une évidence connue et contrôlée, comme est reconnue l’influence largement dominante du MNA sur les travailleurs algériens en France. Mais ils affirmaient alors que
« Les messalistes sont connus, plus politiques que militaires, donc plus vulnérables aux coups de la répression. Le MNA n’a néanmoins aucune influence sur les maquis, etc …
Quelle « bonne » explication vont-ils forger après le reportage de Claude Gérard ? N’en doutons pas, ils trouveront bien quelque chose.
Et pourquoi – objectera-t-on – la presse fait elle écho ? Elle en rajoute plutôt. Toutes les actions MNA sont transférées dans « Le Monde », « Combat », « L’Express », etc … au compte du FLN. Aucun journal ne rate, quelle que soit la couleur politique de sa rédaction, l’occasion d’affirmer la non-représentativité de Messali Hadj.
L’explication en est simple. Ceux qui sont pour la guerre à outrance et ceux qui penchent pour un cessez-le-feu, négocié avec les « demi-rebelles », tel Kiouane, si cher à J. Chevallier, les uns et les autres ont un intérêt majeur à brouiller les cartes afin d’affaiblir la résistance armée ; de tenter de jeter trouble et désarroi au sein du peuple algérien. Car, ni pour les uns ni pour les autres, il ne s’agit du droit du peuple algérien à disposer de lui-même, mais de la présence de MM. Borgeaud et Blachette et autres seigneurs de la colonisation, présence abusivement qualifiée de « française ».
Une autre objection sera formulée. Pourquoi accorder plus de crédit aux informations recueillies par Claude Gérard ? Parce que cette journaliste n’a pas tenté de nier l’existence de maquis FLN. Parce qu’elle a traduit une réalité en démontrant la coexistence de maquis MNA et FLN ; l’autorité de Messali Hadj étant quasi-unanimement incontestée parmi les combattants de l’Armée de Libération Nationale. (4)
Tels sont les faits, qui ont tendance d’ailleurs à s’imposer aux plus récalcitrants eux-mêmes. Ainsi, dans « L’Express », le journaliste Jean Daniel a curieusement (5) fait état de certaines informations, officialisant ainsi l’existence de maquis messalistes :
« Enfin, écrit-il, viennent d’avoir lieu à Alger, à Belle-Ile (résidence de Messali Hadj) (6) et au Caire des rencontres entre des messalistes et des membres du FLN pour réaliser l’unité de l’insurrection ».
Dans ce même hebdomadaire, sous la signature de B. Cros on lit :
« M. Ferhat Abbas va prochainement quitter Le Caire pour rencontrer dans un pays neutre les délégués de Messali Hadj ».
Vraies ou fausses, l’objet de cet article n’est pas d’en apprécier la valeur, ces indiscrétions calculées démontrent au moins une chose : qu’un cessez-le-feu ne pourra être réalisé sans l’accord de Messali Hadj et du MNA. Les spectaculaires voyages organisés de MM. Ferhat Abbas, Francis, Kiouane, Mecheri, et de quelques autres plus discrets (7), ne changeront rien au fait que la clé d’une solution pacifique du problème algérien se trouve à Belle-Ile. Dans la modeste villa, assiégée de CRS, occupée par Messali Hadj.
Pierre LAMBERT.
(1) Voir « LA VERITE » à partir du numéro 407. La format réduit de notre journal nous oblige à remettre au prochain numéro la suite de l’article « Qu’est-ce que le FLN ? »
(2) Claude Bourdet, dans le dernier numéro de « France-Observateur » fait litière de ces calomnies : « Or aujourd’hui, écrit-il, une journaliste française, Claude Gérard, bien connue dans la Résistance sous le nom de « Commandante Claude », ancien chef des maquis de l’A.S. du Limousin, vient de passer plusieurs semaines dans les maquis de Kabylie. Le reportage qu’elle en rapporte, publié dans un journal du Maroc, comporte certaines affirmations qui seront peut-être discutées tant en France qu’en Algérie, car elles tendent à établir que le MNA a, en Algérie même, par rapport au FLN, une force plus grande qu’on ne le pensait … Cherchera-t-on à mettre en prison cette héroïne torturée il y a douze ans par les Allemands ? Cherchera-t-on à la punir parce qu’elle a cherché à savoir la vérité et à la dire ? »
(3) Cf. Mandouze : « Messali dépourvu de cadres ne pouvait rivaliser avec le FLN sur le plan de la lutte réelle » (« Conscience Maghrébines », réédité en mars 1956, par le FLN). Cf. également le trop célèbre couple des Jeanson dans leur livre : « Présentement l’influence messaliste sur le sol algérien n’est plus localisable qu’en certains points de l’Oranie, exception faite, peut-être, pour quelques foyers d’agitation qu’elle entretenait tout récemment encore dans Alger même (et qui se trouvaient d’ailleurs entièrement contrôlés par la police) » ( !!! ). Les points d’exclamations ne figurent pas dans le livre du couple Basile-Jeanson.
(4) Ce dernier fait a été signalé par Robert Barrat lui-même dans son article de « France-Observateur » du 15-9-55. Par ailleurs, ce fait explique certainement la vigoureuse opposition des dirigeants du FLN à la revendication lancée par le MNA : « La parole au Peuple Algérien ».
(5) Curieusement parce que ce journaliste est ou était un des plus ardents négateurs de l’influence messaliste dans les maquis.
(6) Admirez l’omission du qualificatif « forcée ». Mais oui, Monsieur J. Daniel, Messali Hadj est en résidence forcée à Belle-Ile sous le gouvernement Mollet-Mendès-France, comme il l’était à Angoulême sous le gouvernement Ed. Faure, aux Sables-d’Olonne sous le gouvernement Mendès-France, à Niort sous Laniel-Martinaud-Déplat-Brune, etc … Pourquoi voulez-vous cacher aux lecteurs de « L’Express » l’union sacrée très réelle, réalisée de Mollet-Mendès à Laniel-Martinaud-Déplat contre Messali Hadj ?
(7) Intéressant, le démenti de Guy Mollet à la dépêche américaine relatant les conversations de Gorse et de Bégarra avec des dirigeants du FLN au Caire, à la suite de la rencontre Nasser-Pineau. Ces conversations étaient connues, depuis belle lurette. L’indignation du « Figaro » ne représente qu’une pression sur le gouvernement contre le courant qui pousse à des négociations, devant l’échec de la politique de force.