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Jean Rous : Après les élections algériennes. Vers une nouvelle politique démocratique

Article de Jean Rous paru dans Le Libérateur, 1ère année, n° 4, 28 février 1954, p. 1

Depuis 1948, personne ne prend plus au sérieux les élections algériennes. Leur caractère « préfabriqué » est devenu, pour ainsi dire, officiel. L’Administration vote pour les électeurs. C’est pourquoi ces derniers ont pris l’habitude de ne plus se déranger.

Cette crise a un sens profond : la France a donné aux Algériens, en 1947, un statut insuffisant et incomplet, certes, comportant encore le double collège, mais basé sur le suffrage universel, et marquant un progrès par rapport au statu quo colonial. Or, l’Administration qui s’était chargée d’appliquer ce statut l’a complètement saboté. La fabrication des élections est devenue la pièce maîtresse d’un dispositif de gouvernement et de répression.

Les élections qui viennent d’avoir lieu, pour le renouvellement d’une moitié des sièges de l’Assemblée algérienne, n’ont pas failli à la règle. Elles ont été soigneusement cuisinées. Cependant, il semble qu’il faille noter cette fois-ci l’introduction d’un certain art des nuances dans les procédés habituels.

On a pu, en effet, faire les constatations suivantes :

1° l’Administration a laissé élire cinq représentants du parti du Manifeste, dont Ferhat Abbas lui-même ;

2ª le M.T.L.D. a lancé le mot d’ordre d’abstention, et l’on a remarqué effectivement au scrutin des abstentions de 60 % qui ont été enregistrées ;

3° le dégoût a gagné le collège européen qui s’est également abstenu massivement.

Ces divers symptômes signifient que nous approchons d’un changement de situation que les Algériens et les démocrates français pourraient à leur tour favoriser par un comportement approprié. En effet, l’asphyxie, la répression, la falsification érigée à l’état de système, ont eu pour effet de précipiter dans l’impasse le système colonial lui-même. Celui-ci était arrivé à engendrer un état de marasme et de passivité générale dans laquelle il ne pouvait même plus vivre. D’où la tentative d’un néo-colonialisme plus intelligent pour essayer de prolonger le système tout en faisant des concessions partielles.

Dans cette conjoncture, les mouvements populaires ne doivent négliger aucune occasion de délester le lourd fardeau qui pèse sur le peuple algérien. Ils doivent savoir s’unir sur un programme concret, car la démocratie algérienne doit être une conquête permanente. Elle requiert l’alliance des intellectuels et de la masse, des cadres et du peuple. Il faut savoir adopter une plate-forme constructive plus modérée que leurs objectifs de principe, mais en évitant de se laisser diviser. Le syndicalisme, les mouvements culturels et sociaux, seront dans cette étape des auxiliaires remarquables. Le contenu, le marche concrète et réelle vers le progrès, importent plus que les mots et les schémas qui se rapportent à la période de propagande et d’agitation.

Désormais, celle-ci doit céder la première place à une action de construction et d’organisation qui requiert les efforts de tous. A ce prix l’Algérie peut sortir du tunnel et du cauchemar. Et nous devons, en France, faire tout notre possible pour l’y aider.

par Jean ROUS

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