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Kurt Landau : Lettre d’Allemagne. La réaction allemande gagne du terrain

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 17, 3 janvier 1930, p. 3

Berlin, décembre 1929.

Le 22 décembre a eu lieu le plébiscite du bloc fasciste (Hugenherg-Hitler-Seldte) pour la « loi de liberté ». Six millions de voix environ ont été recueillies par ses promoteurs.

Comparé au nombre d’électeurs (42 millions) ou même aux suffrages des nationalistes et des socialistes nationaux aux élections au Reichstag (1928), le plébiscite ne semble pas avoir été un succès pour le bloc fasciste. En réalité, l’issue du plébiscite indique le progrès du fascisme allemand, car les six millions de voix marquent une augmentation de 50 % sur le referendum qui en recueillit quatre millions.

Le plébiscite sur la « loi de liberté » fasciste, qui repousse de plan Young, se fit sous le signe de la crise intérieure du parti nationaliste. La politique en faveur du bloc fasciste avec Hitler a provoqué le départ d’une partie des nationalistes. Dans ces conditions, le résultat du plébiscite est incontestablement un succès sérieux du fascisme, succès qu’il faut attribuer surtout à l’activité sérieusement croissante des socialistes nationaux qui, aux récentes élections au Landtag (en Bade et en Thuringe) et aux élections municipales (en Prusse, en Hesse et en Bavière), ont doublé et souvent même triplé le nombre de leurs voix de l’an dernier.


La croissance du fascisme constitue un danger sérieux pour la classe ouvrière allemande. Le fascisme prend racine dans les districts industriels importants et se fait déjà sentir dans les élections aux conseils d’usines de certains grands établissements de Berlin.

L’industrie lourde allemande organise et soutient financièrement le fascisme. Non pas parce qu’elle cherche à lui livrer l’appareil d’Etat. Les magnats de l’industrie lourde et de la finance allemande sont loin de songer à cela. Aussi longtemps que cela lui est possible, la bourgeoisie a le plus grand intérêt à maîtriser la classe ouvrière par les moyens de gouvernement courants. Et ces moyens courants ne sont encore nullement épuisés.

Mais ce qui est presque épuisé, c’est le régime de coalition unissant la social-démocratie et les partis bourgeois. Personne, dans le clan de la bourgeoisie n’était plus capable que la social-démocratie, d’imposer le plan Young à la classe ouvrière. Il n’y a pas très longtemps, l’industrie lourde allemande réclamait, par la bouche d’un de ses « capitaines » (Silverberg), le régime de coalition. Maintenant que les travaux préliminaires sont accomplis, que la liberté d’action de la classe ouvrière est paralysée par la loi de Severing contre les communistes, que la politique sociale est complètement abandonnée (assurance-chômage) et que la réaction culturelle s’est fortement développée, la bourgeoisie allemande s’est décidée à porter le coup décisif ; elle a fait voter par Müller-Hilferding une réforme financière, dont la première étape est le « programme immédiat » qui prévoit une augmentation importante des impôts indirects et des droits de douane, en même temps que la réduction, tout aussi accentuée, des impôts atteignant la propriété.

Ce fut le docteur Schacht, président de la Reichsbank, qui, grâce à sa « parole souveraine » contraignit le gouvernement récalcitrant ; celui-ci dut donner pleine satisfaction aux désirs de la bourgeoisie des trusts et il dut en même temps accepter de se faire dicter les conditions d’un emprunt urgent de 450 millions de marks, conditions que les banques allemandes posent en accord avec la banque Morgan, et qui étaient bien moins favorables que les conditions auxquelles la banque Dillon-Read et Cie était prête à consentir cet emprunt.

Pendant ces pourparlers, le ministre des finances social-démocrate tomba comme une feuille morte de l’arbre pourrissant de la démocratie allemande.

Pour introduire le plan Young, la bourgeoisie n’avait pas d’aide meilleure et mieux appropriée que la social-démocratie. Il fallait faire semblant de consentir aux socialistes l’introduction de réformes démocratiques pour déterminer les masses à accepter sans résistance des charges énormes. L’application du plan Young donnera à réfléchir aux masses ouvrières.

Au lieu des reformes attendues, ce sera la liquidation de celles qui existaient.

Pour cette politique, la bourgeoisie a besoin d’un régime plus fort que ne l’est la coalition. Et ainsi les contours du nouveau bloc bourgeois deviennent de plus en plus nets : même les partis qui sont encore dans le gouvernement de coalition, tels que le centre catholique et les populistes, préparent déjà le bloc dit « bloc conservateur », allant des démocrates jusqu’aux nationalistes qui sont restés après la scission (groupe Treviranus).

La social-démocratie allemande se traîne comme un chien battu à la suite du gouvernement. L’expérience a montré avec une netteté qu’on n’a encore jamais vue nulle part où mène la politique de coalition basée sur la conservation de l’Etat bourgeois. Et elle ne doit qu’à des Thælmann, à des Neumann et à des Remmele que les masses ouvrières ne se détournent pas en foule; et que, dans la mesure ou elles le font, elles ne renforcent pas les rangs du communisme, mais ceux du fascisme. – K. L.

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