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Kurt Landau : Le nouveau « tournant » dans l’I.C. et en Allemagne

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 32, 18 avril 1930, p. 3

Berlin, avril.

Conformément au cours nouveau proclamé par la direction stalinienne depuis le 15 mans, le présidium du Comité exécutif a ordonné un tournant général dans toutes les sections de l’Internationale communiste.

Le nouveau tournant a projeté son ombre depuis assez longtemps. Il s’annonçait déjà dans le discours de Manouilsky en novembre dernier au cours de la séance de l’Internationale de la Jeunesse communiste. Dans son discours, Manouilsky attaquait avec une extrême violence le Comité central du Parti communiste autrichien auquel il reprochait d’avoir des « conceptions sectaires et peu sérieuses » pour avoir parlé, lors de l’aggravation de la crise autrichienne, d’une situation révolutionnaire imminente et pour avoir joué avec l’insurrection. Il révélait en outre le caractère foncièrement opportuniste du nouveau tournant.

Car ce furent les instances dirigeantes de l’I.C., la Centrale du P.C.A. en tête, qui avaient nettement jeté la direction du P.C. autrichien dans la « fièvre d’insurrection ». La conférence de Constance du 18 septembre 1929 déclara que « dès aujourd’hui la question de la prise du pouvoir se pose pour l’Autriche » et Remmele déclara à une séance du C.C. du Parti communiste d’Allemagne à laquelle assistaient aussi des représentants du Comité central autrichien, qu’il ne suffisait pas de propager l’idée des soviets, mais qu’il fallait à présent se mettre à le réaliser.

L’opposition de gauche s’élevait contre cette manière de jouer avec l’insurrection et montra que le Parti avait laissé passer déjà une occasion décisive lorsqu’il négligea de mobiliser les masses contre le régime de répression de Schober ; néanmoins elle fut dénoncée comme étant « défaitiste » et son mot d’ordre : créer dans toutes les usines des comités de défense contre le fascisme menaçant, se perdit sans avoir été entendu.

La faillite sans remède du cours stalinien « de gauche » se montra dès l’automne dernier dans toute la grandeur tragico-comique de son édition autrichienne.

Le lâche et lamentable recul des théoriciens de l’aventurisme, des inventeurs de la 3e période devant les suites politiques de leurs mots d’ordre et leurs théories dans la crise autrichienne, dénota déjà le caractère ou plutôt le manque de caractère du nouveau tournant.

Sans avoir l’air de rien, Manouilsky, dans l’exposé qu’il fit, se mit à esquisser une nouvelle interprétation de la « 3e période ». Tout récemment encore, c’était la période de « l’essor révolutionnaire impétueux », de l’effondrement imminent de la stabilisation ; maintenant cependant, on signala très modestement la maturation d’une crise économique mondiale et on examina les phénomènes de crise se faisant jour dans les différents pays. « Ce n’est pas encore la fin de la stabilisation qui approche, mais seulement le commencement de la décomposition, car l’effondrement de la stabilisation capitaliste signifierait l’effondrement du système capitaliste, c’est-à-dire la naissance d’une situation objectivement révolutionnaire dans les pays capitalistes », voila ce qu’annonçait Manouilsky, alors que la Rote Fahne de Berlin parlait, dès le 1er février, de l’effondrement capitaliste qui se produisait à une « allure telle que c’est à en perdre le souffle. »

Mais une telle « ré-interprétation » n’est-elle pas faite pour dévoiler toute la sottise de la théorie de la 3e période ? Toute la stratégie ébauchée par le 6e Congrès ne menace-t-elle pas de s’effondrer dans cette humble tentative de révision faite derrière le dos du Parti ? Et l’effondrement de la base théorique et stratégique du cours stalinien « de gauche » ne menace-t-il pas d’ébranler l’autorité de l’appareil tout-puissant de l’I.C. ? La crainte de voir poser ouvertement ces questions domine absolument le bureaucrate exemplaire dans la première et timide tentative de révision. Et c’est pourquoi Manouilsky jette vite une miette de pâture aux membres étonnés du Parti communiste ; il constate que « l’essor révolutionnaire grandissant a déjà monté d’un degré ».

Ces contradictions du discours de Manouilsky ne sont que le reflet des contradictions de la politique centriste en général. Chaque tentative de se corriger doit être payée par « l’approfondissement » de ses erreurs passées ; de cette façon le centrisme prépare de plus en plus le terrain pour l’opportunisme avoué et favorise le développement de l’aventurisme et des tendances ouvertement droitières. Le tableau le plus parfait des contradictions internes, des demi-mesures et de l’opportunisme le plus dangereux nous est fourni par le tournant effectué en ce moment en Allemagne par Thaelmann, Neumann et Remmele. La résolution adoptée à la séance du C.C. du P.C.A. des 20 et 21 mars constate que « tous les événements récents prouvent que l’essor révolutionnaire, malgré son développement inégal est ascendant avant comme après … » Et au nom de l’essor révolutionnaire, la résolution du C.C. demande « un renforcement considérable de la lutte contre le social-fascisme ».

Or, le « renforcement considérable » consiste dans le fait que le C.C. découvre tout à coup la différence entre les ouvriers social-démocrates et leurs chefs contre-révolutionnaires. En même temps la résolution attaque le « sectarisme gauchiste » et constate que « le travail fractionnel a beaucoup diminué ces temps derniers dans les syndicats réformistes et chrétiens. »

Et en même temps encore le C.C. déclare que « les syndicats révolutionnaires existants doivent être renforcés de la manière la plus énergique. »

Rarement une direction a essayé d’une façon plus lâche et plus dégoûtante de se laver de ses fautes derrière le dos de ses adhérents. On découvre enfin que « la théorie du petit Zoergiebel » (selon laquelle le simple ouvrier social-démocrate est un « ennemi de classe ») appartient au domaine du crétinisme absolu. Il masque cette découverte par le mot d’ordre du « renforcement de la lutte contre le social-fascisme ».

On ne peut se soustraire plus longtemps à la nécessité de travailler dans les syndicats libres (social-démocrates) auxquels appartiennent plus de 5 millions d’ouvriers. Mais pour voiler la reconnaissance de cette nécessité, ce travail est assimilé à celui qui est fait dans les syndicats chrétiens et on exige du même coup « le renforcement le plus énergique des syndicats révolutionnaires. »

Ce lâche revirement de la bureaucratie du Parti qui, dans l’espace de 24 heures, piétine ce que hier encore elle proclamait comme bolchévisme patenté, a eu des effets divers dans le Parti. Une partie de l’appareil, spécialistes assermentés de la lutte contre le social-fascisme, a répondu au tournant par une rébellion d’appareil. A la tête de cette « rébellion d’appareil » se trouve le stratège syndical Paul Merker, membre du Bureau politique et du C.C. Parmi les membres du P.C. il y a avant tout une confusion, un trouble extrêmes. La rébellion de Merker a trouvé dans la région du Centre (Berlin) un appréciable soutien. Les fonctionnaires du Parti ont repoussé, par 70 voix contre 7, le nouveau « tournant » et ont demandé l’exclusion de Remmele et de Heinz Neumann du C.C. C’est un trait typique de l’hypocrisie de la direction qu’elle essaie maintenant de convaincre les militants que la manifestation du groupe Merker ultra-gauchiste est … « une résurrection du trotskysme vaincu ». Et ceci après avoir constaté depuis des années que les trotskystes et la droite étaient identiques ! La direction du Parti ne réussira pas à se décharger sur le groupe Merker de ses fautes et de sa responsabilité dans la ligne qu’elle a défendue jusqu’ici. Elle réussira encore moins à mettre dans le même sac la véritable gauche du Parti et le groupe Merker d’ultra-gauche.

L’opposition de gauche qui lutte depuis des années contre le cours erroné de Staline et de Thaelmann, fortifiée maintenant par l’unification de l’opposition de gauche qui a eu lieu le 31 mars, luttera plus âprement que jamais dans le Parti, afin de gagner aux idées de l’Opposition Internationale les éléments les plus avancés du Parti. – K. L.

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