Texte collectif paru dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 4, 27 mai 1956
NOUS nous permettons, en qualité de spécialistes des problèmes arabes et islamiques, d’attirer l’attention sur l’évolution du problème algérien. On agite le spectre du panarabisme et du panislamisme pour déclarer qu’il est impossible de négocier en Algérie avec des gens qui adhèrent à ces doctrines. Nous ne nions pas l’existence de telles tendances, mais nous nions qu’elles soient déterminantes.
Nous constatons dans tous les pays musulmans une communion dans la foi en Dieu l’Unique et en son Prophète Mahomet. Il est indéniable aussi que, fiers de leur passé, les peuples de langue arabe puisent dans ce souvenir un sentiment de solidarité des qu’ils affrontent les problèmes d’aujourd’hui. Cela ne signifie nullement que les pays arabes sont prêts à se fondre en une seule nation et leurs gouvernements à s’unir en un seul Etat prêt à suivre une politique unique. Dans la population musulmane d’Algérie s’affirme la tendance à se voir reconnaître un statut qui lui permettrait d’entretenir des rapports fraternels avec les autres nationalités arabes tout en maintenant les liens culturels et économiques qui existent avec la France.
Nous savons également que toute apparence même d’attitude systématiquement opposée à la tradition, à la solidarité, à la fierté arabes et islamiques, aura pour effet de renforcer les tendances à la xénophobie et au fanatisme religieux.
Nous pouvons diverger sur les solutions à apporter à la question algérienne. Nous ne méconnaissons pas la difficulté du problème posé par la coexistence pacifique de deux communautés ethniques et religieuses différentes. Mais, forts de notre expérience du monde musulman, nous estimons que la seule solution viable sera obtenue par des négociations avec un partenaire qui exprimera réellement toutes les aspirations des Musulmans d’Algérie. Tout autre règlement risquerait de compromettre pour longtemps les relations de la France avec tout le monde arabe et, au delà, avec tout l’Islam, pour le plus grand préjudice du rayonnement et du prestige de notre pays.
Il est encore possible, pensons-nous, par des négociations, de faire prévaloir une solution qui sauvegarde, sinon des privilèges caducs en tout état de cause, du moins l’essentiel des positions morales et matérielles de la France, ainsi que la sécurité des Français d’Algérie dans leurs personnes et dans leurs biens. Nous adjurons les pouvoirs publics d’agir dans ce sens avant qu’il ne soit trop tard.
SIGNATURES
Louis MASSIGNON, professeur honoraire au Collège de France.
Gaston WIET, professeur au Collège de France.
Régis BLACHERE, Jean DRESCH, Charles-André JULIEN, professeurs à la Sorbonne.
Claude CAHEN, Jean GAULMIER, professeurs à l’Université de Strasbourg.
M. ARNALDEZ, professeur à l’Université de Bordeaux.
Maxime RODINSON, M. LOMBARD, directeurs d’études à l’Ecole des Hautes Etudes.
N.B .- Ces signatures représentent la grande majorité des arabisants spécialistes de l’Islam, professeurs d’enseignement supérieur en France métropolitaine.