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Pierre Morain : Le capitalisme au Maroc

Article de Pierre Morain paru dans Le Combat syndicaliste, 27e année, Nouvelle série, n° 124, 10 septembre 1954, p. 2

Les exploiteurs du monde entier peuvent avoir à l’heure actuelle un rictus de satisfaction : en Amérique Latine, les trusts des United Fruit renforcent leur puissance, en Indochine les capitaux français sont préservés, en Tunisie la peur des colons s’amoindrit.

Mais les prolétaires, sous des formes diverses, ne dorment pas en certains pays. En Allemagne occidentale, la classe ouvrière s’engage dans des grèves bien déterminées, les pourparlers avec le patronat sont rompus, des compromis inacceptés. Des grèves sont signalées en Amérique ; en Angleterre, à l’heure où nous écrivons, les dockers de Hull refusent les ordres apaisants de leurs bonzes et décident de tenir jusqu’au bout dans leur grève. Dans les pays colonisés, la lutte continue : aux Philippines, en Afrique du Sud. En Indochine certains éléments du Viet-Minh n’acceptent pas les tractations des GRANDS de ce monde et ne désarment pas ; en Tunisie, malgré les apparences heureuses de la presse française de tout poil, malgré les trahisons des dirigeants bourgeois du Néo-Destour, une partie du peuple tunisien continue à mener la lutte.

Mais c’est au Maroc que la lutte s’amplifie : grèves générales, manifestations importantes, attentats contre les collabos, les flics et les colons français. Certes au premier abord, la lutte pour le retour d’un ancien sultan peut apparaître au prolétariat français peu intéressante. Nous n’irons pas faire l’éloge d’un quelconque roi, sultan et compagnie. Cependant pour le prolétariat marocain, ce sultan détrôné représente une certaine résistance aux colons européens exploiteurs, qui, de ce fait, le détrônèrent il y a un an pour le remplacer par des serviteurs rampants, haïs du peuple marocain.

Cette lutte se trouve donc être en premier lieu une lutte contre les exploiteurs français, les mêmes que les nôtres. Et cette exploitation capitaliste est depuis fort longtemps appuyée par une répression sanglante contre toutes formes de résistance. Nous ne nous attarderons pas sur toute l’étendue de cette répression, il faudrait des pages et des pages. Bornons-nous seulement à quelques faits touchant le syndicalisme marocain, syndicalisme autonome interdit, faits relatés plus loin dans ce numéro.

Tandis que le prolétariat marocain tente de se libérer du colonialisme français, forme adaptée de l’ennemi commun des travailleurs d’Outre-Mer et Français, le capitalisme ; tandis que de jeunes recrues françaises sont envoyées au Maroc tuer le prolétariat marocain et offrir leur peau pour sauvegarder la vie des exploiteurs et de leurs complices, la classe ouvrière en France reste inactive alors qu’une lutte commune, fidèle à l’internationalisme prolétarien, serait nécessaire pour le plus grand bien de tous ces peuples dont le nôtre.

Grève de tout ravitaillement militaire dirigé vers le Maroc et les colonies, refus massif de laisser partir les jeunes recrues du contingent tuer et se faire tuer, seraient les premiers aspects de cette lutte. Premiers aspects seulement à défaut d’une grève générale capable d’affaiblir le capitalisme commun de France, du Maroc et des colonies.

L’amorphisme de la classe ouvrière française est lourd de conséquences. Il devient une lâcheté.

P. M.


La répression au Maroc : quelques faits

Mai-Juin 48 : suite aux grèves sanglantes de Kouribga et Djerada, arrestation de près de 2.000 ouvriers.

Février 49 : Ahmed Ben Abdelkader Boumida, secrétaire du Syndicat des mineurs, est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

1er novembre 51 : nombreux incidents sanglants notamment à Casablanca – 8 tués, 80 blessés -, des centaines d’arrestations sont opérées, entre autres celle de Mahjoub, secrétaire général du Syndicat des cheminots, membre du Comité Directeur de l’U.G.S.C.M. – Union Générale des Syndicats Confédérés du Maroc – condamné à 2 ans de prison.

Pendant toute l’année 1952, nombreuses arrestations atteignant principalement les militants syndicaux.

En avril, déportation de Jdidi, responsable de l’Union Locale des Syndicats de Salé et de Chouani, secrétaire de l’Union de Rabat.

Le 1er mai : arrestations et déportations de Mohamed Ben Brahim, secrétaire de l’Union des Syndicats de Marrakech, de Mohamed Khaled, secrétaire de l’Union de Rabat.

Le 5 août : Salah El Meskini, secrétaire de l’Union Locale de Casablanca ; le 6 : Mohamed El Birech, secrétaire de l’Union de Rabat sont enlevés et déportés.

En décembre 52, en protestation contre l’assassinat de Ferhat Hached, de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens, les syndicats marocains organisent des manifestations. A Casablanca, les dirigeants sont arrêtés. Les travailleurs marocains protestent. En réponse, c’est le terrible massacre de Casablanca où 2.000 Marocains sont assassinés ; l’arrestation, entre autres, de tous les membres du Comité Directeur de l’Union des Syndicats. Le mouvement syndical marocain se trouve décapité.

Restons-en là. Depuis nul n’ignore les incidents de plus en plus sanglants, la répression de plus en plus atroce.

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