Article paru dans La Vérité, n° 342, du 29 octobre au 11 novembre 1954, suivi de « Le M.T.L.D. contre les capitulards (III) » par Pierre Boussel alias Pierre Lambert ; puis de « Mitterrand en Algérie »
LE vendredi 15 octobre 1954, sur la Place Nationale de Boulogne Billancourt, les travailleurs se rassemblaient autour d’une voiture radio.
C’était la première réunion publique que le « Comité pour la Libération inconditionnelle de Messali Hadj » organisait aux Usines Renault. Dans l’assistance où se trouvaient mêlés fraternellement les ouvriers nord-africains et les travailleurs français, on écoutait attentivement les orateurs qui parlaient de Messali Hadj, de sa déportation, des souffrances du peuple algérien, de sa lutte nécessaire.
Le camarade Daniel Renard, ouvrier dans l’entreprise, après avoir fait un bref exposé du rôle du Comité passa la parole à Yves Dechézelles, avocat à la cour. Pendant dix minutes, Dechézelles dénonça avec force le caractère illégal de la détention du leader national algérien, montra que seule l’action des travailleurs de ce pays peut arracher Messali des grilles de l’impérialisme. Il termina en demandant à tous, quel que soit leur appartenance politique ou syndicale, de rejoindre le comité pour la libération de Messali Hadj, de soutenir son action Les applaudissements qui saluèrent la fin de ce discours donnèrent la mesure de l’approbation des travailleurs présents.
De fait, les responsables syndicaux FO et CFTC de l’entreprise avaient déjà donné leur appui à l’initiative du comité. Et après Yves Déchezelles, c’est un camarade de Force Ouvrière qui prend la parole. Le micro est ensuite donné à un camarade du MTLD et ce meeting se conclut par le vote unanime d’une résolution de solidarité à l’égard du peuple algérien et de son dirigeant, proscrit politique.
Il est profondément regrettable que sur une question élémentaire de défense des libertés démocratiques la CGT ait éprouvé le besoin de faire cavalier seul et de ne pas participer avec les autres dirigeants syndicaux de l’entreprise à une manifestation qui n’aurait dû souffrir aucune division. Après ce meeting, nombreuses furent les adhésions que le comité enregistra, aussi bien parmi les camarades français qu’algériens.
La manifestation du 15 octobre chez Renault est un immense pas en avant de solidarité entre les peuples colonisés et métropolitain. La lutte contre la répression colonialiste n’est plus le dur privilège des coloniaux seuls. Les travailleurs français remontent la dure pente des vingt années de chauvinisme et de nationalisme menés par les organisations traditionnelles. C’est un pas en avant qui doit être suivi de beaucoup d’autres.
(Communiqué du Comité pour la libération inconditionnelle de MESSALI HADJ.)
Le M.T.L.D. contre les capitulards
III
LA PLATE-FORME DU CONGRES NATIONAL
LE « réalisme » des ex-dirigeants du M.T.L.D. a trouvé son expression dans le mot d’ordre du Congrès National Algérien. Tarte à la crème d’une politique réformiste, la plate-forme du Congrès National exprime la réalité du passage des exclus sur des positions réformistes.
Sous la signature de Lahouel, Benkhedda et Kiouane, le 10 décembre 1953, l’ex C.C. a proposé un projet de programme pour l’éventuel et espéré Congrès National. Ce projet est divisé en trois parties : la première concerne les principes fondamentaux ; la deuxième le programme d’action immédiate et la troisième les moyens d’action.
Cette séparation est déjà tout un programme. En effet, le programme d’action d’un parti révolutionnaire luttant contre l’impérialisme est un tout indivisible, où les mots d’ordre et revendications doivent rester liés les uns aux autres et aboutissent tous à une même conclusion : l’indépendance.
Et, de fait, en opposition au programme d’action soi-disant immédiatement accessible, l’indépendance est reléguée au chapitre des principes, dont la réalisation se perd dans la nuit des temps. Il apparaît clairement que ce chapitre « principes » est placé là, comme une concession à l’esprit révolutionnaire des militants du M.T.L.D. Nous savons déjà que le rapport des exclus adopté au IIe congrès condamnait le Parti, « qui a eu tort de conditionner l’union des Partis nationalistes à l’adhésion à l’idée de l’indépendance ».
L’union selon Lahouel, Yazid et Kiouane, doit donc s’effectuer sur un programme qui exclut la revendication de l’indépendance. C’est là d’ailleurs, toute la signification du mot d’ordre du Congrès national.
LE PROGRAMME D’ACTION IMMEDIATE
Les « réalistes » de l’ex-direction ont voulu formuler des revendications acceptables par le soi-disant néo-colonialisme, dont le porte parole autorisé, M. Mitterrand, vient de réaffirmer le caractère « français » des trois départements algériens.
Dans un méli-mélo invraisemblable, nous lisons dans le projet publié par les exclus, que :
« Le Congrès National devra lutter contre le chômage, pour l’application de moyens efficaces en vue de solutions justes aux problèmes posés par l’émigration algérienne ».
Comment les exclus vont-ils lutter contre le chômage, quels sont les moyens « efficaces », les « solutions justes » ? Motus. Des précisions pourraient effrayer M. Chevallier.
Alors « tous les moyens politiques seront utilisés ». Lesquels ? ? ? Pas un mot. Ces imprécisions sont voulues. Car sur chacun de ces problèmes et pour leur solution il aurait fallu que les exclus réaffirment : c’est seulement dans le cadre d’une lutte résolue pour l’indépendance qu’il est possible de satisfaire les revendications les plus élémentaires des masses algériennes. On sait que M. Yazid estime que cette politique est entachée de sectarisme messaliste.
LA REVENDICATION LA PLUS IMMEDIATE DU PEUPLE ALGERIEN C’EST L’INDEPENDANCE
En Algérie, l’économie, les finances, la terre, l’administration, la justice, etc., tout est entre les mains de l’impérialisme français, qui a consacré sa domination par l’expropriation totale politique et économique des masses algériennes. Toute politique réaliste commande de partir de cette donnée fondamentale. Chaque mot d’ordre et revendication doit œuvrer à la mobilisation du peuple pour la reconquête de son pays. Dans le chapitre II du programme d’action immédiate, le paragraphe A est consacré à la définition d’un programme politique. On y lit, entre autres :
« e) Suppression effective des communes mixtes et des territoires du Sud et leur remplacement par des communes en plein exercice. »
M. Mitterrand vient de déclarer au Congrès des Maires d’Algérie qu’il fixait à sa politique néo-colonialiste cet objectif. Mais nous constatons que dans les cinq points du programme politique intérieur, il n’y a pas un mot sur la suppression du double collège.
L’omission de cette revendication élémentaire s’il en est, n’est pas involontaire. Car la lutte pour la suppression du double collège, impliquerait la nécessité de placer au centre de toute action le mot d’ordre de la Constituant élue au suffrage universel direct et secret. Seul ce mot d’ordre peut donner un sens aux revendications définies en particulier dans le point B sur le programme social et culturel.
Car peut-on raisonnablement assurer « le développement de la culture nationale algérienne, la scolarisation totale de l’enfance algérienne, la lutte contre le chômage, les taudis, la suppression des bidonvilles, etc., », sans que le peuple algérien recouvre sa souveraineté.
Tout ces problèmes, rejetés, comme le fait d’ailleurs M. Mitterrand, dans un paragraphe distinct du programme politique, sont politiques et non économiques. Leurs solutions impliquent que le budget de l’Etat algérien soit établi, réparti en fonction des besoins du peuple et non au profit des colons qui, pour assurer leur mainmise sur le pays, se doivent de violer cyniquement les plus élémentaires des droits démocratiques. Ainsi apparaît comme démagogique et dénué de tout réalisme le programme proposé par les exclus, dans la mesure même où ils condamnent comme sectaire le programme d’indépendance du M.T.L.D.
Remarquons à quel point est misérable le programme économique. Il y est question de la défense du paysannat sans qu’il soit fait mention de la revendication pourtant élémentaire :
« LA TERRE AUX FELLAHS »
Encore une fois, il ne s’agit pas là d’un simple oubli, car, comment serait-il possible au fellah de recouvrer la terre dont il a été chassé par l’impérialisme sans que les expropriateurs colonialistes soient eux-mêmes expropriés.
Pieusement, les auteurs du projet de programme demandent « l’augmentation et la répartition équilibrée des prêts agricoles » à qui ?
Dans la mesure où dans le projet de programme il n’est fait mention nulle part de la revendication de la nationalisation des Banques dans une seule Banque d’Etat, cette demande est adressée de fait aux banques contrôlées par l’impérialisme.
Il est inutile de répéter que les revendications, seules susceptibles d’améliorer valablement le sort du peuple algérien, ne sauraient être arrachées que par la conquête de l’indépendance. Toute action partielle et limitée ne peut trouver son sens qu’ordonnée autour de la lutte pour arracher l’indépendance, dont la conquête implique et présuppose la solution des problèmes économiques, sociaux, culturels et autres.
Le projet de programme d’action proposé par les exclus est démagogique parce qu’il cesse, de fait, d’appeler les masses à la lutte pour l’indépendance. Par suite, ce projet est dépourvu de tout réalisme, car il fait appel à la compréhension et à la bonne volonté de la bourgeoisie, baptisée, pour la circonstance, d’intelligente et de néo-colonialiste. C’est un programme d’adaptation à l’impérialisme et de capitulation devant celui-ci. C’est un programme néfaste, que le M.T.L.D. a justement condamné.
Dans notre prochain article, nous montrerons comme le mot d’ordre du Congrès National représente une utilisation frauduleuse de l’aspiration des masses algériennes à l’union.
P. LAMBERT.
MITTERRAND EN ALGERIE
SI M. Mendès-France, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères va en Tunisie, c’est M. Mitterrand, ministre de l’Intérieur qui va en Algérie. A chacun son domaine, et les trois départements de l’Algérie sont « bien français ». La politique du gouvernement est plus que jamais celle de l’assimilation et M. Mitterrand au cours de son voyage a longuement expliqué la sollicitude dont le gouverneur se proposait d’entourer ses enfants déshérités d’Algérie, sur le ton caractéristique de la politique mendésiste : réaliste … et démagogue.
Réaliste, M. Mitterrand l’est certainement lorsqu’il annonce un plan quadriennal pour le développement économique du pays, l’accroissement d’investissements dirigés essentiellement vers l’exploitation minière et pétrolière, inaugurant la collaboration économique franco-allemande dans le sens de la réalisation de l’« Eurafrique » chère à la propagande hitlérienne. Nul doute que les trusts, les grosses compagnies et les colons ne trouvent leur compte à ce réalisme là.
Mais quand il parle de « l’économique » du « social », le réalisme de M. Mitterrand s’estompe, et ses plans deviennent moins précis : on promet un effort pour l’habitat, on fait des projets pour la scolarisation et la formation professionnelle (qui devient effectivement une nécessité pour le colonialisme à partir du moment où il a besoin, non plus seulement de manœuvres illettrés, mais d’ouvriers ayant un minimum de qualification industrielle) et on donne le conseil au patronat de relever les salaires trop bas.
Mais cette démagogie répond à une réalité : la misère des masses algériennes, la sous-alimentation, la discrimination raciale, dont l’aggravation risque très concrètement, dans la prise, de conscience nationale du peuple algérien, de menacer le bel édifice « économique » du gouvernement français.
Aussi M. Mitterrand redevient-il très « réaliste » quant il s’agit de prévenir le danger : sa première mesure de bienveillance » à l’égard du peuple algérien a été l’aggravation de la déportation de Messali Hadj, exilé depuis deux ans en France. Ceci n’empêche pas M. Mitterrand « d’affirmer les droits de l’opposition pourvu qu’elle accepte de jouer le jeu légal » … Et certes, de la « légalité » M. Mitterrand en donne l’exemple qui maintient Messali en résidence surveillée, en dehors de toute condamnation « légale ».
Le peuple algérien saura apprécier les promesses qui lui sont faites. Mais sa première revendication reste : la libération de Messali Hadj. A la campagne qu’il mène courageusement en Algérie ou en France, le « Comité pour la libération inconditionnelle de M. Hadj », regroupant des Français, entend s’associer pour populariser dans la classe ouvrière française la défense de M. Hadj.
Le développement de cette campagne, menée parallèlement par le peuple algérien et par des militants de la classe ouvrière française obligera M. Mitterrand à montrer clairement quels sont les intérêts qu’il sert : ceux des trusts du colonat français ou ceux du peuple algérien.