Article paru dans Droit et Liberté, n° 209, 15 mai – 15 juin 1962, suivi de plusieurs textes dont « Sauver l’honneur ! » par Jacques Fonlupt-Esperaber
LE fondement de l’Algérie nouvelle, telle que l’ont définie les Accords d’Evian, c’est la coexistence, la coopération fraternelle, sur un pied d’égalité, des hommes d’origines et de confessions diverses qui forment sa population. C’est cela précisément que les ultras de l’O.A.S. veulent avant tout empêcher.
Défenseurs d’arrière-garde du système colonial, fondé sur les privilèges et la domination raciste de quelques-uns, ils ne peuvent admettre que les parias d’hier accèdent à l’égalité des droits individuels et collectifs, à la dignité humaine. Leur objectif est double : retarder par tous les moyens cette promotion normale et inévitable ; rendre impossible l’établissement de rapports confiants, en dressant les uns contre les autres Européens et musulmans.
Ainsi s’expliquent d’une part les destructions de bâtiments universitaires, d’hôpitaux, de centres de recherches, d’installations pétrolières, d’imprimeries, symboles de la civilisation technique dont les anciens colonisés ne doivent pas pouvoir bénéficier ; et d’autre part les massacres perpétrés quotidiennement, qui tendent à provoquer des heurts catastrophiques, et pour le moins à maintenir une cloison étanche entre les diverses communautés.
UNE SEGREGATION DE FAIT
Dès avant le cessez-le-feu, les attentats de l’O.A.S. étaient dirigés de manière à interdire l’habitation de musulmans dans les quartiers européens, et réciproquement.
La terreur n’a fait que s’accroître depuis, dans le même sens. Par exemple, l’attentat du camion d’essence piégé, qui a eu lieu récemment près des Tagarins, à Alger, n’avait d’autre but que de frapper spectaculairement un quartier où subsiste une certaine cohabitation. La « chasse à l’Arabe » organisée systématiquement dans les rues d’Oran et d’Alger, ou encore l’affreux carnage qui a coûté la vie à 150 hommes, femmes et enfants sur les quais d’Alger, aboutissent à « boucler » les musulmans dans leurs ghettos, livres à la famine, menacés par les épidémies.
Significatif à ce sujet est ce document de « l’état-major régional de l’O.A.S. » pour la « zone d’Alger », saisi au cours d’une fouille, et qui, daté du 20 avril 1962, donne les directives suivantes :
« 1) Mise à la porte progressive et discrète des domestiques musulmans ;
« 2) Mise à la porte progressive, et lorsque c’est possible, du personnel musulman des ateliers (petites et moyennes entreprises, stations d’essence, etc.) ;
« 3) Envisager le remplacement de travailleurs F.S.N.A. (1) par les étudiants qui vont se trouver disponibles incessamment. »
Cet aspect de l’action de l’O.A.S. a retenu particulièrement l’attention de l’Exécutif Provisoire. Dans son communiqué du 12 mai, il précise :
« Des directives vont être incessamment données aux préfets d’Oran et d’Alger pour recenser tous les appartements évacués sous la menace des activistes et occupés indûment, en vue d’assurer le retour de leurs locataires et mettre en échec le programme de ségrégation poursuivi depuis de nombreux mois par l’O.A.S. Le retour des locataires dans leurs anciens appartements sera rendu possible par le renforcement des forces de l’ordre tel qu’il vient d’en être décidé. »
LE PRESENT ET L’AVENIR
Il est de fait que, dans une large mesure, l’O.A.S. est parvenue, jusqu’à présent, à ses fins. Par ses crimes, qui visent, outre les musulmans, tout Européen, tout israélite soupçonné de tiédeur à son égard, elle a pu imposer le règne de la peur. Par ses campagnes d’intoxication excitant au racisme, elle a pu entrainer à la soutenir des gens désemparés, affolés, désespérés – y compris des juifs qui, paradoxalement, ont ainsi lié leur sort à une organisation d’essence fasciste, dont les éléments les plus actifs ne camouflent aujourd’hui leur antisémitisme que pour des raisons tactiques.
Et l’on se doit de souligner que tout succès obtenu aujourd’hui par l’O.A.S. dans le présent porte en lui de graves périls pour demain : toute violence crée un traumatisme durable ; et il y a le risque réel que les deuils, les colères rentrées, les rancœurs savamment entretenues ne pèsent lourdement, plus tard, sur les relations entre Algériens de différentes origines. Fort heureusement, appliquant les directives du G.P.R.A., la population musulmane fait preuve d’un sang-froid véritablement héroïque, qui lui vaut l’admiration du monde entier. Mais il est clair qu’une telle situation ne saurait s’éterniser. Il importe, pour l’avenir, qu’elle prenne fin au plus vite.
DES MESURES RIGOUREUSES
C’est dire que l’éclosion d’un réel climat de coopération, de fraternité en Algérie suppose, en premier lieu, l’élimination de l’O.A.S. Les autorités françaises, qui ont encore la responsabilité de l’ordre public, n’ont pas pris, à ce jour, les dispositions qui s’imposaient. Il faut espérer que les mesures prises les 11 et 12 mai par l’Exécutif Provisoire et le Haut-Commissaire pourront être rigoureusement appliquées, permettant de porter des coups décisifs à l’organisation fasciste avant le référendum d’autodétermination.
C’est à ce prix, comme le soulignait le mois dernier le Conseil National du M.R.A.P., « que naîtra enfin. après tant de deuils, de ruines et de déchirements, une Algérie démocratique et fraternelle, entretenant avec la France des relations d’égalité, de compréhension et d’amitié. »
(1) Français de souche nord-africaine.
HALTE AUX CRIMES !
Une déclaration du M.R.A.P.
LE Bureau National du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix (M.R.A.P.), réuni le 9 mai 1962, entend exprimer son inquiétude et son indignation devant la poursuite des crimes racistes qui ensanglantent tragiquement l’Algérie.
Cinquante jours après le cessez-le-feu, le sang coule à flots. A Oran, à Alger, les tueurs de l’O.A.S. se livrent quasi impunément à de quotidiennes Saint-Barthélémy. En pleine rue des hommes, des femmes, des enfants sont assassinés par groupes entiers. Pour de vastes quartiers musulmans, la famine s’ajoute à la terreur meurtrière.
En dépit d’arrestations spectaculaires, des témoignages concordants viennent confirmer chaque jour la carence des pouvoirs publics en Algérie même, tandis que les criminels jugés bénéficient généralement d’une extrême mansuétude et que les chefs, inspirateurs ou agents de l’O.A.S. agissent trop souvent dans une scandaleuse impunité.
Ainsi se développe une entreprise de génocide, qui non seulement risque de remettre en question les accords d’Evian, mais de préparer en France le terrain au fascisme.
EN exigeant, puis en approuvant massivement le cessez-le-feu, le peuple français a manifesté son ardent désir de paix dans la concorde et la coopération avec le peuple algérien dans le respect des droits de toutes les communautés.
En même temps qu’ils veulent détruire la paix encore fragile en Algérie, les criminels de l’O.A.S. sacrifient en réalité l’avenir des Européens qu’ils entraînent dans le meurtre et la haine.
Le peuple français a le devoir de ne pas tolérer cela.
Antiracistes, Républicains !
Le M.R.A.P. vous appelle à manifester votre solidarité au peuple algérien si douloureusement éprouvé.
Il vous appelle à exiger dans l’union, les sanctions implacables et les dispositions rigoureuses qui mettront hors d’état de nuire les massacreurs et leurs complices.
Paris, le 9 Mai 1962.
Brimades et discriminations n’ont pas cessé en France
Le cessez-le-feu n’a pas fait disparaître les discriminations, les brimades, voire les violences qui sont le lot des travailleurs algériens en France.
La plupart de ceux qui viennent d’être libérés des prisons, des camps d’internement où ils étaient souvent maintenus simplement parce que « suspects », se trouvent sans argent, sans logis, sans papiers.
Lorsqu’ils se présentent dans les usines où ils travaillaient, ils rencontrent de grandes difficultés.
Fréquemment, on refuse de les réembaucher, et ils ne peuvent bénéficier ni de la Sécurité Sociale, ni des allocations familiales.
Quand ils sont réembauchés, on leur offre des tâches plus pénibles encore que celles qu’ils avaient quittées, et on refuse de reconnaître les droits qu’ils avaient acquis, notamment par l’ancienneté. Si la situation a pu rapidement se normaliser dans diverses entreprises, petites et moyennes, elle reste particulièrement grave chez Renault, où les syndicats multiplient les démarches auprès de la direction pour que justice soit rendue aux travailleurs algériens persécutés.
Il faut signaler enfin certains transferts qui ont été effectués sous le signe de l’arbitraire complet, de nombreux libérés ayant été transportés en Algérie sans tenir compte des attaches professionnelles et familiales… Ces hommes doivent alors revenir en France à leurs frais, on devine avec quelles difficultés.
RATONNADES ?
La pratique des « ratonnades » n’a pas été totalement abandonnée, semble-t-il, à Paris même.
Témoin la plainte qu’ont décidé de déposer plusieurs Algériens, défendus par Me Ben Abdallah : arrêtés au début de mai, place Pigalle, au cours d’une rafle « au faciès », ils furent, affirment-ils, conduits au Bois de Boulogne, après avoir subi force insultes, coups de pied et coups de crosse. Là, descendus du car, les policiers les auraient encore frappés, et auraient même tiré sur ceux qui tentaient de s’enfuir.
Tous ces faits sont incompatibles avec les accords d’Evian : Comment peut-on exiger des « garanties » pour les Européens d’Algérie (garanties qui sont d’ailleurs confirmées chaque jour dans les multiples déclarations des dirigeants algériens) si les musulmans vivant en France continuent de connaitre le racisme ?
Il faut d’urgence « reconvertir » certaines méthodes et un certain état d’esprit. Il faut sanctionner sévèrement les racistes qui manifestent leur nostalgie de la guerre.
Pour une Algérie fraternelle
Au dessus du bruit des plasticages, des détonations et des mitraillades, retentit, à la fois chaleureuse et ferme, la voix de la fraternité. Nous avons rassemblé ici quelques déclarations récentes de responsables de l’Algérie. A la lecture de ces textes historiques, dont le rapprochement est riche d’enseignements, les antiracistes puiseront, nous n’en doutons pas, des raisons de confiance en l’avenir.
M. FARES : « Nous ne ferons pas de racisme à rebours. »
Dès le lendemain de l’installation de l’Exécutif Provisoire, son président, M. Abderrahmane Farès affirmait :
« Je précise que la main tendue à nos compatriotes européens est une main sincère et loyale. Nous sommes conscients de l’avenir de notre pays, et aussi que l’Algérie a besoin de l’effort de tous ses enfants. »
Dans son discours télévisé du 18 avril, il allait souligner :
« Lorsque je parle du peuple algérien, ce peuple, dans mon esprit, se compose de mes sœurs et frères de race et de religion, mais aussi de tous mes compatriotes européens et israélites, parce que – qu’on le veuille ou non – cet ensemble malaxé par les joies, les espoirs, les dures réalités et épreuves vécues, constitue un peuple en gestation …
« Nous voulons la réconciliation des Algériens, de tous les Algériens. Ce que nous voulons réaliser, c’est la vraie fraternité, non par les mots, mais par les cœurs. »
M. BEN KHEDDA : « Les Européens ont leur place dans l’Algérie de demain. »
De son côté, dans son allocution radio diffusée du 9 mai, M. Ben Khedda, président du G.P.R.A., après avoir dénoncé avec énergie les crimes de l’O.A.S., a lancé cet appel :
« Européens d’Algérie, ces crimes ne plaident pas en faveur de votre avenir dans notre pays. II est temps pour vous de vous dégager de cette solidarité dans le désespoir, et d’ouvrir les yeux face aux nouvelles réalités algériennes. »
« Les Européens, a-t-il encore déclaré, ont leur place dans l’Algérie de demain. Il leur appartient de décider s’ils veulent la mériter. »
Le Docteur MOSTEFAI : « Une nécessité objective. »
A Rocher Noir, faisant écho à ces prises de position sans équivoque, le Dr Chawki Mostefaï, délégué aux Affaires générales de l’Exécutif Provisoire, expliquait le 19 avril, aux conseillers généraux de Tizi Ouzou :
« Une Algérie indépendante, acceptant dans son sein des éléments européens qui voudraient en être les citoyens à part entière, n’est pas une position tactique inventée pour les besoins d’une solution de la guerre d’Algérie, avec l’arrière-pensée de renier nos engagements dès que l’indépendance sera acquise. »
« Bien plus, cette affaire de cohabitation n’est pas une attitude fortuite ou sentimentale, mais elle répond à une nécessité objective d’assurer la continuité de l’évolution ascendante de l’Algérie moderne sur les plans économique, administratif, social et culturel. »
M. Jean MANNONI : « Notre patrie commune… »
M. Jean Mannoni, délégué aux Affaires financières de l’Exécutif Provisoire, s’adressait, en ces termes, aux Européens, dans son allocutions du 3 mai :
« Votre patrie ? Mais vous y êtes dans votre patrie … Vous savez bien que vous ne pourrez pas vous arracher à cette terre que vous aimez tant. »
« Avez-vous réfléchi à cela ? Il est temps de vous ressaisir. Faites-le, mais faites-le très vite, je vous en supplie. »
M. Christian FOUCHET : « Il faut choisir ! »
Les déclarations faites à plusieurs reprises par M. Christian Fouchet, Haut Commissaire de France en Algérie, vont dans le même sens que celles des membres de l’Exécutif Provisoire et du G.P.R.A. Le 25 avril, il affirmait:
« Il faudra, une fois les tumultes apaisés, que vienne le moment où les hommes se regarderont dans les yeux, où les enfants redeviendront des enfants qui jouent ensemble, où la paix redescendra dans les cœurs. »
Et le 4 mai :
« Des individus sans foi ni loi, vous parlent d’Algérie Française, et ils font tout pour faire haïr la France. Ils parlent des droits à la culture, et ils détruisent l’université et les moyens d’enseignement. Ils parlent des droits des ouvriers, et ils détruisent les caisses d’allocations. Ils parlent, ils osent parler de chrétienté, et ils assassinent les enfants. »
« Je sens bien d’ailleurs que des centaines de milliers d’entre vous savent que je dis vrai … Je leur demande de se désolidariser ouvertement, des assassins d’enfants …
« Il faut désormais choisir, et ce n’est pas demain, c’est aujourd’hui qu’il faut choisir. »
M. YAZID : « Une coopération fructueuse. »
Le lendemain, M. Yazid, ministre de l’information du G.P.R.A., déclarait également :
« Les textes et les principes sont une chose, et nous y restons profondément attachés, mais dans leur application vont se poser des problèmes de cohabitation entre gens d’origine différente, entre gens qui, dans les moments que nous vivons doivent choisir, aujourd’hui et pas de main, entre la coopération fructueuse et l’aventure à laquelle il sont conviés par l’O.A.S. »
M. BEN BELLA : « Les juifs d’Algérie sont des Algériens au même titre que nous tous »
Les déclarations prêtées à M. Ben Bella au Caire, par l’Agence du Moyen-Orient, et qui avaient suscité une certaine émotion, ont été formellement démenties, le 23 avril, par M. M’hammed Yazid, ministre de l’Information du G.P.R.A., au cours d’une conférence de presse.
« Je signale, a-t-il dit, qu’on a bâti des théories sur des propos qui ont été prêtés à M. Ahmed Ben Bella et que ce dernier n’a jamais tenus. Je me réfère à cette soi-disant déclaration, où l’on parlait de l’envoi de cent mille Algériens au Moyen-Orient et en Afrique. »
De son côté, M. Saad Dahleb, ministre des Affaires étrangères du G.P.R.A., a affirmé que de tels propos ne correspondent « ni de près ni de loin à la réalité ».
Ce démenti a été réitéré par M. Ben Bella lui-même, le 27 avril, au cours d’une interview qu’il a donnée à l’agence United Press.
« Les juifs d’Algérie, a-t-il déclaré, sont des Algériens au même titre que nous tous. La charte du F.L.N. est claire à cet égard, et je pense qu’ils auraient dû s’en tenir à cela, et ne pas se montrer aussi accessibles à une intoxication trop facile. L’Algérie se fera avec tous ses enfants. Il leur appartient seulement de lui être fidèles. »
Et à propos des Européens en général :
« Les accords d’Evian leur donnent les chances les meilleures pour l’avenir. Encore faut-il qu’ils veuillent bien saisir ces chances. Ils ont en Algérie des droits auxquels il ne sera pas fait tort, mais aussi des obligations. »
Deux jours auparavant, interviewé par Algérie Presse Service (A.P.S.), le vice-président du G.P.R.A. avait souligné :
« Le caractère arabo-musulman de l’Algérie, ne saurait constituer un obstacle à la vie en commun de tous les Algériens sans discrimination de race ou de religion ; les valeurs de notre culture nationale, qui s’est forgée historiquement dans le creuset de la civilisation arabo-musulmane, ne sont pas exclusives et restent largement ouvertes à tout autre apport humain authentique et aux valeurs de notre temps. »
SIGNES…
« Des signes manifestes de détente existent à l’intérieur du pays entre Européens et musulmans, et c’est cela qu’il faut développer », a déclaré, le 10 mai, le Dr Mostefaï, délégué aux Affaires générales de l’Exécutif Provisoire.
De même, dans son communiqué du 12 mai, l’Exécutif Provisoire affirmait :
« Contrairement aux calculs de l’O.A.S., la population européenne commence elle-même à être révoltée par ces crimes quotidiens et tend à se désolidariser des tueurs de l’O.A.S., comme des faits précis le démontrent. »
Dans le même sens, le correspondant du « Monde » (15-16 avril 1962), Michel Goué, écrit :
« A Bab-El-Oued comme dans les autres quartiers d’Alger, j’ai pu constater que les multiples attentats commis ces derniers jours contre des musulmans qui circulaient dans les rues du centre, ont rendu plus sensible un mouvement perceptible depuis quelque temps déjà. Peu à peu, les Européens prennent quelque distance à l’égard de l’O.A.S. Il serait inexact de croire que le point de rupture sera bientôt atteint, ni même que les thèses fondamentales de l’organisation activiste puissent être désavouées. Au contraire. Nombreux sont ceux néanmoins qui osent maintenant critiquer ouvertement l’armée secrète et réprouvent certains de ses actes.
« La raison de cette attitude contradictoire est que les Européens pensent qu’il leur est toujours possible de s’entendre directement et localement avec les musulmans – ils aiment d’ailleurs parler de leurs « bons Arabes » – tout en les craignant. Ainsi, j’ai entendu à Bab-El-Oued cette réflexion : « Ce n’est pas en tuant des Arabes que nous réussirons. Ce sont eux qui ont le plus souffert depuis sept ans de guerre. Il est injuste maintenant de nous en prendre à eux. C’est une faute grave. »
UN COMITE ANTIFASCISTE
Signalons enfin une information diffusée par l’agence Algérie Presse Service, indiquant qu’un Comite antifasciste, composé d’Européens et de musulmans s’est constitué à Alger.
Ce Comité a lancé un appel, diffusé par tracts et affichettes, dans lequel il stigmatise les crimes de l’O.A.S. et invite les Européens à prendre leur place dans l’Algérie nouvelle.
« Prenez conscience que votre avenir est sur cette terre qui vous reconnaît comme les siens, déclare-t-il, tournez le dos à un passé révolu. »
A L’INTENTION DES JUIFS
Ce même Comité a diffusé un tract destiné aux juifs, dont le texte est le suivant :
« Juifs d’Algérie.
« O.A.S. : fascisme.
« O.A.S. : antisémitisme.
« O.A.S. : Auschwitz, Buchenwald, ghetto de Varsovie.
« Ne l’oubliez pas. »
SAUVER L’HONNEUR !
Par Jacques FONLUPT-ESPERABER
Ancien député, Conseiller d’Etat honoraire
QUE les Européens d’Algérie – Français de nationalité ou étrangers – restent attachés à la conception de « l’Algérie française » ne saurait surprendre.
La naissance d’une Algérie indépendante et souveraine les obligera, en effet, à rompre avec de longues accoutumances, avec des conceptions de vie tenues par eux comme indiscutables, avec la conviction enracinée jusque dans l’esprit des plus médiocres qu’ils représentent outre-Méditerranée une élite, une race supérieure à qui appartiennent de plein droit le commandement et la puissance.
Cette rupture avec le passé sera dure. Les Français de la métropole ne l’ignorent pas, qui sont prêts à apporter aux Européens d’Algérie la compréhension, l’aide et l’amitié auxquelles leur donne droit l’épreuve qui les accable.
Encore faut-il que les excès criminels des dirigeants, des militants et des complices de l’O.A.S., l’appui ou la tolérance complaisante qu’ils rencontrent dans la masse de la population « pied noir » n’aboutissent pas à creuser entre les Français de France et ceux qui, en Algérie, prétendent justifier par le patriotisme leur abominable comportement, un fossé qu’il deviendrait vite difficile de combler.
BIEN avant qu’éclatât la rébellion de 1954, les Européens d’Algérie avaient, par de longues et redoutables erreurs, créé dans ce que, bien à tort, ils voulaient considérer comme « une province française », semblable aux autres, une situation qui n’était ni matériellement, ni politiquement, ni moralement tolérable pour la population musulmane. Paris qui, en vertu d’une tradition fermement établie, subissait l’influence toute-puissante de quelques élus européens d’Algérie et des représentants des grands intérêts algériens, n’exerçait pas en fait l’autorité que le gouvernement détenait en droit. En 1947, lors des débats sur le Statut, un des élus musulmans avait pu s’écrier : « Jamais la France n’a été présente en Algérie ! » Pour sommaire qu’il fût, ce propos correspondait à la réalité profonde. L’Algérie appartenait aux Européens d’Algérie : la masse musulmane – qui constituait cependant les neuf-dixièmes de la population – vivait dans leur dépendance.
Bien plus, et encore que la plupart d’entre eux se réclament de la civilisation judéo-chrétienne, ces Européens – pour le plus grand nombre du moins – professaient un évident mépris pour les musulmans, comme eux adorateurs du Dieu d’Abraham, comme eux ayant combattu sous le même drapeau et à qui nos lois avaient depuis peu reconnu – théoriquement hélas ! – les mêmes droits qu’à eux-mêmes.
LE mépris raciste – inconscient chez beaucoup et qui n’excluait pas entre des membres des deux communautés des liens d’amitié personnelle – porte aujourd’hui ses fruits horribles.
Après avoir rendu impossible par leur opposition l’évolution qui eut fait de l’égalité des droits une réalité et permis la création progressive, dans une unité nationale sauvegardée, d’une personnalité algérienne largement autonome ; après avoir cherché ensuite à retarder par tous les moyens la confrontation nécessaire entre les représentants de la France et ceux de l’Algérie dont la vocation nationale s’était affirmée dans la lutte, les Européens hostiles à l’accord réalisé à Evian, n’ont plus eu d’autre but que d’empêcher son application.
Pour briser la volonté contraire solennellement exprimée par l’immense majorité de la nation, les extrémistes d’Algérie ont eu recours aux pires procédés ; à ceux dont l’emploi est déshonorant pour tout homme d’esprit droit : ils ont multiplié les vols, les attentats par explosifs, les attaques par armes à longue portée, les assassinats atteignant non seulement des partisans du régime nouveau, mais encore, au hasard des rencontres, de simples passants, tués pour le seul motif qu’ils n’étaient pas de race européenne.
Ces actes de folie criminelle, sans effet direct possible sur le cours des événements, étaient inspirés par la volonté de provoquer la colère et la révolte des masses musulmanes et, par là, de déclencher la guerre civile.
Jusque dans les rangs de notre armée, des hommes se sont trouvés pour faciliter une telle entreprise : des officiers, infidèles à leur serment, ont déserté le drapeau, des généraux sont entrés en rébellion pour devenir les chefs de bandes d’assassins. Le sang des femmes musulmanes, abattues dans les rues d’Oran et d’Alger alors qu’elles venaient gagner chez des Européens le pain des leurs, les marque tous d’une honte qu’aucune indulgence ne saurait effacer.
BIEN des erreurs, certes, bien des fautes, bien des habiletés misérables, bien des atermoiements dans l’adoption des mesures qui eussent pu empêcher le pire, bien des faiblesses anciennes et récentes, dans la répression d’abus criminels, engagent dans ces tristes événements la responsabilité du pouvoir – celui d’hier comme celui d’aujourd’hui.
Il y a toujours eu des amnisties honteuses, comme il y eut des condamnations excessives et des acquittements scandaleux. Mais l’heure des regrets est aujourd’hui dépassée, et l’heure est venue de la stricte justice – d’une justice impartiale, rendue sans haine, dans le seul et légitime souci de sauver l’unité de la patrie et son honneur.
Car c’est l’honneur de la France qui est en jeu aux yeux du monde qui nous observe et à qui. dans le passé, nous avons eu l’orgueilleuse fierté de donner des leçons et des exemples.
Jacques FONLUPT-ESPERABER.
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