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Pierre Lévy : La riposte nécessaire

Editorial de Pierre Lévy paru dans Droit et Liberté, n° 322, juillet 1973 ; suivi de « L’été raciste d’Ordre nouveau » par Michel Philly

LE racisme a tué une nouvelle fois. En France. A Ivry, le 2 juillet au soir, un jeune maçon portugais, Fernando Ramos, frappé et poursuivi par un commando motorisé, s’est noyé dans la Seine.

Au cours de cette soirée et les jours précédents, des agressions semblables contre des Algériens, des attentats contre des cafés fréquentés par des immigrés ont eu lieu à Ivry même et dans d’autres localités de la région parisienne.

Dans le Midi, des actes inspirés par une égale cruauté (attaques contre des travailleurs isolés, incendies de bidonvilles) sont signalés autour de Nice. A Grasse, le mois dernier, c’étaient les gardes mobiles, épaulés par quelques racistes du crû, qui se livraient à une atroce « ratonnade», comme aux temps de l’O.A.S. A Fos intervenant contre les grévistes, les forces répressives s’acharnaient particulièrement sur les immigrés.

Entre temps, s’était tenu, sous la protection de la police, le meeting d’ « Ordre Nouveau » contre « l’immigration sauvage », insolente provocation à la haine et à la violence.

Imaginons que de tels faits, en un délai aussi bref, se produisent dans un autre pays. Ne crierait-on pas que ce pays est en proie aux démons les plus dangereux du racisme ? Qu’il y a lieu de protester, de mettre fin d’urgence à ces actions, de mobiliser partout l’opinion publique ? Mais c’est en France que nous les observons. Directement concernés, il nous faut prendre assez de recul pour mesurer la gravité du mal, que trop de Français encore minimisent ou ignorent. Et quant aux gouvernants qui pourraient – et devraient – le maîtriser, et qui, au contraire le laissent croître, ou même contribuent à son extension, quelle idée se font-ils donc de la grandeur nationale ? Est-ce ainsi, selon eux, que la France des Droits de l’Homme doit célébrer le 14 juillet ?

APRES sa manifestation, le groupement « Ordre Nouveau » a certes été dissous. Mais le déroulement de la nuit du 21 juin présente des circonstances si troublantes que la décision apparaît comme un élément d’une machination dont les objectifs sont différents.

L’interdiction de la Ligue Communiste dont les militants, justement indignés par les menées d’ « Ordre Nouveau » et la complaisance des pouvoirs publics, n’ont pas su déjouer le piège tendu crée une inacceptable symétrie entre les fascistes et les antifascistes. Si la voie se trouve aujourd’hui ouverte à l’arbitraire, à l’effritement des libertés démocratiques, « Ordre Nouveau » continue, lui, de bénéficier d’une singulière mansuétude.

Quand ses groupes armés se sont déployés en pleine rue, des policiers leur ont fait escorte. Alors que des armes ont été saisies dans son local et chez ses militants, ses « chefs » ne sont nullement inquiétés. Ils s’agitent et parlent haut. Ils menacent de la Justice qui conque les aura qualifiés de racistes. Ils vont jusqu’à suggérer au ministre de l’Intérieur la dissolution des syndicats de la police qui ont dénoncé le comportement des autorités et souligné le caractère illégal du meeting de la Mutualité.

C’EST un fait qu’à aucun moment, les excitations xénophobes, racistes d’ « Ordre Nouveau », et du « Front National » n’ont été stigmatisées en haut lieu. A quoi sert donc la loi du 1er juillet 1972, votée par l’unanimité du Parlement, si elle ne s’applique pas en pareil cas ?

Alors que tous les journalistes présents à l’assemblée d’ « Ordre Nouveau » ont constaté son climat raciste et antisémite, seuls les envoyés de M. Marcellin n’y ont vu qu’une bénigne causerie où l’on « traitait de l’immigration ». Faut-il comprendre que le traitement normal des immigrés consiste, selon lui, dans l’insulte, la calomnie et la matraque ? Serait-il sur ce point en accord avec M. Brigneau, responsable d’ « Ordre Nouveau » et de « Minute », qui vient de rappeler les liens qui les unissaient naguère, comme anciens « soldats du Maréchal » ?

LA poussée de racisme que connaît la France est d’autant plus préoccupante qu’elle se situe dans un contexte où se renforcent les pressions et la répression contre les immigrés. Si, à suite de l’action syndicale, des grèves de la faim, des luttes d’associations telles que le M.R.A.P., des aménagements sont apportés à la « circulaire Fontanet », celle-ci demeure pour l’essentiel. Loin de rassurer les immigrés et de réfuter les campagnes hostiles qui les visent, il arrive trop souvent que des propos officiels donnent prise à des interprétations où s’alimentent les préjugés.

Ainsi, quand le ministre des Affaires sociales, M. Gorse, fait du « contrôle » la panacée permettant de résoudre tous les problèmes, et emploie lui-même l’expression « immigration sauvage ». Mieux que quiconque, il sait pourtant que la venue des travailleurs étrangers « clandestins » était jusqu’à présent prévue et comptabilisée dans le Plan, donc contrôlée en fait.

Et l’on ne peut que s’étonner lorsque, parlant des réalisations actuelles, le ministre va répétant que les fonds publics « ont des limites» et qu’on ne peut « alimenter sans fin un tonneau des Danaïdes». Car laissant entendre que les migrants pèsent dangereusement sur le budget de l’Etat, il semble oublier que le milliard dont il parle, investi dans la construction, provient pour l’essentiel des retenues effectuées sur les allocations familiales des migrants eux-mêmes.

Tout se passe comme si l’on déplorait, dans certains milieux, les quelques améliorations obtenues par les travailleurs, leur combativité croissante, la prise de conscience de l’opinion, qui leur exprime une solidarité de plus en plus effective. Comme si, sur des registres divers, tout était fait pour les intimider, les isoler, en faire les boucs émissaires des frustrations et des difficultés qu’affrontent de nombreux Français. Et, le racisme étant indivisible, on voit réapparaître de virulentes excitations antijuives, systématiquement diffusées par tracts dans les différentes couches sociales.

TOUT cela est grave. Un douloureux passé a maintes fois prouvé que les atteintes aux droits, aux libertés, à la dignité d’une catégorie de la population ne peuvent aller sans des atteintes aux droits, aux libertés, à la dignité de tous.

Il faut arrêter à temps cette évolution funeste. Une action d’une ampleur sans précédent s’impose pour contre carrer les agissements racistes, pour prévenir l’intoxication des esprits, pour obtenir la mise en œuvre vigoureuse de la loi.

Ce combat, qui répond aux aspirations démocratiques de la majorité des Français, ne pourra être mené à bien qu’avec leur large concours.

Albert LEVY.


Un crime

Le racisme a tué en France une nouvelle fois. Le 2 juillet, vers 22 heures, M. Fernando Ramos, 24 ans, ouvrier maçon, de nationalité portugaise, prenait le frais sur la berge du quai Henri Pourchasse, à Ivry, lorsqu’une estafette blanche s’arrêta près de lui. Pendant que deux de ses occupants restaient dans le véhicule, trois autres descendirent et s’en prirent au jeune ouvrier, le rouant de coups. M. Bertolino Marques, couché dans l’herbe, a pu observer la scène. M. Ramos se serait jeté à la Seine pour échapper à ses poursuivants. Le témoin se précipita pour donner l’alerte, mais on devait retrouver le corps de la victime flottant dans la Seine.

D’autres attentats

Les agresseurs sont alors remontés dans l’estafette. Ils se sont arrêtés devant un café fréquenté par des travailleurs originaires d’Afrique du Nord et ont brisé les vitres à coups de pavés.

Cette incroyable « ratonnade » fait suite à une série d’attentats racistes qui se sont déroulés quelques jours plus tôt à Paris et dans le Val-de-Marne.

Au cours de la nuit du 23 au 24 juin à Ivry-sur-Seine, un cocktail Molotov était lancé dans un bar situé 7, rue Gaston-Cornavin, brûlant légèrement aux jambes trois ouvriers algériens.

A Vitry-sur-Seine, un autre engin a été lancé dans un café, 13, rue Auguste Blanqui, sans toutefois provoquer de dommages.

Le 24 juin, vers 1 heure, deux cafés du Ise arrondissement étaient attaqués de la même manière. Dans l’un, 228, rue de Javel, on devait constater quelques dégâts ; dans l’autre, 14, boulevard Garibaldi, l’engin n’a pas explosé.

Afin d’arrêter cette évolution, lourde de périls pour notre pays et que les démocrates ne sauraient tolérer, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix a pris l’initiative d’un meeting à Ivry avec le soutien de nombreuses organisations pour faire échec au racisme.


L’été raciste d’ « Ordre nouveau »

LE 21 juin, c’est l’été. Ce jeudi soir, « Ordre nouveau » tient meeting à la Mutualité, contre « l’immigration sauvage ». La veille, pour défendre les libertés, des dizaines de milliers de Parisiens défilent de Charonne à la gare de l’Est. La veille encore, le général Bigeard est nommé adjoint au gouverneur militaire de Paris. Quelques heures avant les affrontements qui vont se dérouler à Paris, le ministre de l’Intérieur, M. Marcellin, dénonce la multiplication des manifestations qui empêchent, selon lui, la police de remplir ses tâches de sécurité. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre quel soutien peuvent apporter aux thèses du ministre et à tous les partisans d’un « ordre » musclé, des combats de rue à Paris, à coups de boulons et de cocktails Molotov.

C’est au cours de son congrès, où l’on a remarqué parmi les invités, la présence des néo-fascites italiens du M.S.I. et de mouvements grecs soutenant les colonels, que le groupe d’extrême droite « Ordre nouveau » a mis au point les détails d’une campagne nationale pour inviter les Français à refuser « l’immigration sauvage », en reprenant une expression lancée par M. Gorse, ministre du Travail, à la tribune de l’Assemblée nationale. Non content d’afficher leur racisme, de fomenter la xénophobie, ces énergumènes prétendent organiser à l’automne prochain, « un rassemblement de la jeunesse européenne » dans un « village nationaliste », acheté dans les Alpes de Haute-Provence.

La provocation

En dépit des nombreuses protestations de la part des organisations démocratiques, lettres, pétitions, télégrammes, délégation auprès du Préfet de Police, M. Lenoir, celui-ci soutient que le meeting ne paraît pas « de nature à troubler l’ordre public ». En l’autorisant et en accordant aux fascistes d’ « Ordre nouveau » la protection de sa police, le gouvernement crée, ce soir-là, les circonstances d’une énorme provocation.

Autour de la Mutualité, un formidable appareil policier est déployé, De véritables convois traversent Paris. Dès 20 heures, les heurts sont extrêmement violents. Indignés par les menées d’ « Ordre nouveau » et par la complaisance des pouvoirs publics, un millier de jeunes gauchistes foncent dans le piège qui est tendu.

Et ce sera l’affrontement violent avec les forces de police, dans des conditions qui n’ont pas fini d’alimenter la polémique. Les policiers – sur la foi des ordres et des indications diffusés en phonie – ont été effectivement « surpris ». Pourtant, M. Marcellin déclarera : « le Préfet de Police … savait que leur manifestation (celle des gauchistes) risquait d’être très violente ». Mais alors pourquoi avoir ravitaillé les policiers « sur place » avec des grenades enveloppées dans leur emballage plastique de sortie d’usine ? Pourquoi avoir procédé à une répartition des effectifs que tous les témoignages de policiers contestent ? Pourquoi avoir envoyé seulement quarante hommes en patrouille rue Monge, alors que des policiers n’ont pas manqué de signaler au commandement la présence de certains éléments sur les toits,

C’est cet affrontement, poursuivi boulevard de l’Hôpital, qui va faire le plus grand nombre de blessés (au total, soixante-treize membres des forces de l’ordre, selon la préfecture de police).

Devant la Mutualité, cernée par un important cordon de policiers qui filtre les arrivants, les militants d’ « Ordre nouveau », casqués, habillés de cuir et armés de matraques sont prêts à toute éventualité.

Dans la salle, où un peu moins d’un millier de personnes ont pris place, un grand panneau illustré d’une main tendue. Une tribune décorée d’une croix celtique. Pendant plus de deux heures, six orateurs se succéderont, vomissant la xénophobie, la haine raciste, l’antisémitisme, ne rappelant que trop d’autre temps, d’autres hommes, d’autres discours.

Le meeting raciste

La loi contre le racisme, cible de choix des dirigeants d’ « Ordre nouveau » est particulièrement malmenée. Alain Renaud, membre du secrétariat permanent n’hésite pas à déclarer : « … Cette loi interdit et réprime toute discrimination, c’est-à-dire, toute différence en faveur de nos propres concitoyens. C’est donc une loi raciste, anti-française ». Cette loi est tournée en dérision par les orateurs qui agrémentent leurs attaques de calomnies grossières envers les travailleurs immigrés. Le Docteur Navarre qui lui succède affirme : « La France ne doit pas devenir la plus grande école et le plus grand hôpital du Tiers-Monde ». Quant à François Brigneau, fidèle à lui-même, il dénonce avec fougue l’action du M.R.A.P., provoquant dans l’assistance des manifestations d’antisémitisme lorsqu’il déclare : « Le peuple juif a gardé son intégrité parce qu’il ne s’est pas mélangé. Mais nous n’avons pas de leçon à recevoir de la part de ceux qui ont enfermé les Palestiniens dans des camps, ou de la part de leur soutien en France ». Thème qu’il reprendra dans l’éditorial de « Minute » quelques jours plus tard. Mêlant l’insulte, se présentant comme le meilleur défenseur de la loi sur le racisme, préconisant son renforcement même, définissant « l’immigration sauvage » qui devient invasion sournoise ou immigration illégale, accusant la « ligue communiste » de « recruter les plus sauvages de ses commandos d’assassins parmi ces immigrants sauvages ». Pour terminer par un véritable appel au meurtre. Il se sent « menacé comme des millions de Français » et n’hésite pas à écrire : « Dans la légitime défense, on tire à vue » ! Tout le monde : journalistes, policiers, souligneront que ce meeting était raciste dans sa conception et dans son déroulement. Seul M. Marcellin, n’y voit qu’une réunion consacrée à l’immigration : « Des réunions d’ « Ordre nouveau » ont déjà été interdites … en raison de leur caractère néo-fasciste et néo-nazi. Tel n’était pas le caractère de la réunion du 21 juin 1973 qui traitait de l’immigration ». (M. Marcellin, interview à « France-Soir ».) M. Marcellin était-il d’accord avec les thèmes d’ « Ordre nouveau » présentés par M. Brigneau, qui n’a pas manqué de lui rappeler leur passé de « soldats du maréchal » à une époque où le ministre de l’Intérieur ne le trouvait « ni néo-nazi, ni néo-fascite » ?

A la sortie de la Mutualité, la police fait une véritable haie protectrice. Mieux encore, des groupes d’intervention, des motards accompagnent à bon port les groupes d’ « Ordre nouveau ».

Au matin, l’opération se termine, six éléments d’ « Ordre nouveau » sont interpellés. Vingt-cinq militants de la « ligue communiste » sont également arrêtés lors de la perquisition effectuée dans les locaux de l’organisation. Sept condamnations et vingt-trois inculpations prononcés.

Les protestations

Dès le lendemain de nombreuses prises de position seront publiées. Chez les policiers, la Fédération des syndicats de Police C.G.T. constatera : « Que le gouvernement porte une lourde responsabilité à propos des incidents ». La Fédération C.F.D.T. de la Police nationale : « Dénonce l’attitude des responsables de l’Etat qui en autorisant la tenue d’une réunion d’un mouvement extrémiste de droite en violation de la loi du 1er juillet 1972, ne pouvaient ignorer le risque évident que cette réunion comportait ».

M. Gérard Monate, secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de Police, écrira à propos du meeting : « … Le mot d’ordre de ce rassemblement était ouvertement raciste, donc contraire à la loi, et nous sommes en droit de nous demander pourquoi il a été autorisé ».

Plusieurs autres syndicats de policiers se sont émus également de l’offensive du gouvernement qui vise à « politiser » une partie de la police dans un sens hostile à la démocratie et à la liberté.

Amené, à la suite des protestations qui se multiplient à interdire (enfin ! les manifestations annoncées par « Ordre nouveau » à Marseille et à St-Etienne, il interdit aussi un meeting de la « Ligue communiste » prévu à Vincennes. Ainsi à partir de la confusion créée par les manifestations du 21 juin, il place sur le même plan les menées racistes et les protestations qu’elles suscitent. Dans le même esprit, le gouvernement décide en Conseil des ministres, l’interdiction du mouvement « Ordre nouveau » et de la « Ligue communiste ».

Il est préoccupant que les mesures gouvernementales frappent simultanément un groupe raciste subversif et ceux qui s’opposent à lui : car, où l’arbitraire s’arrêtera-t-il ? Le procédé soulève d’autant plus la réprobation que la symétrie n’est qu’apparente, puisque les dirigeants d’ « Ordre nouveau » ne sont nullement inquiétés et, même, intensifient impunément leurs menaces. C’est ainsi qu’Alain Robert, le secrétaire général de ce groupe, annonce qu’il engagera des poursuites contre « les journaux et mouvements » qui auront dénoncé les thèmes défendus par « Ordre nouveau ».

La loi relative à la lutte contre le racisme n’est pas appliquée à ce groupe, qui pourtant, la combat et la viole d’une façon flagrante et systématique. « Ordre nouveau » est dissous, mais le « Front national », qui en est l’émanation continue, la presse raciste multiplie les provocation à la haine. Attentats, agressions se multiplient, contre les immigrés, dans le même temps où ils sont l’objet de mesures de repressions policières et administratives. Il est urgent d’arrêter cette évolution, il est urgent partout de faire échec au racisme.

Michel PHILLY.


LE M.R.A.P. ENGAGE DES POURSUITES CONTRE L’ORGANE D’ « ORDRE NOUVEAU »

Le M.R.A.P. a décidé de porter plainte contre l’organe d’ « Ordre Nouveau », « Pour un ordre nouveau », dont le numéro de juin, consacré en grande partie aux travailleurs immigrés, constitue une provocation à la haine et à la violence racistes, aux termes de la loi du 1er juillet 1972.

Les avocats désignés par le M.R.A.P., Mes Fred Hermantin, Daniel Jacoby et Louis Labadie ont déposé une citation directe.


Des agressions répétées

– A Nice, trois jeunes gens, dont deux membres d’« Ordre Nouveau », ont attaqué à coups de barre de fer, un passant, M. Henri Badaine, qu’ils soupçonnaient d’avoir assisté à un meeting organisé par des mouvements de gauche. La fouille de leur voiture a permis de découvrir un véritable arsenal composé de billes d’acier, barres de fer, etc.

– A Paris, trois militants d’« Ordre Nouveau » ont été inculpés après l’attaque d’un passant pour coups et blessures volontaires et infraction à la législation des armes. Ils faisaient partie d’un groupe d’une douzaine de jeunes gens, armés de matraques et de barres de fer, réunis à la sortie du congrès d’« Ordre Nouveau », dans la soirée du dimanche 10 juin.

– Une quarantaine de nervis d’ « Ordre Nouveau » ont agressé les étudiants qui venaient assister au centre universitaire de la rue d’Assas, à une séance du ciné-club Jean Vigo. 250 étudiants devaient suivre la projection d’un film sur Cuba, la Bataille des 10 millions. Cette agression a servi de prétexte pour faire circuler dans le quartier de nombreuses colonnes de cars de police. La représentation annulée s’est déroulée quelques jours plus tard en présence de nombreux participants venus protester à rappel de plusieurs organisations.

– A Paris, sept militants d’« Ordre Nouveau » sont poursuivis après les violences exercées à rencontre de M. Bernard Leclercq, élève-professeur à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. M. Leclercq avait été frappé, après qu’il eût fait une réflexion en les voyant coller des affiches sur les murs de son établissement.

– A Paris, un militant d’« Ordre Nouveau », chargé d’encadrer les lycéens, a été interpellé le 28 juin, alors qu’il portait un cabas contenant un fusil de chasse démonté. Il a reconnu avoir pris cette arme au siège d’« Ordre Nouveau », rue des Lombards, afin de la soustraire aux investigations éventuelles de la police. A son domicile, ont été trouvées en suite deux grenades et des mines d’exercice.


« Sale youpin ! … »

Nous avons reçu le témoignage de deux jeunes membres de la Ligue communiste, Alain et Philippe C., arrêtés le vendredi matin 22 juin, au siège de cette organisation, à la suite des évènements de la nuit précédente.

Après une journée passée au commissariat de la rue François-Miron, dans le 4e arrondissement, ils furent conduits au Dépôt, quai des Orfèvres, vers 22 h. 30. C’est alors que leur groupe (cinq personnes) fut l’objet de nombreuses insultes racistes et antisémites.

A l’un d’eux, que l’on peut croire d’origine nord-africaine, un gardien, affirment-ils, a lancé : « Au temps des ratonnades, on les balançait à la Seine… J’espère que ce sera bientôt votre tour. »

Les deux témoins rapportent également ces propos tenus par d’autres gardiens à l’intention de ceux qui avaient un nom à consonnance juive : « Ils n’ont pas connu Dachau… Il faudrait le leur faire connaître »; ou : « Ils ont échappé aux camps de concentration, on va y remédier.» Un autre gardien, déclarent-ils, s’est écrié : « Tiens, voilà la juiverie : toujours les juifs et les bicots ! »

Comme Alain C. s’éloignait du groupe, il s’entendit rappeler à l’ordre en ces termes : « Tu vas rester là, sale youpin ! » …


Grasse : un symptôme

A Grasse vivent six mille travailleurs étrangers, un tiers de Calabrais, un tiers d’Espagnols et autant de Maghrébins – Algériens et Tunisiens surtout. Le reste de la population, 28 000 personnes environ compte une proportion importante de commerçants, de petits exploitants, de retraités aussi venus finir leur existence sur les pentes ensoleillées des Alpes Maritimes.

Après une première manifestation le lundi 11 juin qui se déroule dans le calme, dès 8 h 30 le lendemain deux cents travailleurs immigrés, pour la plupart Maghrébins, se groupent devant la mairie pour réclamer notamment « le droit de vivre, la possibilité d’obtenir des cartes de séjour, l’abrogation de la circulaire Fontanet ».

Une délégation demande a être reçue à la mairie. En vain. Le maire, Hervé de Fontmichel, encadré par quelques employés municipaux et une escouade de sapeurs-pompiers donne l’ordre à ceux-ci d’asperger les manifestants. Quelques bagarres éclatent. Des commerçants des rues voisines accourent prêter main forte.

Un détachement de gendarmes mobiles arrive à Grasse, quadrille la vieille ville et interpelle une soixantaine de personnes. Des scènes de violence ont lieu sous l’œil approbateur d’une partie de la population. Matraquages, poursuites dans les maisons, insultes, humiliations. Dans les taudis où s’entassent les immigrés, des portes sont enfoncées à coups de crosses, et les intérieurs ravagés.

Au cours de la nuit, des centaines d’affiches collées en hâte portant la mention « Halte à l’immigration sauvage », signées « Ordre nouveau », apparaissent.

Comment expliquer, au lendemain de ces « ratonnades », les réactions racistes et xénophobes de responsables d’associations, du maire, de certains habitants de Grasse ?

On pourrait penser qu’il existe des griefs importants à l’égard des immigrés, mais qu’entend-on ? « Ils sont arrogants », « ils envahissent les terrasses des cafés », « ils font du bruit la nuit ». Des accusations plus graves mais tout aussi imprécises de la part du maire : « On ose de plus en plus rarement traverser la ville après la tombée de la nuit ». Interrogé, le commissaire de police ne partage pas cette opinion : « Les Nords-africains et l’ensemble des immigrés récents n’ont jamais posé de problèmes notables, ni sur le plan de l’ordre public ni sur celui de la délinquance … ».

Alors où est l’explication ? Le maire de Grasse se proclame conservateur, sans étiquette ; il a cependant reçu lors du dernier scrutin l’appui de Jacques Soustelle. Il « comprend » ses administrés, dit-il, et voudrait restaurer la vieille ville, en lui redonnant son visage d’autrefois, sous-entendu au prix du départ de la population immigrée. Est-ce pour séduire une clientèle électorale qu’il proclame la nécessité de « maintenir l’ordre public », lequel selon le commissaire lui-même n’est pas menacé ? M. de Fontmichel ne parle pas des commandos qui attaquent et assomment des travailleurs Algériens qui rejoignent le soir leurs baraques, des agressions quasi-quotidiennes qui ont lieu le soir aux environs de la Digue-des-Français. Ni des conditions de vie de ces « suppôts de Mahomet », comme il les qualifie. Ces hommes qui sont-ils ? Au bidonville de la Plaine-du-Var, un de ces « émeutiers » parle : « Depuis deux ans, j’étais employé dans une petite entreprise de jardinage dans un village des environs de Grasse. Sans titre de séjour, ni permis de travail. Le patron voulait bien me faire travailler mais sans être déclaré.

Depuis deux ans j’ai travaillé. Neuf heures par jour et six jours par semaine. Pas de congé payé. Le salaire : 1 000 F par mois, moins 100 F de retenue de sécurité sociale.

C’est pourquoi j’ai manifesté avec mes camarades pour pouvoir travailler en règle. La police a téléphoné au patron qui a dû me renvoyer. Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? »

Des dizaines de travailleurs « clandestins » étaient (et sont) employés comme maçons ou jardiniers dans des entreprises de Grasse et des environs. Qui oserait prétendre que la police, la municipalité, les représentants du gouvernement l’ignoraient ?

Les propos du maire, les déclarations de certaines associations de rapatriés appelant à une manifestation raciste : l’attitude des forces de police et de certains habitants, la mobilisation contre les immigrés d’organisations d’extrême-droite, comme « Ordre nouveau » d’hebdomadaires comme « Minute » (qui n’hésite pas à titrer : « … Les Nords-Africains se ruent à l’assaut de l’église et de l’Hôtel de Ville ») tout cela a de quoi inquiéter.

Qui est responsable ? Est-ce seulement la politique municipale de la ville de Grasse qui est en cause ? A notre avis le problème est plus général. En France, un travailleur sur sept est un immigré, un salarié sur deux du bâtiment est un immigré. Leur séjour est régi par les circulaires Fontanet-Marcellin qui les mettent à la merci du patron. Le gouvernement français, le patronat veulent que la main-d’œuvre étrangère soit aussi mobile et docile que possible, et cantonnée dans certaines régions (Paris, Est, Midi).

Mais la prise de conscience des travailleurs immigrés qui participent aux luttes sociales, qui s’étendent et s’intensifient, va à l’encontre de cet objectif.

Les immigrés ne jouent plus aussi facilement que dans le passé le rôle qui leur est imparti dans notre société. Beaucoup n’acceptent plus sans réagir les inégalités et les brimades ; les travailleurs français, l’ensemble de l’opinion prennent conscience également du sort inacceptable des immigrés et la solidarité grandit autour d’eux.

Alors, certains se chargent de « redresser » la situation. « Ordre nouveau » se déchaîne, les forces de police sévissent, on excite les préjugés d’une population mal informée, traumatisée par un passé douloureux ou par les difficultés quotidiennes. Cela se traduit par une honteuse chasse à l’homme dans une petite ville ensoleillée de la province méridionale.

En fait, la responsabilité des événements de Grasse n’incombe pas seulement à ceux qui en furent les acteurs, ils apparaissent comme un symptôme, une illustration de la politique de la main-d’œuvre menée à l’échelon national.

M. P.


Un meeting du M.R.A.P.

Dans un communiqué, le comité du M.R.A.P. des Alpes-Maritimes a stigmatisé l’action du maire, de la police et de certains éléments racistes contre les travailleurs immigrés. « La chasse à l’homme, les appels de haine lancés ensuite, ne peuvent que susciter l’indignation des démocrates et ternir aux yeux du monde l’image de notre pays », déclare-t-il notamment.

Par ailleurs, il a pris l’initiative d’un meeting, le 11 juillet à Grasse, auquel sont invités les représentants des organisations solidaires des travailleurs immigrés, ainsi que diverses personnalités. Venu de Paris, Me Roland Rappaport, est intervenu au cours de ce meeting, au nom du Bureau national du M.R.A.P.


Solidaire des immigrés

– Les sapeurs-pompiers de Nice (syndicat C.G.T.) :

« … L’honneur, le rôle et la mission confiés aux sapeurs-pompiers, précise leur motion, est la sauvegarde des vies et des biens des populations de leur secteur, et non de jouer le rôle de force d’appoint aux forces de répression … »

– Le syndicat des sapeurs-pompiers des Alpes-Maritimes :

« Elève une vive protestation contre le maire de Grasse pour l’utilisation absolument abusive et arbitraire de son droit de réquisition au personnel des sapeurs pompiers ».

– L’union départementale C.G.T. :

« … Réclame pour les travailleurs immigrés des mesures qui leur permettent de vivre dignement de leur travail et s’élève contre les pouvoirs publics qui, loin de l’apaiser, alimentent une campagne dont le fond raciste et xénophobe renforce le pouvoir de répression contre tous les travailleurs … ».

– Protestation commune Parti communiste, Parti socialiste, C.G.T., Jeunesse communiste, Jeunesse socialiste :

« … Les Grassois ne se dresseront pas les uns contre les autres à l’appel de la haine et du racisme. Ils sont exploités par le même patronat. Ils ont les mêmes intérêts, ceux de la classe ouvrière et de ses alliés. Les sections grassoises des organisations signataires appellent tous les travailleurs à soutenir les revendications légitimes des travailleurs immigrés.

Elles appellent en particulier, les petits commerçants à ne pas servir d’alibi à l’expression du racisme municipal et au plus sordide des électoralismes … ».

Le Comité départemental du Secours populaire français a immédiatement proposé aux travailleurs immigrés son aide matérielle et juridique.

– Sur intervention de Virgile Sarel, député de Nice, la SONACOTRA va débloquer des crédits en vue de la construction de logements destinés à faire disparaître les bidonvilles à l’ouest de Nice.


Contre les menées d’ « Ordre nouveau »

« Nous organiserons des meetings dans toutes les villes de France, et couvrirons les murs de centaines, de milliers d’affiches » avait déclaré le secrétaire général d’« Ordre Nouveau ». Dès le lendemain du congrès de ce groupe raciste, nous nous interrogions sur l’origine des ressources nécessaires à une telle débauche de propagande (1). Et nous demandions l’application de la loi contre les responsables, de cette campagne haineuse sur « l’immigration sauvage ».

Les interventions du M.R.A.P.

Aussitôt que fut annonce le meeting de la Mutualité, le M.R.A.P. faisait connaître son indignation. Dans un communique à la presse, le 15 juin, s’élevant contre la recrudescence du racisme et des brimades contre les travailleurs immigrés, il dénonçait « en particulier les provocations d’ « Ordre Nouveau », organisation typiquement fasciste, qui met sur pied des commandos armés, établit en France un centre international pour le rassemblement et l’entrainement de ses troupes, et développe en toute impunité une virulente campagne xénophobe et raciste. »

S’adressant ensuite au ministre de l’Intérieur, le M.R.A.P. insistait sur le caractère fasciste et raciste des activités d’« Ordre Nouveau », qui tombent sous le coup de la loi du 1er juillet 1972. Il demandait que toutes mesures soient prises pour mettre fin à ces provocations à la haine.

Le matin même du 21 juin, jour du meeting d’« Ordre Nouveau », le M.R.A.P. adressait un pneumatique au préfet de police, lui exprimait sa « vive protestation devant la possibilité laissée par les autorités au groupement fasciste « Ordre Nouveau » de provoquer à la xénophobie et au racisme, de menacer la sécurité de la population et de troubler l’ordre public. » « Nous ne pouvons admettre, ajoutait-il, que puisse se tenir ce 21 juin dans la capitale une manifestation typiquement fasciste, un meeting raciste, sous la protection des forces de police. »

Après les événements de la nuit du 21 juin, à Paris, le M.R.A.P. a fait connaître son point de vue par deux communiqués successifs, que la presse a largement reproduits (2). Soulignant, dans le premier (22 juin), que la loi contre le racisme avait été violée et tournée en dérision au meeting d’ « Ordre Nouveau », et que les violences ont eu pour origine l’autorisation accordée à ce meeting provocateur, il concluait : « Partageant l’indignation de tous ceux qui ont protesté contre cette manifestation et contre la complaisance inadmissible des pouvoirs publics, le M.R.A.P. met en garde contre les provocations et l’exploitation qui en est faite, tendant à créer un climat de violence et de répression, en détournant l’attention des menées d’ « Ordre Nouveau » et du danger qu’elles représentent pour les libertés de tous. »

Dans le second communiqué (3 juillet), après la dissolution d’« Ordre Nouveau » et de la Ligue Communiste, le M.R.A.P. constatait notamment : « Divers témoignages font apparaitre que les violences auxquelles le meeting d’ « Ordre Nouveau » a donné lieu s’inscrivaient dans un ensemble de circonstances troublantes, qui ne pouvaient que favoriser le désordre, la confusion, ainsi que la répression contre les forces démocratiques. Tandis que plusieurs syndicats de policiers soulignent la responsabilité des autorités, il est préoccupant que les mesures gouvernementales frappent simultanément un groupe raciste subversif et ceux qui s’opposent à lui. »

Et il ajoutait : « Le M.R.A.P., qui a toujours milité pour l’union des forces antiracistes, et qui réprouve les violences, se félicite des multiples prises de position et initiatives par lesquelles s’affirme, avec la condamnation d’a Ordre Nouveau », l’opposition de l’opinion française aux campagnes visant à la dresser contre les travailleurs immigrés. »

Le M.R.A.P. est d’autre part intervenu a Marseille pour demander, les jours suivants, l’interdiction de meetings annoncés par « Ordre Nouveau ». Celle ci a été, à la dernière minute, décidée par les préfets concernés.

Vibrant meeting à Grasse

Après les graves incidents de Grasse, le meeting réalisé le 11 juillet dans cette ville par le Comité du M.R.A.P. des Alpes-Maritimes, a connu un vif succès. De nombreuses organisations avaient apporte leur soutien : parti communiste, parti socialiste, C.G.T., C.F.D.T., F.E.N., ainsi que des personnalités diverses, dont l’abbé Blancart, archiprêtre de la paroisse, les pasteurs de Grasse et d’Antibes.

C’est Me Roland Rappaport, membre du Bureau national, qui a pris la parole au nom du M.R.A.P., en présence de la presse et d’une équipe de cinéastes qui prépare un film sur le racisme. Comme les Maghrébins étaient nombreux dans la salle, son intervention était, au fur et à mesure, traduite en arabe.

Des travailleurs algériens sont également montés à la tribune pour porter témoignage des conditions de vie que connaissent les immigrés.

Les organisateurs de cette manifestation, nos amis Augustine Berthod et Gaspard Pelgrin, ont eu la satisfaction d’enregistrer vingt adhésions au M.R.A.P., ainsi que des abonnements à « Droit et Liberté ».

A Ivry

A Ivry-sur-Seine, c’est le 17 juillet qu’a lieu à la salle des fêtes de la mairie, un meeting de protestation contre le crime d’un commando raciste, et de solidarité avec les travailleurs immigrés.

Placée sous la présidence de M. Roger Grevoul, premier adjoint au maire, cette assemblée a pour orateur Albert Lévy, secrétaire général du M.R.A.P. La municipalité (qui a édité des affiches appelant au meeting) et diverses organisations (qui ont activement participé à la préparation) ont apporté leur soutien à cette initiative : Parti communiste français. Parti socialiste, P.S.U., C.G.T., A.R.A.C., Amicale des volontaires français en Espagne républicaine. Union des jeunesses communistes, U.N.C.A.L., Union sportive d’Ivry.

Rendez-vous a été pris par Robert Lehmann, secrétaire du Comité du M.R.A.P. du Val-de-Marne, pour rencontrer le lendemain, 18 juillet, le chef de cabinet du préfet et lui faire connaître la volonté de la population de voir rechercher efficacement et châtier les agresseurs de Fernando Ramos.


(1) Voir dans « Droit et Liberté » de juin 1973 : « Ordre Nouveau » provoque.

(2) Des comités locaux, notamment dans le Nord et dans l’Aisne, nous signalent que certains journaux ont plus volontiers publie les communiques d’ « Ordre Nouveau » que ceux du M.R.A.P.