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Félix Bide : La laïcité. Dissipons la confusion

Article de Félix Bide paru dans Le Monde libertaire, n° 8, mai 1955, p. 3

L’ESPRIT laïque s’inscrit dans l’histoire de l’évolution de la pensée, elle-même indissociable de l’action émancipatrice de l’homme. S’identifiant à l’esprit critique, il est né de la réaction contre le dogme, obstacle permanent, reconnu comme tel, à la libération humaine et il faut entendre par dogme l’affirmation de toute nature échappant au contrôle de l’expérience et de la raison.

Ce ne fut pas par hasard ou fantaisie que la Commune de Paris, expression révolutionnaire incomparable du siècle passé, avait, entre autres réalisations de ses semaines éphémères, proclamé la laïcité de l’Enseignement.

Ses animateurs, affranchis des dogmes, savaient, on peut dire d’instinct, l’entrave continue au progrès social qu’est l’Eglise et son instrument le plus redoutable, puisqu’il façonne l’enfance, l’enseignement confessionnel, antisocial par essence.

Un peu plus tard, sous l’influence d’une opinion publique encore effervescente mais surtout des besoins en techniciens des maîtres de forges, les législateurs de la troisième République votèrent les lois laïques et le bon peuple de France, après avoir abdiqué son pouvoir entre de bonnes mains républicaines et laïques s’endormit sur ses lauriers. Le mythe de l’Etat républicain était né.

Mais l’exploitation du travail des autres trouve un champ d’exercice partout où disparaît l’esprit de lutte des travailleurs. Peu importe l’étiquette. L’Eglise continuait à veiller sur les âmes et attendait son heure. Les bourgeois laïques tout autant que les bourgeois cléricaux faisaient, en toute quiétude, suer le burnous. Les uns et les autres avaient au Parlement de la République laïque leurs représentants, soucieux bien entendu de justice sociale et de bien-être pour les ouvriers.

Ceux-ci, pour n’être pas en reste, élisaient aussi des députés avec la haute satisfaction que procure l’accomplissement du devoir civique bien compris. Députés de droite et de gauche, cléricaux ou laïques, bourgeois ou prolétaires vibrèrent de concert aux heures cruciales de l’histoire où ils prêchèrent en commun la morale nationale, envoyant deux fois les citoyens, sans distinction, défendre la République laïque, les armes à la main.

Apres la seconde tuerie, la confusion fut à son comble parmi les électeurs qui cherchèrent en vain à reconnaître les leurs dans le creuset de l’union sacrée. Rien ne distinguait plus laïques de cléricaux, ouvriers de bourgeois. L’unité était faite chez les « représentants » et l’heure de l’Eglise avait de nouveau sonné.

Telle est en gros l’histoire de ces quatre-vingts dernières années et la Sainte Mère n’ayant plus à se gêner montre derechef son visage dominateur inchangé avec d’autant plus d’aise qu’elle a agrandi sa clientèle ouvrière et qu’elle poursuit son « action sociale » par le truchement de la vertueuse C.F.T.C., tandis que le réformisme ou l’obéissance passive sévissent dans les rangs des centrales rivales.

Les cadences de travail ont augmenté et les heures supplémentaires sont le palliatif aux bas salaires. On a créé la carte d’économiquement faible et le gouvernement envisage l’extension d’une loi sur « l’état d’urgence » à tout le territoire.

L’Eglise, après la loi Barangé, se taille de nouveaux succès dans l’Etat en train de perdre son épithète même de laïque cependant que les ex-représentants laïques au Parlement de cet Etat cherchent à leur tour une clientèle déçue en poussant des cris d’alarme. Votez laïque, clament, inquiets, les bons apôtres.

Dénonçons l’imposture des démagogues et l’erreur des dupes. On ne peut être laïque sans être dressé en permanence contre l’injustice et l’exploitation et, dans cette perspective, l’école laïque n’est pas celle, fût-elle neutre du point de vue religieux, d’une société de classes.

Elle sera celle d’une société égalitaire.

Si les communards proclamèrent la laïcité de l’Enseignement, c’est que la mesure s’inscrivait d’elle-même dans un contexte révolutionnaire dont elle était partie intégrante.

Ce qui ne veut pas dire qu’il faille répudier comme sans effet la lutte antireligieuse isolée du combat social dans laquelle semblent s’enfermer certains libres penseurs, même lorsqu’ils admettent, en les professant parfois, des credo partisans qui pour n’être pas religieux, au sens littéral, n’en accusent pas moins ce caractère. Tout ce qui participe au débourrage des crânes a son utilité. C’est dans cet ordre d’idées qu’il faut défendre l’école publique qui sans être nécessairement rationaliste – tant vaut le maître, tant vaut l’école – ne superpose pas le dogme religieux à d’autres dogmes. Il convient toutefois de rappeler à certains de ses défenseurs circonstanciels que l’exemple d’un comportement laïque constant serait plus profitable à la laïcité que de spectaculaires manifestations sur les gradins de l’arène politique où ils se compromettent aux yeux des laïques, les vrais.

Pourtant, des symptômes certains montrent que la poussée réactionnaire et son corollaire, la vague cléricale, soulèveront à nouveau sans tarder la conscience populaire. Puissent alors, dans l’assaut que livreront à leurs exploiteurs les petits, les obscurs, les sans-grade, se rappeler les erreurs des aînés qui manquèrent le but pour avoir cru au mythe !

La tâche des anarchistes est de dissiper, partout où elle règne, la confusion et ils doivent se donner à cette tâche sans trêve ni répit.

Par Félix BIDE