Article signé Gérard paru dans L’Internationale, janvier 1963 et mars 1963

Lois Barangé-Marie, loi Debré, projets gaullistes de Réforme de l’Enseignement et de subventions aux Instituts Catholiques, autant de mesures dont le sens apparaît clairement. L’offensive de l’Eglise contre l’Ecole laïque se développe sur deux plans : d’une part, obtenir le maximum d’argent de l’Etat ; d’autre part, « cléricaliser » l’enseignement public. Pourquoi cette offensive ? Quels sont ses moyens et comment se défendre ou contre-attaquer ? Il importe que les militants ouvriers ne laissent pas de côté cet aspect de leurs luttes.
LA TRADITION OUVRIÈRE ANTI-CLERICALE
En France, tout effort d’émancipation sociale, toute lutte ouvrière a toujours pris la forme d’un combat anti-religieux. Et réciproquement, l’Eglise s’est toujours trouvée dans le camp de la réaction la plus noire. L’histoire ces premières organisations ouvrières, des sociétés secrètes du milieu du XIXe siècle, des premiers groupes syndicalistes, anarchistes ou socialistes, nous montre sans cesse le même processus. Souvent on voit la section locale de la Libre Pensée se transformer en section du parti ouvrier … Etre révolutionnaire implique que l’on est anticlérical ou athée. Rappeler sommairement cette histoire est nécessaire au moment où diverses confusions tendent à obscurcir la question :
– Confusion due à l’existence d’un courant important de catholiques sociaux « de gauche » qui parvient parfois à s’imposer dans certaines organisations ouvrières centristes.
– Confusion due à l’opinion admise dans le camp laïque traditionnel influencé par la Franc-Maçonnerie que son combat n’est pas un combat de classe.
– Confusion due enfin à la position des grands partis ouvriers qui, par l’opportunisme politique le plus vil, n’hésitent pas à masquer les racines sociales de l’Eglise. Quand la S.F.I.O. s’allie au M.R.P. ; quand le P.C.F. fait voter pour Kir, il est évident qu’ils sont amenés à passer sous silence les nécessités pourtant urgentes du combat antireligieux …
Nous disons bien « antireligieux » et non seulement laïque ou anticlérical. La quasi-absence de la pensée matérialiste en face de l’offensive des conceptions idéalistes et religieuses, dont il faut reconnaitre l’effort désespéré de renouvellement et d’adaptation au monde moderne, est assez pénible (1). Cette situation de fait dans le domaine des idées va nous permettre d’expliciter ce qui est en cause dans la question de l’Ecole, aspect le plus spectaculaire d’une lutte plus générale.
L’ÉTABLISSEMENT DE L’ÉCOLE PUBLIQUE
La question scolaire a toujours été actuelle en France au même titre que la question religieuse. La Révolution française, en brisant le monopole de l’Eglise sur l’enseignement a ouvert la voie à une suite de combats dont on pourrait s’étonner naïvement qu’ils ne fussent pas terminés ! La bourgeoisie révolutionnaire de 1789 laïcisa l’Etat et les institutions. C’était la conclusion d’une longue lutte idéologique menée par les philosophes rationalistes depuis le XVIIe siècle qui avaient associé les aspects politiques et proprement philosophiques de la laïcité. Dans ses projets, le Girondin Condorcet proclame la nécessité de « n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux ». Depuis, au cours du XIXe et du début du XXe siècle, ce principe à donné lieu à bien des péripéties. Napoléon 1er, tout en créant l’Université Impériale, y admet l’enseignement d’une religion où il voit « … non pas le mystère de l’incarnation, mais celui de l’ordre social ». En 1848, le projet Carnot d’un enseignement laïcisé succombera devant la loi Falloux, mais en 1882, l’Ecole publique laïque était établie. Que signifiait cette conquête ?
Nos « laïques traditionnels » y voient essentiellement le résultat d’une lutte philosophique entre l’esprit des Lumières et l’obscurantisme. Or, il s’agit en réalité d’une lutte sociale et politique. Lorsque la grande bourgeoisie d’affaires orléaniste s’unit aux propriétaires fonciers légitimistes, elle fait appliquer la loi Falloux. Thiers, tout voltairien qu’il fût, tenait à un enseignement secondaire valable (échappant à l’Eglise) pour sa classe, et abandonnait les écoles primaires à « l’armée des curés », protectrice de l’Ordre ! Les lois de 1882, par contre, marquèrent la séparation de la grande bourgeoisie financière bien symbolisée par Ferry, des propriétaires fonciers, royalistes et de l’Eglise, alors le plus grand propriétaire foncier. Le ralliement de larges couches de la bourgeoisie à la laïcité n’exprimait que leur lutte pour la disparition du caractère primordial que la propriété foncière avait encore.
Ces lois ne donnaient pas vraiment un contenu positif à l’enseignement et reflétaient un certain compromis. Le rôle primordial de bourgeois protestants (Macé, Bert … ) a marqué cette école dont l’idéal laïque consiste à affirmer qu’elle ne veut blesser personne (les « devoirs envers Dieu » y seront même maintenus officiellement jusqu’en 1923 !).
LA MORALE LAIQUE ET L’ASPECT PROGRESSISTE DE L’ÉCOLE
Sorte de morale chrétienne sans son Dieu, de Kantisme édulcoré, la morale laïque charrie un ensemble de dogmes : culte de la Patrie et de la Revanche, culte de la propriété individuelle, respect et amour du Drapeau et de l’Empire colonial, etc. que ne désavouerait pas une école cléricale !
Cependant, telle qu’elle apparaissait en face d’une Eglise successivement monarchiste, boulangiste, antidreyfusarde, l’école laïque fut accueillie comme une grande victoire par tous les socialistes révolutionnaires de l’époque.
Engels disait que la France avait la meilleure école du monde. La mise à la porte de Dieu était un acquis formidable. Jules Ferry, le colonialiste, est acclamé par des auditoires ouvriers. Les premiers instituteurs sont chargés avant tout de défendre dans les campagnes une République opportuniste, puis radicale, encore en butte aux assauts de ses ennemis. C’est dans les dix premières années du XX siècle que cette lutte atteint son paroxysme avec la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905.
LE CONTENU BOURGEOIS DE L’ÉCOLE
1905 ! C’est la séparation cerces, mais c’est aussi la naissance de la S.F.I.O., d’un parti ouvrier autonome de masse qui va affirmer ses positions de classe en face de tous les partis bourgeois, laïques ou non, au moment donc où va se développer l’école du compromis de 1882 se posait la question non résolue de son contenu. A vrai dire, la bourgeoisie républicaine, nous l’avons vu, avait une morale. Elle avait besoin, pour les nécessités de la production, de disposer d’une main-d’œuvre ayant un certain niveau de culture rendu indispensable par la complexité croissante des formes de travail. Mais, par ailleurs, il lui faut des citoyens fidèles à sa République. En 1881, Jules Ferry déclare aux instituteurs : « Comment n’aimeriez-vous pas et ne feriez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ! » Certes ! la Révolution et la République en question sont, bien entendu, bourgeoises. La laïcité de 1881 a donc un contenu politique. Dès 1880, le même Jules Ferry pensait « … à mêler sur les bancs de l’école les enfants qui se trouveront un peu plus tard mêlés sous les drapeaux de la Patrie ». Cette tâche de l’Ecole laïque, contribuer au succès de l’idée républicaine, fut remplie au mieux. Les campagnes françaises, à de rares exceptions (l’ouest) se rallièrent à la République en donnant … leurs voix au parti radical … et leur sang en 1914 « sous les drapeaux de la Patrie ».
LA CRISE DE L’APRES-GUERRE
La première guerre mondiale et octobre 1917 posaient dans les faits le problème fondamental de notre époque : celui de la révolution socialiste. S’il était possible encore en 1905 de se trouver dans le même camp que les autres républicains (2) il deviendra impensable après 1918 pour un révolutionnaire de trouver place aux côtés d’un Clémenceau ou d’autres sociaux-chauvins.
Et l’Ecole ? Dès ce moment commence la crise. Les instituteurs ont lourdement payé leur attachement aux idéaux patriotiques. Ne portent-ils pas une responsabilité dans cet aveuglement collectif, n’ont-ils pas donné à leur enseignement un contenu qui explique en parti l’absence de révolte antimilitariste ? Certes, depuis octobre 1910, l’Ecole Emancipée, qui succède à l’Emancipation, défend courageusement la position de l’internationalisme prolétarien et les principes de lutte de classe : elle est à Zimmerwald avec Raffin, Dugens et Blanc, elle subit la répression militaire. Mais elle ne représente pas la masse des enseignants qui, à leur retour de la guerre impérialiste, devront repenser le contenu et les méthodes de leur enseignement.
La période de l’entre deux guerres fut, à cet égard, assez confuse. On peut discerner chez les maitres une haine sincère de la guerre qui s’exprime par une idéologie pacifiste. Ce pacifisme, révolutionnaire dans la Fédération Unitaire de l’Enseignement (C.G.T.U.), humanitariste dans le Syndical National des Instituteurs (C.G.T. réformiste) se manifeste, entre autres, par la lutte contre les manuels chauvins, contre les jouets guerriers, par les chants scolaires sur la « République universelle, espoir des temps futurs … » En même temps l’Ecole publique, qui l’avait emporte, devenait surtout l’objet de discours académiques. La République bourgeoise n’est pas menacée par les mêmes forces qu’en 1914, la lutte fait place à la répétition routinière de certains principes civiques de base … au moment même ou le mouvement ouvrier révolutionnaire propose au monde d’autres principes. C’est alors que la laïcité se définira vraiment comme neutralité. L’agressivité anticléricale de 1905 était encouragée par la bourgeoisie républicaine. Dans les années 20 et 30, la menace contre sa domination vient d’un autre horizon. On se méfie de l’instituteur même s’il peut encore servir d’agent électoral. Même l’effort de renouvellement des méthodes apporté par Freinet est brutalement sanctionné : ne prétend-il pas développer la liberté de jugement et de création chez l’enfant ? Nous verrons qu’au même moment les vieux laïques continuent de pactiser avec l’Eglise comme pendant la guerre.
LA QUESTION
Que devait donc être le contenu de l’enseignement ? Comment enseigner les grands principes républicains sans dénoncer leur caractère mystificateur ? Doit-on développer l’amour d’une patrie impérialiste ? Vanter l’union sacrée de tous les Français sur les bancs de l’école puis sous les plis du drapeau ? Expliquer le fonctionnement théorique de nos institutions ou les réalités concrètes de la lutte de classe ? Parallèlement une autre question se posait : La position de la bourgeoisie sur l’école publique est-elle la même qu’en 1900 ? Après l’anticléricalisme puis sa neutralité n’assistons-nous pas à un renversement et à son passage dans le camp de l’Eglise ? C’est à ces questions que nous devrons répondre afin d’analyser le problème actuel de la défense laïque ainsi que la tactique du C.N.A.L. et des partis ouvriers.
GERARD.
(A suivre.)
(1) Peut-être peut-on citer J.-F. Revel dans la « Cabale des dévots » et quelques études philosophiques ou sociologiques, peu répandues d’ailleurs, de G. Mury et M. Verret (du P.C.F.). Lorsque Garaudy « discute » avec le P. Teilhard de Chardin, c’est sur un ton très respectueux et compréhensif alors, qu’une démolition vigoureuse s’impose !
(2) Pensons qu’en 1903, le président du Conseil, le radical Combes était accueilli au chant de l’Internationale à un congrès d’instituteurs et qu’une revue radicale-socialiste attaquait violemment … le drapeau tricolore !
Ecole Laïque et Bourgeoisie
NOUS avons vu précédemment dans quelles conditions l’école publique s’était imposée en France. Consciente de l’importance d’un enseignement primaire permettant de dispenser le minimum des connaissances imposées aux producteurs par le développement des techniques, soucieuse de donner une formation morale et civique, la bourgeoisie républicaine de 1880 impose à l’Eglise la laïcité.
Avec la création du M.R.P. la bourgeoisie française de 1945 montrait pourtant clairement sa mutation radicale en matière idéologique. La Libération avec ses Comités posait le problème du pouvoir ; la bourgeoisie discréditée se demandait comment, après avoir misé dans sa grande majorité sur Pétain, elle pourrait retrouver sa place dans la 4e République. Le M.R.P. fut (avec De Gaulle) son instrument. Pour la première fois un grand parti ouvertement clérical (nous ferons le parti avec les curés disait Bidault) prend la relève des vieux partis bourgeois.
On a dit souvent justement, qu’on avait loupé le coche à la Libération. On peut appliquer la formule au problème de l’école dans la mesure où le refus de nationaliser à cette époque l’enseignement fut un aspect de cette défaite plus générale due à la démission des directions ouvrières. Aussi est-il tragi-comique de voir, en 1950 puis en 1959 nos laïques brevetés planer sur la rupture de la paix scolaire comme s’ils n’en étaient pas responsables et … comme s’il pouvait y avoir une paix scolaire ! D’autant plus qu’on ne saurait dire qu’il y ait eu surprise : le M.R.P. annonçait sa couleur !
A la première occasion donc, le compromis scolaire s’effondrait : les lois Marie-Barangé ouvraient « la première brèche par où le reste devait passer » (l’expression est de Maurice Schumann). Puis la crise du capitalisme français ayant amené avec l’élimination du régime parlementaire, l’arrivée de l’Etat fort gaulliste, il revenait à l’U.N.R. de continuer l’œuvre des anciens partis bourgeois et ce fut la loi Debré.
Toutes ces lois se succédèrent accompagnées des jérémiades de nos laïques à la recherche de positions de défense de plus en plus en retrait. Ce qui amène au C.N.A.L. Le C.N.A.L. est dirigé par les syndicats d’enseignants (SNI-FEN) et la Fédération des parents d’élèves (Cornec) qui sont des mouvements de masse. De plus la Ligue de l’Enseignement et les délégués cantonaux y participent. Le Comité décide des mots d’ordre, des formes d’action et demande ensuite aux partis et syndicats de s’y associer et de participer à la campagne. Officiellement on justifie la méthode en disant que c’est la seule qui permet de mobiliser tous les laïques et d’éviter la « politisation du problème ». La réalité est que cette forme permet de remettre la direction du mouvement au courant réformiste majoritaire dans les cinq composantes du C.N.A.L. La S.F.I.O. pouvait ainsi se donner une bonne conscience laïque tout en s’accoquinant avec les cléricaux dans la fameuse troisième force. Le P. C., d’assez mauvaise grâce, accepta la formule qui permettait malgré tout, l’existence du seul cadre où les contacts avec les socialistes pouvaient se faire. La présence des radicaux prouvait que la défense laïque n’était pas une affaire de classe. Dernier venu, le P.S.U. adoptait cette méthode tout en se livrant à quelques acrobaties idéologiques destinées à satisfaire son aile chrétienne. L’œuvre essentielle fut sur le plan national la campagne de pétitions contre la loi Debré dont le couronnement fut le Rassemblement de Vincennes en juin 1960.
Or que nous montre une étude un peu sérieuse ? D’abord le C.N.A.L. peut tout au plus compter le parti radical comme parti bourgeois. Il se raccroche désespérément à l’idée d’une bourgeoisie voltairienne (aussi préhistorique que les fameux « autres républicains » chers au P.C. dans sa lutte contre De Gaulle). Et quels radicaux ? Une loi porte le nom de « Marie » alors valoisien ; les radicaux mendésistes font échouer l’abrogation de la loi Barangé ; en décembre 1959 sur la loi Debré, sur 18 radicaux : 3 votent « pour » et 7 s’abstiennent ! Mais il faut maintenir cette caution bourgeoise pour prouver que la lutte laïque n’a rien a voir avec la lutte de classe ! Dans ces conditions l’action du C.N.A.L. et des partis soutenants avait autant de chances de succès que lorsque ces mêmes partis s’en remettaient au gouvernement républicain de Pflimlin lors du 13 mai ! L’action de 1960 aboutissait à une impasse. Que faire de nos 11 millions de signatures des l’instant ou on ne s’assignait pas d’autre but que celui de poser le problème de l’Ecole devant la Nation ? En 1961-62 reprenait la petite activité retardatrice, nécessaire et valable certes, mais qui n’avait aucune perspective. Puis en 1963, c’est le silence alors que l’Etat gaulliste continue sur sa lancée : reconduction de la loi Barangé, subventions a l’Institut Catholique, démantelement de l’enseignement public …
Responsables laïques, politiques et syndicaux continuent à dénoncer, clament (mais à qui font-ils peur ?) qu’ils veulent accentuer la lutte pour l’abrogation des lois anti-laïques (comme ca ?.. sans toucher à De Gaulle ?… ) et préparer la nationalisation de l’enseignement (qu’ils ont été incapables de réaliser quand ils étaient de loin les plus forts !). Et voila qu’avec son projet de Réforme le pouvoir jette la pomme de discorde entre enseignants entre lesquels des discussions graves dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquence viennent d’éclater.
Dans ce domaine également la lutte pour une véritable reforme de l’enseignement passe par la mise en cause du régime. Le plan Langevin-Wallon offre à cet égard une base excellente dans la mesure où il peut être considéré comme une étape de la transition vers le socialisme. Défense de l’école publique, reforme Langevin-Wallon peuvent servir de mots d’ordre à une campagne qui serait efficace dans la mesure ou elle s’attaquerait aux fondements mêmes de la société française de 1963 c’est-à-dire si la laïcité s’insérait dans des perspectives (et une pratique) révolutionnaire. Tant qu’elle sera considérée comme un principe en soi indépendant de la lutte des classes, le combat laïque ne saurait mener qu’à des défaites.
GERARD.

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