Article de Messali Hadj paru dans Demain, n° 9, 9 février 1956

Guy Mollet dans son discours d’investiture a, sans préjuger la solution du problème algérien, précise que celle-ci ne pourra être ni imposée unilatéralement, ni octroyée, mais seulement négociée. C’est en vue de ce dialogue que nous publions aujourd’hui un article de Messali Hadj, président du Mouvement National Algérien, indépendant de la Ligue Arabe. L’auteur, très franc sur le but qu’il se propose d’atteindre, préconise un moyen – la « table ronde » – qu’un homme politique français aussi modéré que M. Pleven avait suggéré (dans « Franc-Tireur »). Nous publierons dans de prochains numéros les opinions d’autres interlocuteurs possibles.
DEVANT l’aggravation de la situation en Algérie au cours de l’année 1955, l’opinion française a réagi de plus en plus fortement et a demandé à ses partis politiques, comme au gouvernement, de trouver une solution au problème algérien et de mettre fin à l’effusion de sang.
Il faut dire que les derniers mois de l’année écoulée ont été dominés par le drame algérien. Les partis politiques, la presse, les groupes d’études et le gouvernement lui-même, se sont consacrés à l’examen de ce problème.
Il y a lieu de signaler aussi le rapport qui a été publié à la suite de l’enquête faite en Algérie par les soins de la Commission de la Défense Nationale. Ce rapport a frappé l’opinion publique et a incité le peuple français à s’opposer à cette aventure coloniale.
Enfin la dissolution de la Chambre, quel qu’en soit le mobile, la campagne électorale et la naissance du gouvernement du « Front Républicain » à direction socialiste, tout cela traduit hautement la volonté de l’opinion publique de trouver une solution au problème algérien.
IL y a quelques jours, j’ai accordé une interview au journal « Franc Tireur » à propos de cette même question. Tout d’abord, je déclare rester fidèle à ce que j’ai écrit et à la conception politique de toute ma vie : « INDEPENDANCE DE L’ALGERIE et PAROLE AU PEUPLE POUR UNE CONSTITUANTE SOUVERAINE ».
Cependant, il y a eu, depuis, la constitution du Gouvernement et le discours d’investiture de M. Guy Mollet qui mérite notre attention et appelle un examen de ses déclarations ayant trait au problème algérien.
Nous en retenons les passages suivants : « la reconnaissance de la personnalité algérienne », « les élections libres au collège unique », « la volonté du Gouvernement de faire en sorte que le sort définitif de l’Algérie ne sera, en aucun cas, déterminé unilatéralement », « la libération des détenus politiques ».
De même, M. Guy Mollet a déclaré que « pour l’essentiel, c’est donc dans la confrontation et la discussion que sera défini le statut futur de l’Algérie et trouvée une solution qui assure à chacun le respect total de ses droits, en même temps qu’elle exige de lui l’accomplissement rigoureux de ses devoirs ».
Tout cela suppose pour le peuple algérien et l’opinion publique française la nécessité d’établir le dialogue.
Maintenant il s’agit de savoir comment passer du domaine de la parole à celui des actes ; comment arriver à des élections libres et donner la parole au peuple pour choisir démocratiquement son avenir politique et designer ses véritables représentants
Nous croyons, en effet, que le Chef du Gouvernement qui s’est rendu à Alger doit, dans l’intérêt général et en toute clarté, profiter de l’occasion pour préciser ses véritables intentions.
A notre avis, il n’y a de solution possible que si le gouvernement français :
1° – reconnaît l’existence de la nation algérienne, aspiration de l’unanimité du peuple algérien.
2° – fait libérer tous les détenus politiques, y compris ceux condamnés par les tribunaux militaires, ainsi que tous les internés et exilés.
3° – rétablit toutes les libertés démocratiques.
L’ensemble de ces mesures constitue la condition indispensable d’un cessez-le-feu.
Elles ne manqueront pas de créer un climat de détente et de compréhension susceptible de préparer la voie aux négociations.
Dans ce but, nous considérons qu’il faut donner à toutes les tendances la possibilité d’exprimer librement leur point de vue et de prendre toutes leurs responsabilités vis-à-vis du peuple algérien. C’est le seul moyen, à notre sens, de parvenir à un cessez-le-feu et de préparer les élections libres dans une atmosphère de détente et de réelle démocratie. Pour trouver une solution au problème marocain, on a bien organisé des entretiens à Aix-les-Bains. Nous pensons qu’on peut faire de même pour le problème algérien.
D’autre part, on a toujours essayé, dans le passé, d’extraire l’Algérie du bloc Nord-Africain pour en faire une sorte de chasse gardée sous le nom de « trois départements français ». Cette tentative s’est avérée vaine puisque le drame algérien déborde sur les deux frontières malgré les solutions d’indépendance et d’autonomie accordées au Maroc et à la Tunisie. C’est pour ces considérations que Bourguiba et le Sultan du Maroc insistent auprès du Gouvernement français pour que soit trouvée une solution rapide du problème algérien.
LES données fondamentales de l’histoire et de la géographie qu’on a toujours feint d’ignorer font que le problème Nord-Africain est un et sa solution une. Les mêmes problèmes politiques, économiques, stratégiques, se posent pour les trois pays qui constituent un bloc indissoluble. L’unité Nord-Africaine ainsi reconnue fermera la porte à toutes les intrigues et convoitises extérieures.
De plus, la solution juste et démocratique du problème maghrébin permettra d’ouvrir une ère nouvelle de compréhension et de coopération entre la France et le monde Arabo-Islamique. Cela peut paraître osé, mais gouverner c’est prévoir ; c’est aussi choisir et faire preuve à la fois d’audace et de sagesse politique.
Les solutions doivent être à la hauteur des événements. La Conférence de Bandoeng, l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’ONU, les renversements de situation en France et au Maroc, sont autant de faits qu’aucun homme sensé ne peut négliger.
Si dans le monde des millions d’hommes ont été acculés à prendre les armes pour recouvrer leur liberté, c’est parce que précisément l’on n’a pas voulu comprendre le sens de l’histoire. Bien que les méthodes colonialistes soient partout les mêmes, la Grande-Bretagne a su, dans une certaine mesure, prévoir la tempête qui menaçait l’Asie et l’Afrique. Elle a reconnu l’indépendance de l’Inde, du Pakistan, de la Gold Coast.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Reine Elizabeth s’est rendue au Nigeria pour proclamer l’indépendance de ce pays. L’indépendance de la Libye, de la Syrie, du Liban, du Pakistan, de l’Inde, de la Birmanie, de l’Indonésie, etc … n’a pas été sans renforcer les aspirations à la liberté du Maghreb arabe.
Voici trente ans que j’œuvre pour que triomphent ces aspirations mais aussi pour jeter un pont d’amitié entre les deux rives de la méditerranée. En ma qualité de vieux militant j’adresse un pressant appel à la démocratie française pour qu’elle comprenne les nécessités de l’histoire et pour que nous puissions préparer un avenir d’amitié et de coopération entre nos deux peuples.
Messali Hadj
président du Mouvement national algérien

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