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Messali Hadj rompt le silence

Article de Messali Hadj paru dans Demain, n° 33, 26 juillet 1956

L’OPINION française, algérienne et internationale s’est souvent demandé ces dernières semaines quelle influence exerçaient encore Messali Hadj et son « Mouvement national algérien. »

Les avis demeurent partagés, mais les hommes avertis et de bonne foi, en métropole comme en Afrique du Nord, reconnaissent que Messali a encore de très nombreux partisans.

Quel que soit le véritable rapport des forces entre le F.L.N. et le M.N.A., il était intéressant de savoir ce que pense le vieux leader nationaliste de la situation actuelle et des possibilités de règlement en Algérie. Au nom du F.L.N., Ferhat Abbas a, depuis son ralliement à ce mouvement, parlé à plusieurs reprises. En raison de l’évolution des esprits, Messali Hadj a décidé de rompre un silence de quatre mois et il a choisi, cette fois encore, les colonnes de « Demain » pour s’expliquer.

Nous sommes évidemment loin de partager toutes les positions prises par le Président du M.N.A. Celui-ci condamne sans équivoque les méthodes totalitaires et les tentatives d’imposer un parti unique en Algérie. Mais il oublie que c’est précisément à cause de ces méthodes et de ces tentatives (du F.L.N.) que le gouvernement a été contraint d’envoyer tant de renforts pour assurer la sécurité des populations. D’autre part, Messali ne souffle mot des liens qui devront subsister entre l’Algérie et la France.

Mais l’opinion publique enregistrera avec intérêt qu’un de nos interlocuteurs possibles de demain se prononce contre le parti unique – le monopole politique et de la négociation revendique par le F.L.N. – demeure partisan d’un « Aix-les-Bains algérien » ouvert à toutes les tendances (1), ne pose aucun « préalable » ni au « cessez le feu » – ce qui est capital – ni à « l’Aix-les-Bains ». Enfin, l’idée d’un Commonwealth (entre la France et une Afrique du Nord fédérée) qu’il avait déjà opposée à celle de l’Union Française dans un message à l’O.N.U. en 1948, mérite pour le moins réflexion.

Un des buts de la motion sur l’Algérie, votée par le Congrès socialiste de Lille, était « d’inciter à la recherche d’une solution pacifique tous les Algériens soucieux de justice et de liberté, y compris ceux des rebelles qui, poussés par le désespoir, ont de bonne foi recouru à la violence comme le moyen de satisfaire leurs aspirations. »

Les thèses de Messali Hadj sont encore fort éloignées de celles du parti socialiste (et du gouvernement) puisque celles-ci tendent à assurer, dans le cadre de la co-existence et de l’égalité complète des droits et des devoirs, non pas l’indépendance, mais « une large autonomie de gestion garantie par des institutions internes disposant d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir législatif » et à « créer des liens institutionnels solides avec la France Métropolitaine dans l’intérêt supérieur des deux pays ».

Mais, au souci d’information qui nous guide dans la publication de ce document s’ajoute notre conviction, également exprimée par le Congrès socialiste, qu’en dépit du fossé creusé par la lutte armée, il convient de maintenir le dialogue, seul moyen de pacifier les esprits et de montrer aux ultras des deux camps que la solution ne peut être que politique.

Demain


(1) Voir Demain n° 9, daté du 9 au 15 février 1956.


NOUS avons au début de cette année, par des déclarations et interviews au journal « Franc Tireur » et à l’hebdomadaire « Demain » exposé notre conception politique quant à la solution du problème algérien et sur la nécessité d’un cessez-le-feu pour mettre fin a l’effusion de sang en Algérie.

A cet égard, nous avions préconisé une conférence d’Aix-les-Bains réunissant tous les représentants des mouvements nationalistes afin de permettre a chacun d’exposer ses sentiments politiques et d’aborder par une confrontation générale de tous les points de vue les premiers éléments de cette solution pacifique à laquelle sont attachés le peuple français et le peuple algérien.

Bien que les milieux gouvernementaux n’aient pas cru devoir répondre à nos propositions, celles-ci ont été cependant accueillies très favorablement par le peuple algérien, la grande majorité des Algériens d’origine européenne, et par le peuple français. La proposition d’un Aix-les-Bains algérien a ainsi rencontré le plus grand succès dans l’opinion publique parce que répondant aux aspirations de tous les démocrates. La proposition d’un Aix-les-Bains algérien reste donc valable.

En effet, nous continuons à affirmer aujourd’hui comme hier, que seule, l’instauration de la démocratie pourra forger les conditions d’une cohabitation fructueuse et fraternelle entre tous les éléments ethniques qui forment le peuple algérien. Ceci étant la seule voie du salut pour un pays ou depuis 125 ans, vivent plusieurs races, plusieurs religions, dans une atmosphère colonialiste. Répétons-le, dans une Algérie démocratique débarrassée de tous les relents du racisme, de l’injustice et de la haine, la minorité européenne vivra dans le respect, la considération et la sécurité au sein de la Patrie algérienne.

Telle a été notre conception de toujours de la nouvelle Algérie.

Contre un parti unique

C’est pourquoi nous n’avons jamais cessé depuis 40 ans, de lutter contre le colonialisme et contre le fascisme en Afrique du Nord.

C’est aussi en partant de ces considérations que personnellement j’ai refusé ma collaboration au régime de Vichy qui la sollicitait. En 1941, j’ai été condamné à 16 ans de travaux forcés, à 20 ans d’interdiction de séjour, condamnations qui, je le constate, restent toujours la base juridique de ma situation actuelle.

C’est également pourquoi, nous nous opposons catégoriquement, aujourd’hui comme hier, à toute forme d’un quelconque néo-fascisme que tendraient à nous imposer un parti unique et ses succédanés.

L’expérience nous prouve combien nous avons eu raison de nous opposer à de tels régimes anti-démocratiques, alors que nous assistons à l’effondrement du stalinisme dénoncé aujourd’hui par ceux qui pendant trente ans l’ont soutenu. Bien avant les remous provoqués par la dénonciation du culte de la personnalité en U.R.S.S., les peuples ont assisté à l’effondrement de l’hitlérisme et du fascisme mussolinien. De tels faits prouvent que tout régime d’étouffement de la démocratie ne peut s’imposer longtemps aux peuples, même si la dictature, momentanément, apparaît puissante.

Évolution de l’opinion française

Pour nous qui sommes restés fidèles en tout temps aux principes de la liberté et de la démocratie, nous avons la satisfaction de voir confirmée notre action. Si nous évoquons dans la conjoncture présente les horreurs engendrées par de tels régimes, c’est pour que soient évitées à notre pays, à l’Algérie nouvelle, de telles expériences.

Nous adressant une nouvelle fois à la démocratie française, nous lui disons : « Il importe au plus haut point que vous interveniez en faveur d’une solution démocratique du problème algérien, que vous fassiez preuve de fermeté et de vigilance dans le but d’aider le peuple algérien à la réalisation de ses aspirations légitimes.

Nous constatons que l’élément déterminant de toute la situation depuis les élections du 2 janvier, reste le problème algérien, placé au centre de toutes les préoccupations françaises.

Ce problème, plusieurs fois porté devant le Parlement, soumis à des débats orageux, commande tout l’avenir économique, financier et politique. La presse et la radio, les personnalités politiques françaises de toutes tendances en sont à juste titre préoccupées. Tous les partis politiques français examinent en permanence le développement de la situation en Algérie et prennent position quant à sa solution. Ainsi, après la tenue de son Conseil National, le Parti socialiste, lors de son dernier Congrès de Lille, a largement confronté, dans un grand débat, le problème algérien. Constatons que la motion finale, sans aller jusqu’à notre conception, peut néanmoins être considérée comme un pas en avant vers la négociation. Certains passages de cette motion, tels ceux préconisant l’institution d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir législatif, peuvent être considérés comme les premiers éléments de la nécessité de former l’Etat algérien jouissant de sa souveraineté.

Notons également que dans son intervention, M. Gazier a clairement affirmé que le gouvernement ne se refuserait pas à un contrôle international des élections, ajoutant : « Les mots de fait national algérien n’ont rien qui puisse effrayer des socialistes, s’il s’agit pour l’Algérie, d’avoir des institutions propres ». Enfin, la résolution n’a pas oublié de mentionner que l’ensemble de la solution du problème algérien ne peut être que politique. D’autre part, rappelons que M. Guy Mollet a récemment déclaré : « Ni Etat arabe, ni Etat musulman, ni province française » ; sans doute, est-ce pour caractériser plus clairement la pensée du Président du Conseil que M. Eugène Thomas, ministre des P.T.T. a affirmé la nécessité de la formation d’un Etat algérien.

Enfin, M. Pflimlin, président du M.R.P., au retour d’un récent voyage en Algérie, a abordé la solution du problème algérien dans des termes qui dans une certaine mesure rejoignent la résolution adoptée par le Congrès du parti socialiste. Ceci, sur le plan français.

Déjà un milliard par jour

Sur le plan international, il y a lieu de retenir l’intervention de MM. Nehru et Mohammed Ali, préconisant une solution pacifique afin d’en terminer avec l’effusion de sang en Algérie.

Pour ma part, je considère que les plans proposés par MM. Nehru et Mohammed Ali pourraient servir de base de discussion pour de futures négociations.

Ainsi, pouvons-nous en considération de l’évolution marquée par l’ensemble de ces déclarations et prises de position et en particulier par les résultats positifs du Congrès socialiste, estimer que tous les éléments en vue de l’ouverture d’une négociation proche sont réunis. Aussi notre peuple, comme l’opinion publique française, était-il persuadé que dès la fin du Congrès du parti socialiste, le gouvernement prendrait toutes dispositions visant à accélérer les préparatifs de négociation avec tous les représentants du peuple algérien.

Malheureusement, il apparaît non seulement que les tergiversations autour des mots continuent, mais surtout la répression, les ratissages, la guerre baptisée pacification ou quadrillage, s’intensifient. Il est impossible que le Congrès du parti socialiste ait voulu cela ; bien moins encore, le peuple algérien et le peuple français.

Le peuple algérien soumis au régime des pouvoirs spéciaux (arrestations, perquisitions de jour et nuit, etc.) vit dans un état d’insécurité permanente. De plus, la poursuite de la guerre en Algérie entraîne aux plus graves conséquences tant en France qu’en Afrique du Nord.

C’est ainsi que de nombreuses familles françaises sont touchées par le départ des rappelés, tandis que la guerre rend précaire l’équilibre financier, économique et social de la France. Un milliard par jour est déjà exigé des contribuables français. Que sera demain si on continue dans cette voie ? Ni la guerre, ni la force ne pourront résoudre le problème algérien !

Consolider l’amitié franco-islamique

La guerre et la force entraînent à la plus grave détérioration des rapports entre la France et l’Afrique du Nord. Car chacun comprend aujourd’hui combien le problème algérien, qui n’a pas encore trouvé sa solution pèse lourdement sur la situation tunisienne et marocaine.

Depuis trente ans, nous affirmons que le problème nord-africain est un, que sa solution est une. Ce n’est pas sans raison que le Maroc et la Tunisie insistent auprès du gouvernement français pour que soit élaborée une solution du problème algérien. Car paix et sécurité ne pourront jamais régner en Tunisie et au Maroc, tant que la guerre avec son cortège de victimes fera rage en Algérie.

Véritablement, il faut tout ignorer de la solidarité islamique pour tenter de pratiquer la politique en cours en Afrique du Nord. Vraiment il faut être atteint de cécité politique complète pour ne pas comprendre que la poursuite de la guerre en Algérie menace la paix et la sécurité en Méditerranée et soulève toutes sortes de difficultés internationales au sein de l’O.T.A.N. lui-même.

C’est pourquoi nous sommes persuadés que la solution du problème algérien affirmera la paix en Afrique du Nord, renforcera le camp de la liberté, consolidera l’amitié franco-islamique.

Quant à nous Algériens, une fois libres, il nous sera possible avec nos frères marocains et tunisiens, de nous pencher sérieusement sur l’avenir de l’Afrique du Nord et préparer d’un commun accord le système politique qui nous permettra de vivre en paix et de marcher hardiment dans la voie du progrès. Nous pourrons alors dans une sorte de « Benelux » maghrébin, coordonner en commun notre économie, notre stratégie et notre politique vis-à-vis de tous les peuples.

Une Afrique du Nord fédérée et libre

Qui ne voit les grandioses perspectives d’avenir que forgera une Afrique du Nord fédérée et libre, groupant près de trente millions de Musulmans avec une importante minorité européenne ? Quelles facilités seraient alors offertes pour affronter la mise en valeur du Maghreb dans l’ordre et la sécurité. Sans aucun doute, l’influence politique, économique et stratégique d’un tel ensemble s’étendrait à toute la Méditerranée et engloberait en particulier la Libye.

Fermement acquis à ce système politique qui porte en lui la paix, la sécurité, la liberté en Méditerranée, nous considérons que le gouvernement français ferait preuve de la plus grande compréhension quant à l’évolution du monde islamique en s’engageant dans cette voie.

Non, ce n’est pas par la guerre, ce n’est pas par des déclarations intempestives dans la presse contre l’arabisme et l’islamisme que peuvent être trouvées les bases du règlement de l’ensemble des problèmes nord-africains.

Qu’on le veuille ou non, l’évolution du monde islamique est un fait qui s’avère moralement et politiquement comme une des dominantes de la situation mondiale et dont il serait sage de tenir compte. Unis à nos frères d’Orient par une communauté de langue, d’histoire et de religion, par une solidarité permanente, l’Islam maghrébin évoluera en tenant compte de ses voisins occidentaux, de ses intérêts économiques et de ses rapports avec les Etats méditerranéens. Méditons sur l’exemple donne par le Pakistan et l’Inde : le Pakistan, cette grande puissance islamique, tout en jouissant de sa liberté et de son indépendance, a conservé les liens de sympathie et des rapports d’intérêt avec la Grande-Bretagne. Cette situation de compréhension mutuelle est analogue à celle de l’Inde vis-à-vis de la Grande-Bretagne.

Les problèmes d’avenir, si vastes, si importants, exigent le règlement pacifique du problème algérien dans une atmosphère de compréhension mutuelle. Aucun retard, aucune hésitation, ne doivent éloigner l’ouverture de la négociation qui répond à de si impérieux besoins. Une nouvelle preuve vient encore de nous être donnée par le récent Congrès du Syndicat des Instituteurs qui, à l’unanimité, a adopté une résolution recommandant l’ouverture de négociations sans préalable ni exclusive. Nous nous en félicitons hautement. Pour notre part, nous qui avons depuis fort longtemps, insisté pour que l’on s’engage dans cette voie, nous n’avons en vue que la paix, le bonheur, la prospérité du peuple français et du peuple algérien libéré de la servitude coloniale.

Messali Hadj